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cause, la femme et les héritiers du mari peuvent faire telles conventions qu'ils jugent convenables; la loi nʼintervient pas dans le règlement des intérêts purement privés; elle laisse, à cet égard, pleine liberté aux parties (1).

414. L'article 1457 ne parle que de la femme survivante. Que faut-il dire de la femme divorcée, séparée de corps ou de biens? Le code civil ne prescrit pas de formes dans ces cas, parce que dans le système de l'article 1463 la renonciation est tacite, en ce sens que la femme divorcée ou séparée de corps n'a pas besoin de faire une renonciation au greffe; il suffit qu'elle n'ait pas accepté dans le délai de trois mois et quarante jours pour qu'elle soit renonçante; les tiers sont donc avertis par la loi et par l'inaction de la femme. Dans notre opinion, l'article 1463 n'est pas applicable à la femme séparée de biens; le code de procédure confirme cette interprétation. En effet, l'article 874 porte: « La renonciation de la femme séparée de biens sera faite au greffe du tribunal saisi de la demande en séparation. Il n'y a pas de disposi tion analogue pour la femme séparée de corps ou divorcée; elles peuvent, sans doute, faire leur renonciation au greffe; mais c'est un acte inutile, puisque la renonciation tacite suffit; si la loi prescrit un acte solennel pour la femme séparée de biens, c'est qu'à son égard la renonciation n'est pas tacite.

415. Il faut appliquer à la femme séparée de biens ce que nous avons dit de la femme survivante; la solennité de la renonciation n'est requise qu'à l'égard des tiers créanciers. Entre le mari et la femme la renonciation peut se faire par voie de convention. La cour de cassation l'a jugé ainsi par application du principe général qui donne force obligatoire à toute convention intervenue sur des intérêts privés, lorsque l'ordre public et les bonnes mœurs ne sont pas en cause. Dans l'espèce, la femme avait expressément renoncé à la communauté, d'abord

(1) Rejet, 4 mars 1856 (Dalloz, 1856, 1, 131). Voyez le tome IX de mes Principes, p. 496, no 432

dans les conclusions prises lors de la demande en séparation, puis par le consentement qu'elle avait donné, dans la liquidation de ses reprises, à ce que le mari profitât seul des valeurs de la communauté sans faire d'autre réserve que celle d'exercer, le cas échéant, ses droits de survie; ce consentement avait été accepté par le mari, sanctionné et mis à exécution par le jugement qui avait liquidé les droits de la femme. Il y avait donc contrat, ce qui suffisait pour lier la femme à l'égard de son mari. La femme, au mépris de sa renonciation, provoqua le partage de la communauté; elle fut déclarée non recevable (1).

No4. PAR QUI ET POUR QUELLES CAUSES LA RENONCIATION PEUT ÊTRE ATTAQUÉE.

416. Il a été jugé que, à la différence de la renonciation à la succession, la renonciation à la communauté est irrévocable, en ce sens que la femme renonçante ne peut pas revenir sur sa renonciation (2). La cour de Bruxelles fait allusion à l'article 790 qui permet à l'héritier renonçant d'accepter encore la succession, tant qu'elle n'a pas été acceptée par d'autres héritiers et que la prescription du droit héréditaire n'est pas accomplie. Cette disposition, tout à fait exceptionnelle, ne peut recevoir d'application à la femme commune; il aurait fallu une disposition expresse pour que la femme pût revenir sur sa renonciation après qu'elle a consommé son droit d'option; le silence de la loi suffit pour que l'on doive maintenir le principe en vertu duquel la manifestation de volonté de la femme est irrévocable soit qu'elle renonce, soit qu'elle accepte.

417. Mais la femme est admise à attaquer sa renonciation dans les cas où elle peut attaquer son acceptation. Quand elle est mineure, le conseil de famille doit intervenir pour l'autoriser à renoncer à la communauté. Si elle renonce sans autorisation, l'acte est nul en la forme et, par suite, la femme en peut demander l'annulation en

(1) Dijon, 9 août 1826, et Rejet, 8 novembre 1827 (Dalloz, au mot Contrat de mariage, no 2251).

(2) Bruxelles, 5 août 1846 (Pasicrisie, 1848, 2, 355).

prouvant que les formes n'ont pas été observées. Nous renvoyons à ce qui a été dit plus haut de l'acceptation (n° 390); les principes sont identiques.

La femme majeure peut attaquer sa renonciation quand il Ꭹ a eu dol de la part des héritiers du mari. Il est vrai que la loi ne dit pas de la renonciation ce qu'elle dit de l'acceptation (art. 1455), mais il était inutile de le dire, puisque l'article 1455 ne fait qu'appliquer à l'acceptation les principes qui régissent toute manifestation de volonté, et les mêmes principes sont applicables à la renonciation (1).

La cour de cassation a jugé que la femme devait agir dans les dix ans, en vertu de l'article 1304, mais que le délai ne commence à courir, conformément à cet article, que du jour où le dol a été découvert, ce qui est une question de fait dont l'appréciation appartient aux juges du fond (2). Cela suppose que la renonciation est conventionnelle, car la prescription de dix ans établie par l'article 1304 n'est applicable qu'à l'action en nullité des conventions; dans l'espèce décidée par la cour de cassation, la renonciation avait eu lieu par transaction. Si elle se faisait au greffe, sans convention, l'article 1304 ne serait plus applicable; on rentrerait dans la règle génerale d'après laquelle toute action se prescrit par trente ans.

418. Aux termes de l'article 1464, « les créanciers de la femme peuvent attaquer la renonciation qui aurait été faite par elle ou par ses héritiers en fraude de leurs créances, et accepter la communauté de leur chef. » C'est l'application du principe de l'action paulienne; les créanciers peuvent attaquer les actes faits par leur débiteur en fraude de leurs droits (art. 1167). On demande si les créanciers de la femme doivent prouver que la renonciation est frauduleuse? La question paraît singulière quand on lit l'article que nous venons de transcrire peut-il y avoir une action paulienne sans fraude? Toutefois d'excellents auteurs enseignent que dans l'article 1464 il faut

(1) Aubry et Rau, t. V, p. 416, note 19, § 517 (4° éd.).

Rejet, 10 déc. 1816 (Dalloz, au mot Contrat de mariage, no 2244).

substituer aux mots en fraude de leurs droits, les expressions au préjudice de leurs droits (1). Ce sont les termes de l'article 788 qui prévoit le cas identique de la renonciation à une succession et qui semble accorder l'action paulienne aux créanciers, par cela seul que la renonciation leur est préjudiciable. Nous avons examiné, au titre des Obligations, la difficulté que présentent les renonciations en ce qui concerne l'action paulienne. Il nous semble que logiquement l'article 1167, qui établit le principe et qui exige la fraude, doit l'emporter sur une disposition qui ne fait qu'appliquer le principe; il nous paraît surtout impossible de changer le texte de l'article 1464, alors que cette disposition ne fait qu'appliquer la règle de l'article 1167; si erreur il y a dans la loi, c'est dans l'article 788, qui s'écarte du principe, et non dans l'article 1464, qui l'applique. Nous maintenons donc la condition de fraude, sans laquelle il ne saurait y avoir d'action paulienne (2).

419. Quel est l'effet du jugement qui annule la renonciation? Quand c'est la femme qui demande la nullité pour cause de minorité ou pour cause de dol, elle se trouve replacée dans l'état où elle était avant d'avoir renoncé, c'est-à-dire qu'elle conserve son droit d'option, et elle l'exerce d'après le droit commun. Si les créanciers ont obtenu l'annulation de la renonciation faite en fraude de leurs droits, le jugement ne produit d'effet qu'à leur égard et dans leur intérêt; la renonciation subsiste quant à la femme. C'est le droit commun en matière d'action paulienne; le débiteur qui agit en fraude de ses créanciers ne peut pas profiter de l'annulation de l'acte frauduleux, personne ne pouvant retirer un avantage de son dol. Nous renvoyons à ce qui a été dit au titre des Obligations.

(1) Aubry et Rau, t. V, p. 416, note 22, § 517. Duranton. t. XIV, p 585, 462.

(2) Colmet de Santerre, t. VI, p. 279, no 121 bis.

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No 5. EFFET DE LA RENONCIATION.

420. Le code règle les effets de la renonciation après avoir traité du partage de la communauté, auquel il est procédé quand la femme l'accepte. Nous suivons le même ordre. Pour le moment, nous n'avons à nous occuper que du principe. La loi ne dit pas quel est l'effet de la renonciation; il faut appliquer par analogie l'article 785, aux termes duquel l'héritier qui renonce est censé n'avoir jamais été héritier. La femme qui renonce est donc censée n'avoir jamais été associée; la communauté reste au mari ou à ses héritiers pour l'actif et pour le passif (1). L'article 785 ne s'exprime pas en termes aussi absolus; il dit que l'héritier est censé n'avoir jamais été héritier, Cette expression, comme nous l'avons dit (no 411), implique une espèce de fiction. Il est impossible, surtout en matière de communauté, que la renonciation de la femme détruise tout ce qui s'est fait depuis la célébration du mariage. Et si la femme s'est obligée personnellement avec autorisation du mari, elle reste tenue de l'obligation qu'elle a contractée à l'égard des créanciers. Le mari a administré les biens de la femme, tous les actes qu'il a faits restent valables, malgré la renonciation de la femme. La fiction de la rétroactivité ne reçoit d'application que dans les limites de la loi. Nous dirons plus loin quelles sont ces limites.

SIV. Droits des héritiers de la femme.

421. La loi donne le droit d'option aux héritiers de la femme (art. 1453). Ceux-ci jouissent donc, en principe, des mêmes droits que la femme. Pour l'application du principe, il faut distinguer si la communauté se dissout par la mort de la femme ou si elle se dissout par la mort du mari, et si la femme vient à décéder avant d'avoir pu exercer son droit d'option.

(1) Rodière et Pont, t. II, p. 453, no 1179

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