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habitaient lors de la dissolution de la communauté, la femme continue à l'habiter sans contribuer au loyer, lequel, dit l'article 1465, est pris sur la masse. Si la maison appartenait à la communauté, le résultat est le même; la femme a le droit de l'habiter, sans devoir aucun loyer de ce chef; la charge pèse donc sur la masse. Reste le cas où la maison occupée par les époux et, après la mort du mari, par la femme, appartenait aux héritiers du mari; la femme ne doit aucun loyer, dit l'article 1465; est-ce à dire que les héritiers du mari soient tenus de supporter cette charge? La loi ne dit pas cela, et il serait contraire aux principes de le décider ainsi. En effet, l'habitation fait partie de la créance alimentaire de la femme; or, les aliments se prennent sur la masse commune; il en est de même du loyer dans deux cas, pourquoi en serait-il autrement dans le troisième? Ce serait une véritable anomalie qui n'aurait aucune raison d'être (1).

444. Il y a une hypothèse que la loi ne prévoit pas; de là de nouvelles incertitudes. Le bail de la maison occupée par les époux, et ensuite par la veuve, vient à cesser. On demande si la femme a droit à une indemnité de logement. Nous ne comprenons pas que la question soit controversée (2). Peut-il dépendre d'un hasard que la femme ait ou n'ait pas droit à l'habitation? Le premier alinéa de l'article 1465 fournit un motif d'analogie qui suffit pour décider la difficulté quand il n'y a pas de provisions existantes sur lesquelles la femme puisse prendre les aliments, elle est autorisée à pourvoir à ses besoins par voie d'emprunt, au compte de la masse. Si la masse doit, en toute hypothèse, fournir les aliments à la femme, pourquoi ne lui devrait-elle pas l'habitation? Il y a même raison de décider; pour mieux dire, c'est une seule et même obligation. Nous croyons inutile d'insister. Reste à savoir qui supporte la charge. Dans notre opinion, la question est décidée d'avance: la créance alimentaire est une dette de

(1) Colmet de Santerre, t. VI, p. 280, no 122 bis II. En sens contraire, Troplong, t. II, p. 30, no 1598, qu'il est inutile de combattre parce qu'il raisonne en dehors de tout principe.

(2) Voyez les auteurs cités par Aubry et Rau, t. V, p. 423, note 41, § 517.

communauté, donc c'est elle qui doit payer le loyer; la femme y contribuera si elle accepte, elle n'y contribuera si elle renonce.

pas

SECTION VII.

Liquidation de la communauté.

ARTICLE 1". Des récompenses.

445. Le mot récompense est une expression particulière à la communauté, il est synonyme d'indemnité; la loi emploie quelquefois les deux mots ensemble, de sorte que l'un sert à expliquer l'autre (art. 1403, 1406). Nous avons rencontré bien des cas dans lesquels il est dû récompense à la communauté ou par la communauté. Ainsi, d'après l'article 1403, la communauté n'a pas le droit d'ouvrir une mine pendant le mariage sur le fonds de l'un des époux; si l'époux ouvre la mine, les produits lui appartiennent; et si, de fait, ils sont versés dans la communauté, celle-ci doit récompense ou indemnité à l'époux, c'est-à-dire que retirant un bénéfice qui appartient à l'époux propriétaire du fonds, elle lui doit, de ce chef, une compensation pécuniaire. L'article 1406 décide que l'immeuble cédé par un ascendant à l'un des époux, à la charge de payer les dettes du donateur à des étrangers, lui reste propre, sauf récompense ou indemnité, c'est-à-dire que si la communauté paye ces dettes, elle les. paye pour le compte de l'époux débiteur; elle a droit à être indemnisée, de ce chef.

446. La communauté peut donc devoir des récompenses aux époux, et ceux-ci peuvent devoir des récompenses à la communauté. Pothier explique très-bien que ces récompenses respectives doivent être liquidées avant que l'on puisse procéder au partage, quand la femme accepte. Les époux ont-ils droit à des récompenses, ils sont créanciers de la communauté, cette créance devra être prélevée sur la masse avant que l'on puisse procéder au partage, puisqu'elle diminue la masse partageable. Par contre, si l'un des époux est débiteur d'une récompense, il faut qu'il en fasse le rapport à la masse avant que l'on procède au partage, puisque la masse partageable s'en trouve augmentée.

Si la femme renonce à la communauté, il est inutile de liquider les créances du mari contre la communauté, ni les indemnités dont il est débiteur; car, par l'effet de la renonciation, il n'y a plus de communauté, plus de masse partageable, tous les biens deviennent la propriété du mari; par suite, il se fait confusion, dans sa personne, de ce qu'il doit à la communauté et de ce que la communauté lui doit. Mais il est toujours nécessaire, en cas de renonciation, de liquider les récompenses de la femme contre la communauté, car elle a action, de ce chef, contre le mari ou ses héritiers. Et il faut pareillement liquider les indemnités qu'elle doit à la communauté, car elle en reste tenue à l'égard du mari (1).

447. Nous supposons, pour le moment, que la femme accepte. Il faut constituer, dans ce cas, la masse partageable et, par suite, liquider les récompenses respectives de la communauté et des époux. On appelle cette opération liquidation, parce qu'elle fait connaître clairement, d'une façon liquide (quod liquet), quelles sont les valeurs à partager. Quand les récompenses sont établies, on ajoute aux biens existants ce que les époux doivent à la masse et on en déduit ce que la communauté doit aux époux : l'excédant forme la masse partageable, c'est-à-dire l'actif net à partager. Avant de dire comment se font les rapports et les prélèvements auxquels les récompenses donnent lieu, il nous faut voir dans quels cas les époux et la communauté doivent des récompenses et quel en est le

montant.

§ Ier. Des récompenses dues par la communauté aux

époux.

QUAND LA COMMUNAUTÉ DOIT-ELLE RÉCOMPENSE AUX ÉPOUX?

I. Principe.

448. L'article 1433 énumère deux cas dans lesquels la communauté doit récompense aux époux, et il fixe le

(1) Pothier, De la communauté, no 582.

montant de la récompense. Mais la loi ne pose aucun principe. Pour comprendre cette singulière rédaction, il faut remonter aux origines du droit de récompense. C'est un principe traditionnel, mais il a changé de nature. Chose singulière, dans nos coutumes primitives, il n'y avait pas lieu à récompense au profit de l'époux lorsqu'un de ses propres était aliéné et que le prix en était versé dans la communauté. Pour que l'époux propriétaire eût droit à une récompense, il fallait que le contrat de mariage stipulât que les conjoints auraient remploi du prix de leurs propres aliénés; à défaut de remploi, ils pouvaient répéter le prix versé dans la communauté; en l'absence d'une clause de remploi, l'époux n'avait aucune reprise à exercer. Il est difficile de se rendre compte de ces vieux usages; on n'attachait de prix qu'aux immeubles; quand les immeubles étaient convertis en valeurs mobilières, la communauté en profitait. Toutefois il en résultait un inconvénient, c'était une voie ouverte aux conjoints de s'avantager, et les libéralités entre époux étaient généralement prohibées dans notre ancien droit. Pour empêcher ces avantages indirects, la nouvelle coutume de Paris accorda la reprise du prix, quoiqu'il n'y eût aucune convention. Comme la vente d'un propre était le moyen usuel de s'avantager, la coutume se borna à prévoir le cas d'aliénation; l'article 232 était ainsi conçu: « Si durant le mariage est vendu aucun héritage ou rente propre appartenant à l'un ou à l'autre des conjoints, le prix de la vente est repris sur les biens de la communauté, au profit de celui à qui appartenait l'héritage, encore qu'en vendant n'eût été convenu du remploi ou récompense et qu'il n'y ait eu aucune déclaration sur ce faite. » Cette disposition s'étendit par l'usage et l'autorité de la coutume de Paris à toutes les coutumes, et forma le droit commun. Pothier dit qu'elle est principalement fondée sur ce principe qu'il n'est pas permis à l'un des conjoints d'avantager l'autre à ses dépens durant le mariage. Toutefois le principe des récompenses fut admis même dans les coutumes qui permettaient aux époux de s'avantager. Pothier en donne comme raison qu'il y aurait de l'inconvénient à con

sidérer comme libéralité indirecte l'avantage qui résulte de l'aliénation d'un propre sans remploi, alors que rien ne prouvait que l'intention de l'époux vendeur était d'avantager son conjoint (1). Le code civil autorise aussi les donations entre époux en les déclarant révocables. S'il a consacré le principe des récompenses, ce n'est pas à raison des avantages inuirects que l'un des époux pouvait faire à l'autre, la récompense est fondée avant tout sur une considération d'équité. Les immeubles n'entrent pas en communauté, pourquoi y entreraient-ils s'ils sont aliénés? Puisque l'immeuble était propre à l'époux qui l'a vendu, le prix doit aussi lui rester propre, sinon l'aliénation des immeubles aboutirait à un changement des conventions matrimoniales; une valeur qui devait rester propre deviendrait une valeur commune.

449. L'origine du principe des récompenses explique la rédaction de l'article 1433; il reproduit l'article 232 de la coutume de Paris, en ajoutant à l'aliénation le rachat de services fonciers dus à un propre. Il est certain que cette énumération n'est pas restrictive, le texte même du code le prouve. Nous avons rappelé l'article 1403, qui donne à l'époux une récompense contre la communauté lorsqu'une mine est ouverte dans son fonds pendant le mariage et que les produits en sont versés dans la masse commune; ce cas n'est pas rappelé dans l'article 1433, ce qui prouve que la loi ne donne que des exemples. Pothier posait le principe en termes généraux; après avoir dit que chacun des conjoints est créancier de la communauté du prix de ses propres aliénés pendant le mariage, il ajoute :

On peut aussi établir pour principe général que chacun des conjoints est, lors de la dissolution de la communauté, créancier de tout ce dont il a enrichi la communauté à ses dépens. L'article 1437 a reproduit cette formule générale des récompenses pour les indemnités que les époux doivent à la communauté; il y a identité de raison pour les indemnités que la communauté doit aux époux (2).

(1) Pothier, De la communauté, no 585.

(2) Aubry et Rau, t. V, p. 352, note 3, § 511. Rodière et Pont, t. II.p. 220, no 933. Colmet de Santerre, t. VI, p. 185, no 78 bis II.

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