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de consentement, et l'acceptation implique le consentement de la femme, qu'elle soit tacite ou expresse. Si l'article 1455 ne parle pas de l'acceptation tacite, c'est une simple négligence de rédaction.

Il y a une autre différence entre les deux textes. L'article 783 annule l'acceptation d'une hérédité dans le cas où elle aurait été la suite d'un dol pratiqué envers l'héritier; la loi ne dit pas par qui le dol doit être pratiqué pour qu'il vicie l'acceptation; nous en avons conclu que l'acceptation d'une succession peut être attaquée dès qu'elle est la suite d'un dol, peu importe que le dol ait été pratiqué par un cohéritier ou par un créancier (t. IX, n° 354). L'article 1455 semble conçu dans des termes restrictifs; il admet le dol comme cause de restitution, mais en ajoutant : « s'il n'y a eu dol de la part des héritiers du mari. » Que faut-il décider s'il y a eu dol de la part des créanciers? Au point de vue des principes, il n'y a aucun doute l'acceptation de la communauté et l'acceptation de l'hérédité sont des faits identiques, le dol est un vice identique; il faut donc dire que là où il y a même raison de décider, il doit y avoir même décision. Il y a cependant une raison de douter, c'est que l'interprétation de l'article 783 est controversée; est-ce l'application des principes généraux qui régissent le dol, ou est-ce une dérogation à ces principes? Rappelons que, d'après l'article 1116, le dol n'est une cause de nullité des conventions que lorsque les manœuvres ont été pratiquées par l'une des parties. Dans notre opinion, conforme au texte, ce principe n'est applicable qu'aux conventions, il est étranger à l'acceptation d'une succession ou d'une communauté. Il ne faut donc pas dire, comme on l'a fait (1), que l'article 1455 applique un principe général en exigeant que le dol ait été pratiqué par les héritiers du mari. Les héritiers du mari ne sont pas plus parties dans l'acceptation de la communauté que les créanciers du mari, puisque l'acceptation est un fait unilatéral, une manifestation de volonté de la femme qui déclare vouloir être associée; et dès que

(1) Colmet de Santerre, t. VI, p. 271, no 109 bis III.

la volonté est viciée, il doit y avoir nullité. Si l'article 1455 ne parle que des héritiers du mari, c'est que ceux-ci ont surtout intérêt à pratiquer les manœuvres frauduleuses pour engager la femme à accepter. Quel est cet intérêt? On doit supposer que, par leurs manoeuvres doleuses, ils portent la femme à accepter sans faire inventaire, car si la femme fait inventaire, elle n'est tenue des dettes que jusqu'à concurrence de son émolument; et dans cette hypothèse, les héritiers du mari n'ont aucun intérêt à ce que la femme accepte, puisqu'ils sont tenus des dettes ultra vires et doivent, en tout cas, les payer, quel que soit le parti que prenne la femme; si le passif est de 20,000 francs et l'actif de 10,000, les héritiers du mari devront, dans toute hypothèse, supporter la perte de 10,000 francs. La femme accepte-t-elle, elle prend 5,000 francs dans l'actif et ne supporte les dettes que jusqu'à concurrence de cette somme, les héritiers du mari auront 5,000 francs d'actif et 15,000 francs de dettes à payer; donc ils sont en perte de 10,000 francs. La femme renonce-t-elle, les héritiers prendront les 10,000 fr, d'actif et payeront les 20,000 fr. de dettes, de sorte que leur perte sera toujours de 10,000 fr. Mais s'ils parviennent à engager la femme à accepter sans dresser inventaire, elle devra supporter la moitié des dettes, 10,000 francs, quoique son émolument ne soit que de 5,000 francs; il ne reste à payer que 10,000 francs de dettes, les héritiers y gagnent 5,000 francs. Les créanciers sont aussi intéressés à ce que la femme accepte sans inventaire, mais c'est seulement dans le cas où les héritiers seraient insolvables; la femme sera alors débitrice illimitée pour sa part dans les dettes. Si les héritiers sont solvables, les créanciers n'ont aucun intérêt à l'acceptation de la femme; c'est peut-être pour cette raison que l'article 1455 ne les mentionne pas. Toujours est-il que les principes ne laissent aucun doute, et le texte doit être interprété d'après les principes, puisqu'il n'est pas conçu en termes restrictifs (1).

(1) Aubry et Rau, t. V, p. 416, note 18, § 517. Marcadé, t. V, p. 607, noII de l'article 1455. Mourlon, t. II, p. 90, no 212.

391. Les créanciers de la femme peuvent-ils attaquer son acceptation dans le cas où elle aurait accepté en fraude de leurs droits? La question est controversée. Pothier la décide affirmativement. Il suppose que la femme a stipulé la reprise de ses apports, en cas de renonciation; si la communauté est mauvaise, la femme doit renoncer pour reprendre sa dot mobilière. Au lieu de renoncer, elle accepte pour décharger les héritiers du mari de la reprise de son apport; elle cause par là préjudice à ses créanciers. Il y aurait encore préjudice si elle avait accepté sans faire inventaire. On demande si les créanciers lésés peuvent attaquer l'acceptation comme frauduleuse. Pothier n'en faisait aucun doute les créanciers, dit-il, pourront faire déclarer nulle et frauduleuse l'acceptation de la communauté faite par la femme et, sans y avoir égard, exercer la reprise de l'apport de la femme, leur débitrice, en abandonnant aux créanciers du mari la part de la femme dans la communauté (1).

Nous croyons que l'opinion de Pothier doit être suivie sous l'empire du code si l'on admet, comme on l'enseigne généralement, que les créanciers de la femme peuvent renoncer au nom de leur débitrice (n° 368). L'article 1167 donne aux créanciers le droit d'attaquer les actes faits par leur débiteur en fraude de leurs droits, donc tout acte frauduleux et, par conséquent, l'acceptation de la communauté si elle est faite en fraude de leurs droits. On objecte l'article 1464, qui donne aux créanciers le droit d'attaquer la renonciation de la femme; en leur donnant le droit de demander la nullité de la renonciation, la loi n'entend-elle pas leur refuser le droit de demander la nullité de l'acceptation? Le deuxième alinéa de l'article 1167 semble confirmer cette interprétation restrictive en disposant que créanciers doivent, quant à leurs droits énoncés au titre du Contrat de mariage, se conformer aux règles qui y sont prescrites: n'est-ce pas dire que les créanciers n'ont d'autres droits que ceux que la loi leur accorde expressément au titre du Contrat de mariage? Nous écartons d'abord l'ar

(1) Pothier, De la communauté, no 559.

les

ticle 1167, qui n'a pas le sens que nous venons de supposer; nous renvoyons à ce qui a été dit au titre des Obligations (t. XVI, no 474). Quant à l'article 1464, il ne fait qu'appliquer le principe général de l'action paulienne; on n'en peut pas induire que le même principe ne doit pas recevoir son application à l'acceptation de la communauté, ce serait argumenter du silence de la loi pour déroger à la loi. On demandera pourquoi les auteurs du code ont fait une disposition formelle sur la renonciation alors qu'ils gardent le silence sur l'acceptation? Les auteurs répondent qu'il y a toujours eu controverse sur les actes de renonciation sont-ils ou non soumis à l'action paulienne? En droit romain, on décidait la négative, tandis qu'en droit français on se prononçait pour l'affirmative; le code a voulu prévenir tout doute (1). Il y a une autre raison plus simple et, par conséquent, plus probable. L'acceptation frauduleuse n'est guère qu'une question de théorie; on l'agite à l'école, elle se présente rarement dans la pratique; or, les auteurs du code sont des praticiens, ils auront négligé une question qui leur paraissait oiseuse.

Nous croyons inutile d'entrer dans la discussion des motifs que l'on donne pour l'opinion contraire (2). Il y a une objection que l'on ne fait point et qui nous paraît la plus sérieuse. Les créanciers font annuler l'acceptation comme frauduleuse que feront-ils après? Pothier dit qu'ils exerceront les droits de la femme, leur débitrice, c'est-à-dire qu'ils renonceront. Cela suppose qu'ils ont le droit de renoncer, ce qui nous paraît très-douteux. La femme, en acceptant, a consommé son option, elle n'a plus de droit à exercer. Son acceptation subsiste quant à elle, elle est annulée uniquement dans l'intérêt des créanciers. Pour que ceux-ci eussent le droit de renoncer alors que leur débitrice ne l'a plus, ne faudrait-il pas un texte?

La jurisprudence s'est prononcée pour l'opinion généralement enseignée (3).

(1) Rodière et Pont, t. II, p. 326, no 1057; Mourlon, t. III, p. 90, no 214; Colmet de Santerre, t. VI, p. 279, no 121 bis.

(2) Ce que Troplong dit (t. II, p. 9, no 1529) est insignifiant.

(3) Rejet, 5 décembre 1838 (Dalloz, au mot Succession, no 520), et 5 avril 1869 (Dalloz, 1869, 1, 239).

IV. Effet de l'acceptation.

392. Aux termes de l'article 777, l'acceptation d'une succession remonte au jour de l'ouverture de l'hérédité. Pothier applique le même principe à l'acceptation de la communauté. L'acceptation de la femme a un effet rétroactif au jour de la dissolution de la communauté, de sorte que la femme est réputée propriétaire par indivis pour une moitié de tous les biens dont la communauté s'est trouvée alors composée, ainsi que des fruits qui ont été perçus depuis ce temps et de tout ce qui est provenu des biens (1). Sans doute, la femme est copropriétaire des biens qui composent la communauté lors de la dissolution, mais son droit ne remonte-t-il pas plus haut? On ne peut pas la comparer à l'héritier; le successible acquiert un droit nouveau qui ne s'ouvre que par la mort de celui auquel il est appelé à succéder, tandis que la femme est commune en vertu de son contrat de mariage; elle n'acquiert pas un droit sur la communauté à la mort de son mari, son droit préexiste, elle est seulement appelée à exercer sa faculté d'option. Elle peut renoncer et, dans ce cas, elle n'a jamais été commune. Elle peut accepter, et, dans ce cas, elle a toujours été commune.

Pothier lui-même applique ce principe au passif. Par son acceptation, dit-il, la femme devient débitrice, pour sa part dans la communauté, de toutes les dettes de la communauté; elle est censée les avoir contractées en sa qualité de commune, conjointement avec son mari. Donc elle est commune avant la dissolution de la communauté; et si elle est commune pour les dettes, elle doit l'être pour les biens; elle est copropriétaire, comme elle est codébitrice, en vertu de sa qualité d'associée; et cette qualité date de la célébration de son mariage, c'est-à-dire de la convention tacite par laquelle, en se mariant sans contrat, elle a adopté le régime de communauté.

393. La femme, par suite de son acceptation, est cen

(1) Pothier, De la communauté, no 548.

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