Page images
PDF
EPUB

si

hypothèse, disposé d'une chose qui ne lui appartient pas; la loi maintient la libéralité en cas de testament, elle doit aussi la maintenir en cas de donation (1). En théorie, cela est très-vrai, il n'y a aucune raison de distinguer entre la donation et le legs; mais, au point de vue des textes et des principes, il reste un doute. La donation de la chose d'autrui est nulle, de même que le legs ou la vente de la chose d'autrui (art. 1599); c'est par exception au droit commun que la loi donne effet au legs que le mari fait d'une chose dont il est censé n'avoir jamais eu la propriété. Peut-on étendre une exception par voie d'analogie? Ce serait créer des exceptions, et le législateur seul a ce droit, puisque créer une exception, c'est faire la loi. On a encore opposé une autre objection à l'opinion générale. La donation est annulée, ou elle ne peut plus recevoir son exécution. Si le donataire n'a pas d'action en vertu de l'article 1423, en vertu de quel droit agira-t-il contre les héritiers du donateur? Ce serait une action en garantie; or, le donateur n'est pas tenu de garantir le donataire contre l'éviction. Si le donataire ne peut agir ni en vertu de l'article 1423, ni en vertu de la garantie, il n'a aucune action et, par suite, la donation tombe (2).

On dit, en faveur du donataire, que la nullité de la donation est relative; la femme seule peut s'en prévaloir, le mari n'a pas ce droit. La donation étant valable à l'égard du mari, il doit l'exécuter, au besoin sur ses propres biens (3). Nous croyons que c'est faire une fausse application du principe que l'on invoque. Ce n'est pas le mari qui a demandé la nullité, c'est la femme; par suite de l'annulation, la chose est rentrée dans la masse partageable et, étant tombée au lot de la femme, il en résulte que le mari a donné la chose d'autrui; c'est donc par suite de la rétroactivité du partage que la donation tombe. Il n'y aurait qu'un moyen de la maintenir, ce serait de dire que le principe du partage déclaratif ne reçoit pas d'application à

(1) Aubry et Rau, t. V, p. 330 et note 16, § 509, et les autorités qu'ils citent.

(2) Colmet de Santerre, t. VI, p. 148, no 66 bis IX.

(3) Marcadé, t. V, p. 532, no V de l'article 1423.

l'espèce. L'article 883 consacre, en effet, une fiction; cette fiction est étrangère à l'espèce; elle n'est pas établie dans l'intérêt du donateur, elle est établie en faveur des tiers, auxquels pendant l'indivision l'un des copropriétaires par indivis a concédé des droits réels sur la chose. Il nous semble qu'en formulant l'objection, nous y avons répondu. Les deux époux sont copropriétaires, puisque nous supposons que la femme a accepté. Pendant l'indivision, l'un des copropriétaires, le mari, donne un bien commun, un conquêt; puis, par l'effet du partage, l'immeuble tombe au lot de la femme. N'est-ce pas précisément le cas de l'article 883? Qu'importe que l'un des copropriétaires donne, vende ou hypothèque? Le principe est identique, et s'applique à toute concession de droits réels, par conséquent à l'aliénation à titre gratuit, la propriété étant aussi un droit réel, le plus considérable, celui qui les comprend tous. En définitive, la donation tombe, et le donataire n'a aucune action contre le donateur ou ses héritiers, à moins qu'il ne puisse se prévaloir de l'article 1423; ce qui est très-douteux (1).

30. Le mari pourrait-il demander la nullité de la donation illégale qu'il a faite? Il va sans dire qu'il ne peut agir en qualité de mari; car la nullité n'est pas absolue, elle est relative, la femme seule peut s'en prévaloir. Mais on prétend qu'il peut agir comme chef de la communauté ; on le compare à un tuteur qui pourrait, au nom de son pupille, attaquer les actes par lui faits irrégulièrement (2). Cela nous paraît inadmissible. Le mari n'est pas le tuteur de la femme, il ne la représente pas dans tous les actes civils; il administre ses biens pendant la durée de la communauté. Or, nous venons de dire que la femme ne peut pas agir pendant le mariage; son droit ne s'ouvre qu'à la dissolution de la communauté, et elle n'a le droit d'agir que si elle accepte. A ce moment, le mari n'a plus aucun droit; quant à la communauté, au nom de laquelle on

(1) Il y a encore une autre opinion sur cette difficile question, celle de Troplong, t. I, p. 279, no 89; elle a été réfutée par Rodière et Pont, t. II, p. 178, no 889, et par Aubry et Rau, t. V, p. 330, note 16, § 509. (2) Colmet de Santerre, t. VI, p. 148, no 66 bis X.

donne action au mari, elle est hors de cause; en effet, la communauté n'est autre chose que le mari et la femme associés; or, la femme seule peut agir en nullité, le mari, comme tel, n'a pas le droit d'agir. Cela est décisif.

31. La donation est nulle quand elle comprend un immeuble de la communauté; elle est nulle quand le mari a donné l'universalité ou une quotité du mobilier; enfin, elle est nulle quand le mari a disposé d'effets mobiliers à titre particulier, en s'en réservant l'usufruit. Bien qu'il y ait nullité dans tous ces cas, les effets different selon que la donation est immobilière ou mobilière. Quand la donation a pour objet un conquêt, l'action de la femme est immobilière, et elle peut l'exercer contre les tiers; tandis que si la donation est mobilière, la femme n'a pas d'action contre les tiers, non pas à cause du principe de l'article 2279,—la maxime qu'En fait de meubles,la possession vaut titre est hors de cause, mais parce que les objets mobiliers ne se trouvent pas entre les mains du donataire, ni d'un tiers. S'il s'agit d'une universalité de mobilier, la donation porte sur des biens à venir; par conséquent, elle ne produit d'effet qu'à la mort du donateur, c'est-à-dire au moment où la femme peut opposer la nullité au donataire qui demanderait l'exécution de l'institution contractuelle; et si la donation d'effets mobiliers a été faite avec réserve d'usufruit, le donateur se trouvera également en possession des choses données (1). C'est une garantie pour la femme, car si elle devait agir en revendication contre les tiers, on pourrait lui opposer la maxime de l'article 2279.

Le principe que l'action de la femme est immobilière quand la donation a pour objet un conquêt, a une conséquence importante dans le cas où il y a un légataire du mobilier. Il va sans dire que ce légataire n'a point l'action immobilière qui appartenait à la femme. La cour de cassation a jugé qu'il n'avait pas droit non plus aux valeurs mobilières qui auraient été remises à la femme en paye ment de l'immeuble donné; en effet, le payement ne

(1) Colmet de Santerre, t. VI, p. 148, no 66 vis IX.

change pas la nature du droit : le droit étant immobilier, le légataire du mobilier n'en peut pas profiter (1).

32. La donation est-elle nulle quand le mari donne un immeuble à un enfant d'un premier lit? D'après l'article 1422, la nullité n'est pas douteuse; la loi dit en termes formels que le mari ne peut disposer des immeubles de la communauté si ce n'est pour l'établissement des enfants communs. Mais l'article 1469 semble dire le contraire. Aux termes de cette disposition, l'époux rapporte les sommes qui ont été tirées de la communauté, ou la valeur des biens que l'époux y a pris pour doter un enfant d'un autre lit. Si l'époux rapporte ces biens, il en résulte que la donation est valable, et la loi ne distingue pas entre les biens immobiliers et les biens mobiliers. La cour d'Amiens en a conclu que l'article 1469 dérogeait à l'article 1422. L'arrêt a été cassé. Il est difficile d'admettre que, dans un seul et même code, un article déroge à l'autre; au moins faut-il chercher à les concilier avant d'admettre qu'il y a dérogation. Or, la conciliation est possible dans l'espèce. C'est l'article 1422 qui détermine ce que le mari peut ou ne peut pas donner; l'article 1469 a uniquement pour objet de régler le rapport de ce qui a été légalement donné; donc il faut décider la question par l'article 1422 et, par conséquent, admettre, avec la cour de cassation, que le mot biens dans l'article 1469 désigne, non les immeubles qu'il n'est pas permis au mari de donner, mais les biens mobiliers autres que les sommes dont la loi vient de parler, tels que les valeurs mobilières, si nombreuses et si importantes dans notre état social (2).

II. Des legs.

33. L'article 1423 porte que « la donation testamentaire faite par le mari ne peut excéder sa part dans la communauté. » C'est l'application de la maxime coutumière le mari vit comme maître et qu'il meurt comme associé. Le legs n'a d'effet qu'à la mort du testateur; à ce mo

que

(1) Rejet, 16 février 1852 (Dalloz, 1852, 1, 294).
(2) Cassation, 14 août 1855 (Dalloz, 1855. 1. 372).

ment le mari n'est plus qu'un associé, il ne peut donc disposer que de sa part dans le fonds social. La plupart des coutumes s'en expliquaient en termes formels (1). Si le mari disposait de plus que de sa part, de toute la communauté, ou d'une quotité plus grande que la moitié, la disposition ne serait pas nulle; elle serait valable si la femme renonçait, et réductible si la femme acceptait (2).

La loi ne parle pas de la femme; pendant la durée de la communauté, la femme n'a aucun droit, mais à la dissolution de la communauté elle devient associée; elle peut, par conséquent, disposer de sa part. A la différence du mari, elle ne peut jamais disposer de plus; car le mari, ne pouvant pas renoncer, est nécessairement acceptant et prend toujours la moitié, et toute la communauté, en cas de renonciation de la femme.

34. Le mari peut-il disposer par testament d'un objet particulier de la communauté? D'après l'article 1423, le legs est valable, car il produit toujours son effet. Si la chose léguée tombe au lot des héritiers du mari, par l'événement du partage, le légataire peut le réclamer en nature. C'est une conséquence des principes qui régissent l'indivision et le partage : le mari est copropriétaire par indivis des biens de la communauté, il peut disposer à ce titre d'un bien commun, mais la validité de la disposition dépend des résultats du partage. Si la chose léguée tombe au lot de ses héritiers, le legs est parfaitement valable, puisque le mari aura disposé d'une chose dont il est censé avoir toujours été propriétaire. Par contre, si l'effet tombe au lot de la femme, c'est elle qui sera censée en avoir toujours eu la propriété : que devient alors le legs? L'article 1423 répond: « Le légataire a la récompense de la valeur totale de l'effet donné, sur la part des héritiers du mari dans la communauté et sur les biens personnels de ce dernier. Cette disposition est très-difficile à expliquer. Une chose est certaine, c'est qu'elle déroge à l'article 1021, aux termes duquel le legs de la chose d'autrui est nul, soit que le testateur ait connu ou non qu'elle ne

(1) Pothier, De la communauté, no 475.
(2) Rodière et Pont, t. II, p. 180, no 891.

« PreviousContinue »