Page images
PDF
EPUB

deuil, aux dépens de la succession du mari, en abandonnant aux héritiers du mari l'intérêt de sa dot. Cette faveur est évidemment dictée par l'humanité; on ne veut pas que la femme tombe dans la misère au moment où elle perd son mari et que la vie d'aisance ou de richesse qu'elle avait fasse place à des privations. Le délai est moindre en cas de communauté, parce que la femme ne renonce à aucun de ses droits; elle peut prendre sa part dans la communauté, et néanmoins réclamer les aliments et l'habitation; toujours est-il que la situation de la veuve est généralement moins bonne que celle du mari survivant. Ne serait-ce pas cette situation qui a éveillé la sollicitude du législateur?

438. Quelle est l'étendue des droits de la femme? L'article 1465 lui permet de prendre sur le compte de la masse sa nourriture et celle de ses domestiques. Il ne parle pas des enfants. Ceux-ci sont héritiers de leur père; ils ont une fortune personnelle que le tuteur gère, et c'est aussi le tuteur qui est appelé à pourvoir à leur subsistance. La loi n'avait donc pas à s'occuper d'eux. Les auteurs distinguent entre les enfants communs et les enfants d'un précédent lit (1); cette distinction nous paraît arbitraire, elle ne repose ni sur le texte ni sur les principes; nous croyons inutile de la discuter.

Que faut-il entendre par aliments? Est-ce une créance purement alimentaire, proportionnée aux besoins de la veuve? L'article 1465 dit que la femme doit user modérément du droit qui lui est accordé. C'est le juge qui décidera, mais d'après quel principe? Sont-ce les besoins de la femme, ou est-ce la condition sociale du mari qu'il prendra en considération? On ne le sait. Nous croyons que c'est en ce dernier sens qu'il faut décider la difficulté. La loi le dit pour le deuil de la femme (art. 1481): si son deuil est proportionné à la fortune du mari, ses aliments seront-ils réduits au strict nécessaire? La jurisprudence s'est prononcée en faveur de cette opinion, ainsi que la

(1) Aubry et Rau, t. V, p. 423 et note 40. § 517, et les auteurs qui y sont cités.

doctrine on doit interpréter dans un esprit d'humanité les lois que l'humanité a dictées (1).

il

439. A charge de qui sont les aliments? Sur ce point, y a une différence entre le deuil et la créance alimentaire. L'article 1481 dit que le deuil est aux frais des héritiers du mari, tandis que l'article 1465 met les aliments à charge de la communauté; en effet, la femme les prend sur les provisions existantes qui appartiennent à la communauté; et s'il n'y en a pas, elle a le droit de faire. un emprunt au compte de la masse commune. Il est assez difficile de rendre raison de cette différence; il est probable que l'article 1481 est une conséquence de la maxime traditionnelle d'après laquelle c'est le mari pleuré qui doit payer le deuil; c'est une idée matérielle, mais elle remonte aux vieux âges, temps de barbarie et non de délicatesse. Toujours est-il que c'est la communauté qui paye les aliments; il pourra arriver indirectement que ce soient les héritiers du mari. S'il n'y a pas de provisions, la femme est autorisée à emprunter aux frais de la communauté, sans distinguer si la communauté est bonne ou mauvaise; est-elle mauvaise, la femme renoncera et, par suite, l'emprunt qu'elle fait tombera à charge des héritiers du mari, puisqu'ils devront supporter toutes les dettes qui grèvent la communauté. C'est peut-être dans la prévision de ce résultat que la loi veut que la femme use modérément du droit qu'elle lui accorde.

440. L'article 1465 dit que la femme a droit aux aliments pendant les trois mois et quarante jours qui lui sont accordés pour faire inventaire et pour délibérer. Que faut-il décider si la femme prend qualité avant l'expiration de ce délai? Elle renonce immédiatement, comme elle en a le droit, sans faire inventaire aura-t-elle néanmoins droit aux aliments? L'hypothèse contraire peut se présenter. La femme fait inventaire; le délai de trois mois ne lui suffit pas, elle en obtient la prorogation: aura-t-elle droit aux aliments jusqu'à l'expiration du nouveau délai? Ou

(1) Rodière et Pont, t. II, p. 306, no 1027. Voyez la jurisprudence dans le Répertoire de Dalloz, au mot Contrat de mariage, no 2272.

faut-il décider, dans l'un et l'autre cas, que le délai de trois mois et quarante jours est fixe, en ce sens que les aliments sont accordés pendant trois mois et quarante jours, sans distinguer si la femme a ou non pris qualité et si le délai est prorogé? La question est controversée; nous admettons cette dernière opinion, qui est consacrée par la jurisprudence (1). La solution dépend du motif sur lequel repose la créance alimentaire de la femme. Si l'on admet que l'article 1465 est fondé sur un sentiment d'humanité et de convenance, comme le dit la cour de cassation, l'on doit décider, par voie de conséquence, que le délai est fixe. Conçoit-on qu'un délai dicté par l'humanité varie d'après des circonstances purement accidentelles? Est-ce que l'humanité ne demande pas que la femme ait droit aux aliments, alors qu'elle est obligée de renoncer sans faire inventaire à cause du mauvais état de la communauté? Et l'humanité exigerait-elle que la femme eût droit aux aliments pendant un délai plus long, parce que l'inventaire n'a pu être achevé dans le délai ordinaire? Cela n'a pas de sens.

L'opinion que la jurisprudence a admise est aussi en harmonie avec le texte; l'article 1465 dit bien clairement que la femme a droit aux aliments pendant les trois mois et quarante jours qui lui sont accordés pour faire inventaire et délibérer. Ainsi la loi fixe le délai; dès lors il ne peut dépendre du juge de le proroger quand l'inventaire n'est pas achevé, ni de l'abréger quand il est achevé avant les trois mois, ou quand la femme prend parti sans faire inventaire.

L'opinion contraire invoque l'esprit de la loi et soutient que la femme n'a droit aux aliments que parce qu'elle administre et qu'elle fait inventaire; donc aussi longtemps que dure cette administration légale, ce qui peut être moins ou plus que trois mois et quarante jours. Nous avons dit notre avis sur ce point (n° 437); il est inutile d'entrer dans la discussion des opinions diverses des

(1) Metz, 10 mai 1860 (Dalloz, 1861, 5, 89). Rouen et Rejet, cités p. 453, notes 1 et 2.

auteurs, leurs contradictions leur enlèvent toute autorité (1).

No 3. DE L'HABITATION.

441. Le deuxième alinéa de l'article 1465 donne à la femme survivante un droit d'habitation; il est ainsi conçu: « Elle ne doit aucun loyer à raison de l'habitation qu'elle a pu faire, pendant ces délais, dans une maison dépendante de la communauté ou appartenant aux héritiers du mari; et si la maison qu'habitaient les époux à l'époque de la dissolution de la communauté était tenue par eux à. titre de loyer, la femme ne contribuera point, pendant les mêmes délais, au payement dudit loyer, lequel sera pris sur la masse. »

Quel est le motif de ce second droit? Il est également personnel à la veuve, ses héritiers ne peuvent pas le réclamer (art. 1495); il est accordé à la femme dans les mêmes circonstances que les aliments et pendant les mêmes délais; n'en faut-il pas conclure qu'il a le même fondement et la même nature? Il y a cependant un nouveau motif de douter, c'est l'opinion de Pothier; il dit que la communauté est censée avoir occupé la maison par les effets qu'elle y a et dont la femme, qui est restée dans la maison, n'est que la gardienne; c'est donc la communauté, dit-il, qui doit le loyer de la maison (2). Les auteurs du code ont-ils suivi l'opinion de Pothier? Il est difficile d'affirmer quoi que ce soit sur ce point, puisqu'on ne trouve rien dans les travaux préparatoires; mais il résulte de divers textes que le droit d'habitation et la créance alimentaire forment un seul et même droit; ils doivent donc avoir le même fondement : conçoit-on que le législateur accorde les aliments à la veuve par sentiment d'humanité et qu'il lui donne l'habitation à titre de salaire? A vrai dire, le logement est compris dans la créance alimentaire.

(1) Voyez, en sens divers, Aubry et Rau, t. V, p. 423, note 39, § 517, et les auteurs qu'ils citent. Il faut ajouter Colmet de Santerre, t. VI, p. 280, no 122 bis I. (2) Pothier, De la communauté, no 571.

En effet, le mot aliments a un sens technique, qui comprend l'habitation; le second alinéa de l'article 1465 complète donc le premier. Les deux dispositions réunies donnent à la femme le droit aux aliments, nourriture et habitation; elle a de plus les habillements, puisque le deuil lui est fourni par les héritiers du mari; nous croyons que tous ces droits ont un seul et même fondement, l'humanité et les convenances. L'article 1470 confirme cette opinion la femme dotale a toujours droit à l'habitation pendant l'année du deuil; ce n'est certes pas un salaire, il n'y a pas de communauté, les biens sont séparés; la femme, à la mort du mari, reprend sa dot, et neanmoins elle jouit de l'habitation aux frais de la succession du mari, disposition de pure humanité. Est-ce que l'humanité dépend du régime des époux? et pourquoi ce qui est de haute convenance sous le régime dotal serait-il un salaire sous le régime de communauté?

442. L'habitation que l'article 1465 accorde à la veuve n'a rien de commun avec le droit d'habitation dont le code traite au titre de l'Usufruit (1). Ce dernier droit est réel; tandis que l'article 1465 donne à la femme une créance alimentaire, c'est-à-dire un droit d'obligation. Le texte de la loi le prouve; la femme occupe la maison à titre de loyer, donc en vertu d'un droit de créance. Il n'y avait aucune raison d'établir un droit réel; il suffit que la femme ait un logement assuré, et le logement tel qu'elle l'avait du vivant de son mari, bien que cette habitation puisse dépasser sa fortune actuelle. Cela vient à l'appui de ce que nous venons de dire le droit a un caractère d'humanité et l'humanité ne lésine point.

443. A charge de qui est l'habitation de la femme? Est-ce la communauté ou sont-ce les héritiers du mari qui doivent la supporter? Il y a quelque incertitude sur ce point dans la doctrine. Nous croyons que c'est la masse commune qui doit payer le loyer de la maison que la femme habite. Il y a un cas dans lequel la loi elle-même le dit quand les époux tenaient à loyer la maison qu'ils

(1) Colmet de Santerre, t. VI, p. 281, no 122 bis III

« PreviousContinue »