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290. L'article 1579 prévoit encore une hypothèse qui n'est qu'une rare exception, puisqu'elle implique une violation de la loi. On suppose que le mari jouit des biens paraphernaux malgré l'opposition constatée de la femme; la loi décide qu'il sera comptable de tous les fruits, tant existants que consommés. C'est assimiler le mari usurpateur au mari mandataire; si la loi dit que le mari doit smpte des fruits consommés, c'est par opposition avec Hypothèse de l'article précédent, où il est question de la jouissance que la femme laisse de fait au mari. Il ne faudrait pas en induire que le mari qui jouit malgré la femme n'a pas d'autres obligations que celles que lui impose l'article 1579; il commet une voie de fait, il est responsable du dommage qui en résulte pour la femme; celle-ci peut donc réclamer des dommages-intérêts, s'il y a lieu, outre la restitution des fruits. Est-ce à dire que le mari, même usurpateur, ne puisse porter en compte la part contributoire de la femme dans les dépenses du ménage? Il est certain qu'il a ce droit, car la femme n'est pas dispensée de remplir ses obligations, quand même le mari viole la loi en s'emparant de l'administration et de la jouissance, au mépris des droits de la femme (1).

291. Que le mari jouisse de fait ou en vertu d'un mandat, la femme peut toujours reprendre l'administration et la jouissance de ses biens; le fait ne donne aucun droit au mari, et le mandat est révocable de son essence. Quand même la femme aurait déclaré abandonner à son mari l'administration et la jouissance, sans limitation de temps, ou pour toute la durée de sa vie, elle ne serait pas obligée par là; ce serait rétablir indirectement la communauté; or, la séparation de biens ne peut cesser légalement que sous les conditions déterminées par la loi. La cour de Bordeaux l'a jugé ainsi dans une espèce où la femme avait abandonné à son mari, pour tenir lieu de sa contribution aux frais du ménage, l'administration et la jouissance, durant le mariage, d'un domaine dont elle avait la propriété. La femme demanda la nullité de cette convention

(1) Aubry et Rau, t. V, p. 405 et 406, § 516 (4o édit.).

en vertu de l'article 1451, qui prescrit les conditions et les formes d'après lesquelles il est permis aux époux de faire cesser les effets de leur séparation. La nullité a été prononcée; en effet, la femme ne peut pas se dépouiller de l'administration de tout ou partie de ses biens. Ce serait détruire ou modifier le jugement qui a prononcé la séparation, et cela ne peut se faire que par le rétablissement de la communauté, conformément à l'article 1451 (1).

II. Quels actes la femme peut faire.

1. ACTES D'ADMINISTRATION.

292. La loi ne parle pas de la jouissance de la femine. Au chapitre de la Séparation contractuelle, il est dit que la femme séparée conserve la jouissance libre de ses revenus. Il en est de même de la femme séparée judiciairement. Elle est propriétaire, et la propriété donne le droit de jouir de la manière la plus absolue (art. 544). Il est vrai que la femme compte parmi les incapables, mais son incapacité ne consiste que dans la nécessité de l'autorisation du mari ou de justice pour les actes juridiques qu'elle est dans le cas de passer. La femme séparée est affranchie de cette nécessité pour les actes d'administration, et quant à sa jouissance, elle est également libre, en ce sens qu'elle peut disposer de ses revenus comme elle l'entend, sauf quand elle le fait par un acte pour lequel elle a besoin d'être autorisée : telle serait une donation, comme nous le dirons plus loin.

293. La femme a la libre administration de ses biens. Elle peut donc faire sans autorisation tous les actes qui concernent l'administration. Quels sont ces actes? Puisque la femme n'a que la libre administration de ses biens et non la libre disposition, il faut dire qu'elle ne peut faire sans autorisation que les actes qu'un administrateur a le droit de faire. Toutefois le principe, ainsi formulé, est trop restrictif. Il y a une différence radicale entre l'admi

(1) Bordeaux. 25 mars 1848 (Dalloz, 1848, 2, 192).

nistrateur ordinaire et la femme séparée de biens; le premier administre des biens qui ne lui appartiennent point, tandis que la femme est propriétaire des biens qu'elle administre. On comprend donc que la femme ait des pouvoirs plus étendus que ceux d'un simple administrateur; il serait peu logique de raisonner par analogie de la femme à un administrateur ordinaire. Mais peut-on du moins appliquer à la femme les principes qui régissent l'administrateur de biens d'autrui? Oui, sauf à tenir compte des droits plus étendus que la loi accorde à la femme.

administra

Il y a un administrateur dont la situation, en apparence, est identique avec celle de la femme; c'est le mineur émancipé qui administre aussi ses propres biens. En faut-il conclure qu'il y a analogie complète entre la femme séparée et le mineur émancipé? On l'a dit (1); à notre avis, c'est une erreur. Le texte même du code établit une différence. Aux termes de l'article 484, le mineur émancipé ne peut faire seul que des actes de pure tion; le mineur a donc moins de pouvoir qu'un administrateur ordinaire; cela se comprend, le mineur émancipé étant incapable à raison de son âge et de son inexpérience. L'article 1449 ne s'exprime pas dans ces termes restrictifs en parlant de la femme séparée; il dit qu'elle administre librement ses biens. Vainement dit-on qu'elle est incapable, son incapacité est tout autre que celle du mineur, Nous la supposons majeure, donc capable, d'après les lois de la nature; si elle est frappée d'incapacité, c'est uniquement à raison de son mariage et de la puissance maritale à laquelle elle est soumise. Or, la loi l'affranchit précisément de cette puissance, au moins en partie. Il faut donc voir jusqu'où la loi a voulu étendre la liberté de la femme. C'est une question tout autre que celle qui concerne la capacité du mineur émancipé. En définitive, la situation de la femme séparée est toute spéciale; on ne peut recourir à l'argumentation analogique qu'avec une grande circonspection.

(1) Battur, De la communauté, t. II, p. 190, no 514, et p. 336, no 651

294. Le bail est-il un acte d'administration? Oui, quand il ne dépasse pas neuf ans; s'il dépasse cette limite, la loi le considère comme un acte de disposition. Telle est la théorie du code; nous l'avons exposée en traitant de l'administration des biens de la femme que la loi confie au mari (no 134). Faut-il appliquer cette distinction à la femme séparée de biens? Il y a un motif de douter, c'est que la femme est propriétaire. Oui, mais propriétaire incapable quand il s'agit de ses immeubles; elle ne peut les aliéner, dit l'article 1449, sans le consentement du mari ou, sans être autorisée par justice, à son refus. Cela décide la question; la femme ne peut donc donner ses immeubles à bail que pour un terme de neuf ans, et elle ne peut renouveler le bail qu'aux époques déterminées par la loi. C'est l'opinion unanime des auteurs (1).

Le bail qui dépasse neuf ans est-il nul? Il est nul comme acte de disposition, il est valable comme acte d'administration. C'est la décision du code, en ce qui concerne les baux faits par le mari administrateur, le tuteur et le mineur émancipé; il y a même motif de décider pour les baux consentis par la femme. Si donc elle a fait sans autorisation un bail qui excède neuf ans, elle n'est liée que pour une période de neuf ans. Qui peut se prévaloir de la nullité du bail considéré comme acte de disposition et en demander la réduction? Il faut appliquer les principes qui régissent l'incapacité de la femme mariée; car c'est parce que le bail est consenti par une femme mariée qu'il ne peut valoir comme acte de disposition. Or, d'après l'article 225, la nullité fondée sur le défaut d'autorisation ne peut être opposée que par la femme, par le mari ou par leurs héritiers. Le preneur ne peut pas s'en prévaloir, la nullité n'étant pas établie en sa faveur (2).

Si le bail est fait pour neuf ans, personne n'a le droit de l'attaquer, puisque l'acte est fait par la femme dans

(1) Voyez les autorités dans Rodière et Pont, t. III. p. 657, no 2189, note 2.

(2) Paris, 24 décembre 1859 (Dalloz, 1860, 5, 350)

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les limites de sa capacité. On a prétendu que le mari vait attaquer le bail pour vileté du prix en vertu de l'arti cle 1448 qui oblige la femme à contribuer aux frais du ménage; on en concluait que le mari exerçait un contrôle sur l'administration de la femme et que, par suite, il avait le droit de provoquer l'annulation des actes qui lui portaient préjudice. C'est une de ces prétentions qui faussent la loi sur laquelle elles s'appuient. En déclarant libre, l'administration de la femme, la loi l'affranchit de toute intervention du mari; de quel droit viendrait-il attaquer un acte que la femme séparée est autorisée à faire? L'article 1448 ne donne au mari qu'un droit, celui d'exiger la contribution de la femme. Pour que le mari eût le droit d'agir, il faudrait qu'il fût créancier, et que l'acte fût fait en fraude de ses droits. Il est créancier en vertu de l'article 1448; si le bail ou tout autre acte de la femme est fait en fraude du mari, celui-ci peut l'attaquer par l'action paulienne; mais pour agir en vertu de l'article 1167, il ne suffit pas que l'acte porte préjudice au mari, il faut qu'il soit frauduleux et c'est le mari qui doit prouver la fraude (1).

295. La femme peut-elle recevoir et donner décharge d'un capital mobilier? A notre avis, oui; parce que c'est un acte d'administration. D'après le code civil, le tuteur peut recevoir les capitaux du mineur, même sans le concours du subrogé tuteur; si notre loi hypothécaire a modifié ce principe, ce n'est pas qu'elle entende changer la nature de l'acte, c'est uniquement pour donner des garanties au mineur contre le tuteur dont les biens seraient insuffisants pour assurer les droits de son pupille. Il est vrai que l'article 484 défend au mineur émancipé de recevoir un capital mobilier et d'en donner décharge sans l'assistance du curateur. Mais cette disposition est spéciale au mineur, et le texte même du code en donne la raison le curateur est chargé de surveiller l'emploi du capital reçu. C'est parce que la loi se défie de la légèreté et de l'imprévoyance du inineur qu'elle fait intervenir le

(1) Douai, 24 juillet 1865 (Dalloz, 1866, 2, 29).

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