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accordé à la veuve; il règle la durée de l'exception dilatoire que la veuve ou ses héritiers peuvent opposer aux créanciers qui les poursuivent et il détermine à charge de qui seront les frais des poursuites.

432. « Si la veuve meurt ayant terminé l'inventaire, ses héritiers auront pour délibérer un nouveau délai de quarante jours à compter de son décès» (art. 1461). Les héritiers de la veuve ont, en vertu du droit commun, un délai de trois mois et quarante jours pour faire inventaire de la succession et pour délibérer; pendant ce délai, ils ne sont pas tenus de prendre qualité ; ils peuvent, par conséquent, opposer aux créanciers l'exception dilatoire. Comment concilier le droit commun avec l'article 1461, qui semble n'accorder aux héritiers qu'un délai de quarante jours, pendant lequel ils pourront repousser les poursuites par l'exception dilatoire? Il est certain que l'on ne peut pas forcer les héritiers à prendre qualité dans les quarante jours, en acceptant ou en répudiant la communauté, car ce serait les forcer à prendre qualité comme héritiers, c'est-à-dire relativement à la succession délaissée par la veuve; en effet, ils ne peuvent accepter la communauté qui se trouve dans la succession sans accepter la succession; de même qu'ils renonceraient à la succession s'ils renonçaient à la communauté qui y est comprise; or, on ne peut pas les forcer à se prononcer sur l'acceptation ou la répudiation de la succession tant qu'ils sont dans le délai de trois mois et quarante jours, qui s'ouvre au décès de la veuve. Il suit de là qu'en règle générale les héritiers ont un délai de trois mois et quarante jours pour accepter la succession ou y renoncer, et ils ont ce même délai pour accepter la communauté ou y renoncer. On ne conçoit qu'un seul cas dans lequel les héritiers n'auraient que quarante jours pour délibérer, c'est quand ils acceptent immédiatement la succession de la veuve (1).

433. L'article 1461 ajoute : Les héritiers peuvent, au surplus, renoncer à la communauté dans les formes

(1) Duranton. t. XIV, p. 582, no 455. Mourlon, t. II, p. 94, no 219. Rodiere et Pont, t. II, p. 448, no 1169

établies ci-dessus. » C'est l'article 1457 qui règle ces formes. Il faut ajouter que la renonciation des héritiers de la femme peut être conventionnelle, de même que celle de la veuve; les droits et la situation sont identiques.

Enfin, l'article 1461 porte que les articles 1458 et 1459 sont applicables aux héritiers de la veuve. Il s'agit de la prolongation du délai de trois mois et quarante jours et de l'exception dilatoire qu'ils peuvent opposer aux créanciers. Nous renvoyons à ce qui a été dit plus haut.

§ V. Des droits de la veuve.

434. La loi accorde à la veuve certains droits qui n'appartiennent pas à ses héritiers, parce qu'ils sont fondés sur des considérations personnelles à la femme. Ce sont le deuil de la veuve (art. 1481), les aliments et l'habitation auxquels elle a droit pendant le délai pour faire inventaire et délibérer (art. 1465).

No 1. DU DEUIL DE LA VEUVE.

"

435. Aux termes de l'article 1481, « le deuil de la femme est aux frais des héritiers du mari prédécédé. L'article 1470 contient une disposition analogue pour la femme dotale. Dans l'esprit de la loi, ce droit de la veuve lui appartient donc sous tous les régimes; c'était l'ancienne jurisprudence. La raison en est que le deuil de la femme n'a rien de commun avec le régime concernant les biens. Le motif pour lequel le droit traditionnel l'accorde à la femme contre les héritiers du mari est général et reçoit son application à tous les cas, que la femme soit commune ou dotale, qu'elle accepte ou qu'elle renonce à la communauté; l'article 1481 le dit expressément de la femme renonçante; ce qui prouve qu'il s'agit d'un droit accordé à la femme en cette qualité, abstraction faite des conventions matrimoniales des époux.

C'est une maxime traditionnelle du droit français que la femme ne doit pas porter à ses frais le deuil de son mari. Cette maxime tient à la règle également tradition

nelle qui obligeait la veuve de rester en viduité pendant un an. Il paraissait juste, dit Lebrun, qu'on lui fournît les vêtements lugubres qui l'avertissaient des devoirs de son état. Cette considération explique la différence que la loi établit entre la femme et le mari. Pothier remarque que l'usage ne permet pas au mari de demander aux héritiers de la femme les frais de son deuil : il ne voit pas, dit-il, la raison de cette différence. On cite d'ordinaire. une loi romaine qui dit que le mari n'est pas obligé de porter le deuil de sa femme; Pothier répond que dans nos mœurs il n'en est plus ainsi, puisque le mari porte le deuil de la femme comme la femme porte le deuil du mari; il termíne en disant, avec le jurisconsulte romain, que nous ne pouvons pas rendre raison de tout ce qui a été établi par nos ancêtres. Peut-être la différence a-t-elle son origine dans une inégalité qu'au point de vue moral il est impossible de justifier. Le mari n'était pas tenu d'observer l'année de viduité que l'on imposait à la femme, dès lors il ne pouvait réclamer le deuil contre les héritiers de la femme; il est certain que ce droit serait étrange si le mari convolait à de nouvelles noces; les héritiers auraient pu lui répondre que se remarier et porter le deuil de la femme que l'on oublie si vite sont des choses contradictoires (1).

436. C'est une disposition qui tient aux mœurs, et le droit se modifie quand les moeurs changent. Nous en trouvons un singulier exemple dans Pothier. « On n'accorde pas de deuil, dit-il, aux femmes du bas peuple; telle qu'est la veuve d'un gagne-denier. » Pothier n'ajoute pas un mot de critique. Dans nos sentiments modernes, nous trouvons cette inégalité révoltante; les auteurs du code se sont bien gardés de la consacrer; ils mettent la femme du prolétaire sur la même ligne que celle du millionnaire. C'est seulement quand il s'agit de l'étendue de l'obligation qui incombe aux héritiers du mari que la loi tient compte de la position sociale des époux : « La va

(1) Toullier, VII, 1, p. 243, nos 266-268. Pothier, De la communauté, n 678. Lebrun, De la communauté, p. 222, nos 38 et 42.

leur du deuil, dit l'article 1481, est réglée selon la fortune du mari. "

La loi entend par deuil la créance que la femme a contre la succession de son mari, laquelle est tenue de lui. fournir la somme nécessaire pour porter le deuil. Ainsi les héritiers du mari ne fournissent pas les habits de deuil à la veuve, ils lui remettent une somme arbitrée eu égard à l'état et aux facultés du défunt; ce sont les expressions de Pothier. L'ancienne jurisprudence s'est maintenue dans nos mœurs (1).

Il faut encore suivre la tradition sur un autre point. On fait entrer dans les frais de deuil, dit Pothier, le prix des robes et autres habillements de deuil, tant de la veuve que de ses domestiques. Il y a un arrêt en ce sens de la cour de Pau: l'usage, dit-elle, a conservé l'habitude de faire porter aux domestiques le deuil de leurs maîtres, comme un hommage rendu à leur mémoire; dès lors cette dépense ne peut rester à la charge de la veuve, qui ellemême a droit à des habits de deuil (2).

No 2. DES ALIMENTS.

437. « La veuve, soit qu'elle accepte, soit qu'elle renonce, a droit, pendant les trois mois et quarante jours qui lui sont accordés pour faire inventaire et délibérer, de prendre sa nourriture et celle de ses domestiques sur les provisions existantes et, à défaut, par emprunt sur la masse commune, à la charge d'en user modérément » (art. 1465).

La loi accorde le droit aux aliments à la femme commune en biens, soit qu'elle accepte, soit qu'elle renonce. C'est un droit purement personnel à la femme survivante, d'après l'article 1465; les héritiers de la femme n'en jouissent pas. Quel est le motif de ce droit qui ressemble à un privilége? Il est très-difficile de le préciser, et cependant on doit le savoir pour décider les questions controversées

(1) Pothier, De la communauté, no 678. Toullier, t. VII, 1, p. 216, no 272. (2) Pau, 27 mai 1837 (Dalloz, au mot Contrat de mariage, no 2182).

que présente l'application du principe. On lit dans un arrêt récent de la cour de cassation que la disposition de l'article 1465 est inspirée par un sentiment d'humanité et de haute convenance (1). La cour de Rouen, dont la cour suprême a confirmé la décision, s'est prononcée dans le même sens. On a voulu, dit-elle, par respect pour l'affliction de la veuve, lui épargner, dans les premiers temps, le soin de se procurer des moyens de subsistance et de se chercher une habitation (2). » Aubry et Rau donnent un autre motif. La veuve, disent-ils, est en possession de la communauté; c'est elle qui administre, la loi lúi donne le droit de faire les actes de conservation et d'administration provisoire (art. 1454). L'inventaire qu'elle dresse se fait dans l'intérêt des créanciers et des héritiers du mari autant que dans le sien; tel est le motif principal pour lequel la loi donne à la femme les aliments et l'habitation pendant les délais pour faire inventaire et pour délibérer (3). Les deux motifs, comme nous le dirons plus loin, conduisent à des conséquences bien différentes; il importe donc de savoir lequel est le vrai.

Il n'a rien été dit, sur ce point, dans les travaux préparatoires. Il faut donc recourir aux dispositions du code. Donner à la femme les aliments et l'habitation parce qu'elle administre, c'est lui accorder un salaire. Pourquoi la femme serait-elle rémunérée de ses soins plutôt que le mari? Si la loi avait voulu indemniser la femme, elle aurait dû donner une plus grande extension aux droits qu'elle lui confère en posant comme principe que la femme aurait droit aux aliments et à l'habitation tant qu'elle administrerait; or, si elle accepte, elle reste en possession et elle administre jusqu'au partage. Considérés comme salaire, les droits de la femme s'expliquent difficilement, tandis qu'on les comprend comme disposition de faveur et d'humanité. Nous trouvons la même pensée dans l'article 1570: la femme dotale peut exiger les aliments pendant l'an du

(1) Rejet, chambre civile, 15 décembre 1873 (Dalloz, 1874, 1, 113).

(2) Rouen, 12 mai 1871 (Dalloz, 1872, 2, 203). Dans le même sens, Rodière et Pont, t. II, p. 306, no 1026.

(3) Aubry et Rau, t. V, p. 423, note 39, § 517 (4o éd.).

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