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les délais qui seront ci-après déterminés; or, ces délais sont déterminés par les articles 795 et suivants jusques et y compris l'article 800; il en résulte qu'il y a un délai, mais qu'il n'est pas fatal; donc l'article 794, se rapportant à l'article 800, dit d'avance que l'héritier ne doit pas faire inventaire dans un délai fatal. Il en est tout autrement de l'article 1456; il dispose en termes absolus que la veuve doit faire inventaire dans les trois mois si elle veut conserver le droit de renoncer. L'article 1456 ne se rapporte pas à un article postérieur, comme le fait l'article 794; sa disposition est définitive. C'est, au contraire, l'article 1459 qui se rapporte à l'article 1456 pour répéter, en termes concis, ce qui a déjà été dit; or, un article qui répète ce qu'a dit un autre article ne peut pas modifier cet article. La différence de texte est décisive. Pour l'héritier bénéficiaire, le siége de la matière c'est l'article 800 combiné avec l'article 794. Pour la veuve, le siége de la matière est uniquement l'article 1456.

La différence de texte implique une différence de principe; l'héritier peut toujours faire inventaire, c'est-à-dire qu'il peut toujours être héritier bénéficiaire, ou héritier pur et simple, tant qu'il n'a pas fait acte d'héritier; tandis que la veuve ne conserve son droit d'option, après le délai de trois mois, que sous la condition de faire inventaire dans ce délai. Y a-t-il une raison de cette différence? ou notre interprétation aboutit-elle à une rigueur sans motif? La situation de la veuve diffère de la situation de l'héritier, donc le principe doit aussi différer (1). En effet, la veuve est en possession de la communauté, et l'héritier n'est pas en possession de l'hérédité. Or, c'est la possession des biens qui est un danger pour les créanciers comme pour les héritiers du mari; il n'y a qu'un moyen de garantir leurs intérêts, c'est un inventaire, et un inventaire dressé dans le plus bref délai, le délai traditionnel de trois mois. Voilà la raison de l'article 1456 et la justification de sa rigueur. Cette rigueur était inutile à l'égard de l'héritier; il n'est pas en possession de fait, il ne peut pas à chaque

(1) Marcadé, t. V, p. 610, no II, de l'article 1459. Rodière et Pont, t. II. p. 444, no 1162.

instant divertir, dissiper les biens de l'hérédité; la loi devait donc le laisser dans le droit commun, en lui permettant d'accepter sous bénéfice d'inventaire tant qu'il n'aurait pas accepté purement et simplement.

400. De nouvelles difficultés se présentent dans l'application du principe. La veuve doit faire inventaire dans les trois mois, sous peine d'être déchue de la faculté de renoncer. Si elle n'a pas fait inventaire, elle est acceptante sans avoir voulu accepter. De plus, elle ne jouit pas du bénéfice d'émolument, car ce bénéfice est attaché à la confection d'un inventaire et, d'après l'opinion commune, l'inventaire doit être fait dans les trois mois. La conséquence est rigoureuse; la veuve perd son bénéfice de femme commune, elle est tenue de sa part dans les dettes ultra vires. On conçoit que les tribunaux reculent devant une application rigoureuse de la loi quand la veuve est de bonne foi et que rien ne fait suspecter un détournement au préjudice des créanciers. En théorie, il est facile de décider la question : nous disons que le juge n'a pas à se préoccuper de ces considérations d'équité, qu'il n'a pas à rechercher s'il y a ou non des soupçons de divertissement. La loi veut un inventaire, et elle exige que cet inventaire soit fait dans le délai de trois mois. Si ces conditions ne sont pas remplies, la femme est déchue de la faculté de renoncer et le juge doit prononcer la déchéance. Le juge est un ministre de la loi, il n'est pas un ministre d'équité. Troplong a, sur ce point, de belles paroles, que l'on nous permettra de transcrire parce qu'elles viennent à l'appui du système d'interprétation que nous avons suivi dans tout le cours de nos Principes. « Nous concevons, dit-il, que l'intérêt qui s'attache à la position de la veuve fasse interpréter la loi avec autant d'équité que possible, mais il ne faut pas aller jusqu'à la violer... Nulle cause n'est assez sacrée pour donner au magistrat le droit de substituer sa volonté à celle du législateur. L'équité cérébrine est le plus grand des dangers, elle ôte toute confiance, elle laisse les justiciables sans boussole et sans guide (1). »

(1) Troplong, t. II, p. 15, no 1543.

401. Malheureusement les auteurs oublient ces sages maximes que tous professent, mais que très-peu pratiquent. Une première difficulté se présente. L'inventaire doit être fait dans les trois mois : comment calculera-t-on ce délai? Il y a, sur la manière de calculer les délais, une règle qui résulte de la nature même des délais. La loi dit : dans les trois mois du jour du décès du mari. Le délai doit être complet, et pour qu'il le soit, on ne compte pas le jour du décès. Cela n'est pas douteux. Faut-il aller plus loin? La cour de Bordeaux a jugé que l'inventaire n'est pas tardif lorsqu'il est fait le jour qui suit l'expiration des trois mois. C'est violer la loi; aussi la cour est-elle obligée d'interpréter le texte à faux, en décidant que l'inventaire peut toujours être fait après les trois mois (1). La loi est violée. Que dit Troplong de cet arrêt?« Nous nous réunirons de tout notre cœur à ceux qui ne veulent pas que l'on calcule avec minutie le délai de trois mois. » Qu'est-ce à dire? Tout délai est arbitraire pourquoi trois mois plutôt que deux ou quatre? La minutie est de l'essence des délais. Si un tribunal admettait une action un jour après l'accomplissement de la prescription, il violerait la loi; il la viole également quand il décide que la déchéance n'est pas encourue, alors qu'elle est encourue.

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402. L'inventaire est soumis à certaines formes déterminées par le code de procédure si l'une de ces formalités n'a pas été remplie, l'inventaire sera-t-il nul et la déchéance sera-t-elle encourue? L'article 943 ne prononce pas la peine de nullité. Qu'en faut-il conclure? est-ce que toute description du mobilier par le notaire dans les formes de la loi de ventôse sera valable, en ce sens que déchéance ne sera pas encourue? La doctrine et la jurisprudence sont hésitantes. On pose en principe que l'inventaire doit être régulier, c'est-à-dire conforme au code de procédure; d'où suit qu'un inventaire irrégulier n'empêche pas la déchéance. Puis on ajoute que les tribunaux peuvent ne pas prononcer la déchéance si les irrégula

(1) Bordeaux, 24 février 1829 (Dalloz, au mot Contrat de mariage, n° 2164).

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rités paraissent, d'après les circonstances, être le résultat d'une erreur excusable (1). L'exception ne détruit-elle pas le principe? Si l'inventaire irrégulier est nul, qu'est-ce qui autorise le juge à ne pas prononcer la déchéance résultant du défaut d'inventaire?

Nous préférons le système consacré par un arrêt de la cour de Poitiers. Elle distingue les formalités substantielles, sans lesquelles il n'y a point d'inventaire, et les formalités non substantielles. Sont substantielles les formalités qui ont pour objet de constater les forces de la communauté, la remise des valeurs à la veuve qui déclare s'en charger à l'égard de tous les intéressés. Dans l'espèce, l'inventaire avait été dressé dans les formes légales, mais la clôture et l'affirmation de la sincérité de l'acte n'avaient eu lieu qu'après l'expiration du délai. Cette irrégularité devait-elle entraîner la nullité de l'inventaire? La clôture, dit la cour, n'est qu'une formule d'acte, l'inventaire même avait été fait et terminé dans les trois mois. Quant à l'affirmation, c'est une garantie morale dont la valeur ne dépend certes pas du jour où elle est faite(2). Sur le pourvoi, il intervint un arrêt de rejet. La cour ne décide pas la question de principe en termes absolus. Elle écarte toutefois l'article 943 du code de procédure, qu'elle ne cite pas, pour s'en tenir à l'article 1456. L'arrêt constate d'abord, comme le faisait la cour de Poitiers, que l'inventaire avait été achevé dans le délai de trois mois, qu'il constatait la totalité des valeurs de la succession, qu'il était d'ailleurs reconnu exact et fidèle. La cour en conclut qu'il réunissait toutes les conditions substantielles exigées par l'article 1456. Quant au retard apporté à la clôture de l'acte et à l'affirmation, la cour décide que la loi n'attache pas la nullité à ce retard et, de plus, l'arrêt attaqué expliquait que le retard avait une cause légitime dans l'espèce. La cour de cassation s'approprie, au fond, le système de la cour de Poitiers, en jugeant que les conditions substantielles de l'inventaire étaient observées; et,

(1) Aubry et Rau, t. V, p 385, notes 11-13, § 515, et les autorités qui y sont citées.

(2) Poitiers, 7 mai 1857, et Rejet, 17 mai 1858 (Dalloz, 1858, 1, 351)

chose remarquable, elle cherche ces conditions dans l'article 1456 plutôt que dans le code de procédure.

403. Autre est la question de savoir si l'inventaire peut être fait après l'expiration du délai de trois mois à raison des circonstances exceptionnelles où la femme se trouve. La décision est très-simple si l'on veut rester fidèle aux principes. Il n'appartient pas au juge de créer des exceptions, puisque ce serait faire la loi, et dans le code il n'y a pas d'exception à la règle établie par l'article 1456. Cela est décisif. La cour de Bruxelles s'est prononcée en ce sens; elle admet cependant une excuse qui résulte des principes généraux de droit. L'article 1456 impose à la veuve l'obligation de dresser un inventaire dans les trois mois; il prononce une déchéance pour le fait seul de n'avoir pas rempli cette formalité dans le délai légal. La déchéance est une peine qui suppose que la femme a pu faire l'inventaire dans le délai de la loi. S'il y avait impossibilité de fait ou de droit, on ne pourrait plus dire que la veuve a violé la loi; elle répondrait qu'il n'y a pas d'obligation de choses impossibles et que la loi ne peut pas la punir pour n'avoir point fait ce qu'elle était dans l'impossibilité de faire. Quand cette impossibilité existe-t-elle? Ceci est une question de fait qui, par sa nature, est abandonnée à l'appréciation du juge. La cour de Bruxelles cite des exemples qui se sont présentés dans la jurisprudence (1). Nous croyons inutile d'entrer dans ce débat, les décisions de fait ne pouvant pas servir de précédents, puisqu'elles dépendent essentiellement des circonstances de la cause.

404. Dans le même ordre d'idées, on demande si l'inventaire peut être remplacé par un autre acte qui constate la consistance des biens de la communauté. La négative nous paraît certaine. Quand la loi veut se contenter d'un acte autre que l'inventaire, elle prend soin de le dire (article 1499); lorsqu'elle ne le dit pas, il faut s'en tenir au principe d'après lequel les formalités ne se suppléent pas

(1) Bruxelles, 12 août 1859 (Pasicrisie, 1860, 2, 218). Comparez les arrêts rapportés par Dalloz, au mot Contrat de mariage, nos 2150-2161, et Aubry et Rau, t. V, p. 419, note 30, § 517, et les auteurs qu'ils citent.

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