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la femme ait la faculté de faire des actes conservaque toires sur les biens de son mari. Ces garanties, elle les a, comme nous le dirons plus loin. Il n'est pas nécessaire que les reprises de la femme soient liquidées et payées avant le jugement. La femme ne pourrait pas le demander, cela est certain; dès lors le mari, en payant les reprises, paye ce qu'il ne doit pas; à la rigueur, il pourrait répéter. Il suit de là que ces payements ne sont valables que jusqu'à concurrence de ce dont la femme en a profité (1).

La question a été portée devant la cour de cassation dans l'espèce suivante. Le mari cède des biens à lui propres à sa femme en payement de ses droits. Aux termes de l'article 1595, cette cession est permise quand il y a séparation judiciaire, quoique, en règle générale, la vente entre époux soit prohibée. La cession pouvant se faire après la séparation, faut-il conclure de la rétroactivité du jugement que la cession peut se faire pendant l'instance? Non, car la cession est une dation en payement, elle suppose donc qu'il y a lieu de payer les droits de la femme; or, nous venons de dire que jusqu'au jugement le mari n'est pas débiteur, donc il ne peut faire de dation en payement; partant la cession est nulle en vertu de la prohibition établie par l'article 1595. On opposait le principe de la rétroactivité. La cour répond que la loi a voulu conserver à la femme les droits qui peuvent lui échoir pendant l'instance, mais qu'elle n'a pas entendu autoriser une exécution préventive et volontaire de la demande en séparation. Si l'on entendait la rétroactivité en ce sens, on mettrait la loi en contradiction avec elle-même. Elle a prohibé les séparations volontaires; elle ne peut donc pas permettre d'exécuter, par la convention des époux, une séparation qui n'existe pas encore. L'article 1595 s'y oppose également; il accorde un droit à la femme séparée de biens en vertu d'un jugement; on ne peut pas transporter ce droit à la femme demanderesse en séparation

(1) Grenoble, 28 août 1847 (Dalloz, 1848, 2, 137). Aubry et Rau, t. V, p. 402, note 53, § 516.

sans ouvrir la voie aux fraudes et aux collusions que le législateur a voulu prévenir (1).

2. EFFET DE LA RÉTROACTIVITÉ QUANT AUX DETTES.

345. Le mari contracte des dettes pendant l'instance en séparation : tombent-elles dans le passif de la communauté? Non, parce qu'il n'y a plus de communauté; elle est dissoute entre époux à partir de la demande en séparation, en ce qui concerne les biens qui peuvent échoir aux époux, et, par la même raison, elle doit être dissoute quant au passif. La conséquence, en droit, est incontestable, et, en fait, elle est du plus grand intérêt pour la femme. Quel est le but de sa demande? C'est de sauver sa dot et ses reprises du péril qui les menace à raison des désordres des affaires du mari; or, si pendant l'instance le mari pouvait obliger la communauté, il n'y aurait plus aucune garantie pour la femme, sa ruine serait assurée. De droit, les dettes ne peuvent tomber dans une communauté qui n'existe plus. Toutefois les dettes peuvent profiter à la communauté et, par conséquent, à la femme tel les seraient les dettes que le mari a contractées pour les besoins du ménage; la femme séparée doit contribuer à ces dépenses, quoique faites pendant l'instance; il y aura, de ce chef, un compte entre époux; la femme contribuera aux dettes dont elle tire profit (2).

:

346. Que faut-il dire des dettes contractées, pendant l'instance, par la femme sans autorisation maritale? Il est certain qu'elles ne tombent pas en communauté. Mais la femme au moins est-elle personnellement obligée? L'affirmative a été jugée par la cour de Bruxelles (3); elle a décidé, en principe, que la femme cesse d'être commune à partir de la demande; que, par suite, elle peut s'obliger sans autorisation maritale, au moins quand il s'agit d'un

(1) Bourges, 25 janvier 1871 (Dalloz, 1871, 2, 172), et Rejet, chambre civile, 2 juillet 1873 (Dalloz, 1873, 1, 464). Il y a un arrêt en sens contraire de la cour de Bourges, du 17 avril 1867 (Dalloz, 1868, 2, 23).

(2) Aubry et Rau, t. V, p. 401, note 48, § 516. Colmet de Santerre, t. VI, p. 243, no 94 bis II.

(3) Bruxelles, 21 mars 1832 (Pasicrisie, 1832, p. 90).

pas

acte d'administration. Cela nous paraît très-douteux. La rétroactivité est une fiction, cette fiction n'a pas été créée pour rendre la femme capable de s'obliger; elle n'a besoin de cette capacité pour la garantie de ses droits. C'est donc dépasser la loi que de l'étendre aux obligations que la femme contracterait. L'article 1449 résiste également à cette interprétation; il ne dit pas que la femme a le droit de s'obliger, la femme n'a ce droit qu'à raison de l'administration qu'elle reprend après la dissolution; or, la femme n'administre pas pendant l'instance, donc il est inutile qu'elle ait le droit de s'obliger; on ne conçoit pas même qu'elle s'oblige, puisqu'elle ne s'oblige qu'en administrant, et elle n'administre pas.

3. EFFET DE LA RÉTROACTIVITÉ QUANT AUX ACTES DE DISPOSITION OU D'ADMINISTRATION FAITS PAR LE MARI.

347. Pendant la durée de la communauté, le mari est seigneur et maître des biens communs ; il les administre seul et il en dispose sans le concours de la femme. Le mari a aussi l'administration des biens personnels de la femme, et il fait seul tous les actes qui sont réputés actes d'administration. Quand la communauté est dissoute par le jugement qui prononce la séparation, le mari n'est plus qu'un associé relativement aux biens communs, il n'a plus le droit de les administrer, bien moins encore d'en disposer; il cesse aussi d'être administrateur des biens de la femme. Les effets que produit le jugement de séparation rétroagissent-ils au jour de la demande? Il faut répondre affirmativement d'après le texte et l'esprit de la loi. L'article 1445 dit que les effets du jugement remontent au jour de la demande; or, le premier effet du jugement est de dissoudre la communauté et de mettre fin au pouvoir du mari, soit comme chef de la société de biens, soit comme administrateur des biens de la femme. Tel est aussi l'objet de la demande en séparation; c'est parce que l'administration de la communauté et des biens de la femme est ruineuse, que la femme demande que les pouvoirs du mari cessent. Et pourquoi la séparation rétroagit

elle au jour de la demande? Afin de faire cesser une gestion qui achèverait de ruiner la femme. Donc il faut qu'à partir de la demande le mari cesse d'être seigneur des biens communs et d'administrer les biens de la femme.

348. Autre est la question de savoir quel est le sort des actes que le mari fait pendant l'instance, soit comme chef de la communauté, soit comme administrateur des biens de la femme. La loi ne s'explique pas sur ce point. Il faut donc décider la question d'après les principes généraux. Le mari n'étant plus, de droit, seigneur des biens communs, ni administrateur des biens de la femme, il en résulte qu'il ne peut plus agir en ces qualités, et les actes qu'il fait sans qualité sont nuls. Quel est le caractère de cette nullité? qui peut s'en prévaloir? C'est uniquement dans l'intérêt de la femme que la loi fait rétroagir le jugement; si donc la séparation remonte au jour de la demande et si, à partir de ce moment, le mari cesse d'être chef de la communauté et administrateur des biens de la femme, c'est encore dans l'intérêt exclusif de la femme. Donc si les actes que le mari fait sans qualité à partir de la demande sont nuls, c'est une nullité essentiellement relative, la femme seule peut s'en prévaloir.

Cela n'est pas douteux. Mais là n'est point la difficulté. On demande si la nullité que la femme invoque est de droit, c'est-à-dire si le tribunal doit la prononcer par cela seul qu'il est établi que l'acte fait par le mari est postérieur à la demande en séparation. Ou faut-il que la femme prouve que ces actes lui sont préjudiciables? La loi ne dit pas que les actes du mari sont nuls, bien moins encore qu'ils sont nuls de droit. On ne pourrait donc admettre cette nullité que si elle résultait des principes. Or, tout ce que la loi veut en faisant remonter les effets de la séparation au jour de la demande, c'est d'empêcher le mari d'achever la ruine de la femme. Cela suppose des actes préjudiciables, des actes qui mettent en péril la dot et les reprises de la femme, ou qui augmentent ce péril. Si l'acte fait par le mari ne cause aucun préjudice à la femme, de quel droit celle-ci l'attaquerait-elle? Dira-t-elle que le mari était sans qualité pour agir et que, partant, ce qu'il a

fait est radicalement nul? Ce serait dépasser la loi et, par conséquent, l'appliquer à une hypothèse pour laquelle certainement elle n'a pas été faite. Le législateur veut seulement que la femme ne soit point lésée par les actes du mari; donc, dans l'esprit de la loi, le mari n'a pas qualité d'agir en ce sens qu'il ne peut pas léser les droits de la femme. S'il ne les lèse pas en agissant, il n'y a plus de motif pour lui refuser qualité d'agir. Au contraire, l'intérêt des époux et l'intérêt général demandent que le mari puisse faire tout acte qui ne porte aucun préjudice à la femme. Remarquons d'abord qu'en attendant que le juge statue sur la demande de la femme, le mari continue, de fait et de droit, à administrer les biens communs et ceux de la femme; on ne peut pas lui opposer que ses pouvoirs cessent par une fiction de la loi, car cette fiction suppose qu'il y a un jugement qui prononce la séparation; tant qu'il n'y a pas de jugement, il est impossible qu'il y ait rétroactivité en vertu du jugement. Le mari reste donc chef et administrateur, lui seul a qualité d'agir; s'il y a lieu de faire un acte concernant la communauté ou les propres de la femme, le mari seul a droit de le faire; le déclarer nul si la séparation est prononcée, c'est le mettre dans l'impossibilité absolue d'agir, même pour faire des actes qui seraient avantageux à la femme. Qui souffrirait de cette impossibilité d'agir? La femme avant tout. La société aussi en souffrirait, puisque les biens communs et les biens de la femme seraient de fait hors du commerce, personne ne voulant traiter avec le mari, même à des conditions avantageuses pour la femme, puisque celle-ci n'en aurait pas moins le droit d'attaquer ces actes. Si la loi permet à la femme d'en demander la nullité, c'est pour sauvegarder les intérêts de la femme; il faut donc que la femme prouve qu'elle est intéressée à en obtenir l'annulation. Nous aboutissons à la conséquence qu'il n'y a pas de nullité de droit: les actes du mari ne sont nuls à l'égard de la femme que lorsqu'ils lui portent préjudice.

Il reste une difficulté, et c'est sur celle-là surtout qu'il y a controverse. Le préjudice suffit-il pour que la femme puisse attaquer les actes, ou faut-il qu'il y ait fraude? et

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