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lui appartenait pas. Or, le mari lègue la chose d'autrui lorsque l'effet tombe au lot de la femme; il n'en a jamais été propriétaire, tandis que la femme l'a toujours été ; il lègue donc une chose qui appartient à sa femme. Le legs devrait être nul, d'après l'article 1021. Pourquoi la loi lui donne-t-elle effet? Les auteurs du code ne nous en ont pas dit la raison de là incertitude et controverse. Les uns disent que l'article 1423 reproduit l'ancien droit qui validait le legs de la chose d'autrui quand le testateur savait qu'il n'en était pas propriétaire; or, le mari sait qu'il lègue un bien de la communauté, il sait que la chose léguée peut tomber au lot de la femme et que, dans ce cas, il dispose d'une chose qui ne lui appartient point; si néanmoins il la donne, quelle peut être son intention? C'est que le légataire ait droit à la valeur (1). Cette explication suppose que le législateur, en écrivant l'article 1423, avait oublié l'article 1021, ce que l'on ne peut guère admettre; il faut donc dire que l'article 1423 contient une exception au principe de l'article 1021. Quant au motif de cette exception, on peut le deviner. Le mari est seigneur et maître de la communauté; en léguant un objet de cette communauté, il semble disposer de sa chose; on doit lui supposer l'intention d'avoir fait une libéralité qui produise toujours son effet, quel que soit le résultat du partage. Or, il pourrait certainement dire qu'au cas où la chose tombe au lot de sa femme, il entend que le légataire ait droit à la valeur; l'article 1424 interprète la volonté du mari en ce sens. C'est toujours une dérogation à l'article 1021, mais elle se fonde sur l'intention probable du disposant, et c'est cette intention, après tout, qui est décisive en matière de legs (2).

Nous disons que l'on peut deviner le motif de l'article 1423, mais il ne faut pas aller trop loin dans cette voie. On s'est prévalu de l'article 1423 pour en induire que le legs de la chose d'autrui est toujours valable quand le testateur a dû nécessairement savoir que la chose était

(1) Dalloz, Recueil périodique, 1862. 2, 161, note.
(2) Celmet de Santerre, t. VI, p. 153, no 67 bis IV,

à autrui (1). Cette doctrine nous paraît contraire au texte et à l'esprit de l'article 1021 : le texte repousse la distinction que l'on y veut introduire, et l'esprit de la loi s'oppose à ce que l'on ressuscite une recherche d'intention que le législateur a voulu proscrire. Il y a un motif déterminant pour rejeter cette interprétation; c'est qu'elle repose sur une base on ne peut pas plus fragile, le sens de l'article 1423 que l'on fixe par voie divinatoire. On peut bien dire que le sens d'une loi paraît être celui que l'on suppose avoir été dans l'intention du législateur, mais ce sera toujours une interprétation incertaine; il faut donc se garder d'en tirer des conséquences.

35. La discussion à laquelle nous venons de nous livrer n'est pas oiseuse. S'il est vrai que l'article 1423 est une dérogation au principe de l'article 1021, il en faut conclure que c'est une disposition exceptionnelle, et partant de rigoureuse interprétation. De là suit que l'on ne peut pas l'étendre à la femme : la loi ne parle pas de la femme, elle reste donc sous l'empire du droit commun. Quand elle lègue un effet de la communauté, le legs sera valable si la chose léguée tombe dans le lot de ses héritiers, et il sera nul si la chose est mise au lot du mari (2).

36. Il ne faut pas confondre cette question avec celle de savoir si le legs d'un effet de la communauté fait par le mari à la femme est régi par l'article 1423. L'affirmative a été jugée et elle est certaine. Il ne s'agit pas, dans ce cas, du droit de la femme, il s'agit du droit du mari; or, la loi donne à celui-ci le pouvoir de disposer des effets de la communauté, sans distinguer au profit de qui il dispose; il en peut donc disposer au profit de la femme. Dans une espèce jugée par la cour de Bastia, la femme était légataire de l'usufruit d'un conquêt; cet immeuble tombant dans son lot, elle avait droit à une récompense pour la valeur de l'usufruit jusqu'à concurrence de la portion appartenant au testateur (3).

(1) Mourlon, t. III, p. 56, note. En sens contraire, Colmet de Santerre, 1. VI, p. 152, no 67 bis IV.

(2) Aubry et Rau, t. V, p. 330, note 17, § 509. Colmet de Santerre, t. VI. p. 153, no 67 bis V. En sens contraire, Duranton, t. IX, no 250.

(3) Bastia, 26 février 1840 (Dalloz, au mot Contrat de mariage, no 1189).

Toutefois le mari, en testant soit au profit de sa femme, soit au profit d'un tiers, peut déclarer que sa volonté est de ne disposer que de sa part dans les objets légués. Quel sera, dans ce cas, le droit de la femme? Il a été jugé que la femme devait prélever le legs avant tout partage; de cette manière elle prend dans les objets légués la part que le mari y avait; tandis que si le mari lui léguait la totalité de l'effet, comme l'article 1423 le suppose, la femme légataire pourrait d'abord demander le partage, puis réclamer contre les héritiers du mari, soit les objets légués s'ils y sont tombés en nature, soit leur valeur totale s'ils ont été mis dans son lot (1).

37. L'article 1423 suppose que le mari lègue un effet de la communauté pendant la durée de la société conjugale. Une fois la communauté dissoute, on rentre sous l'empire du droit commun Le mari ne peut plus disposer qu'à titre de copropriétaire par indivis des biens compris dans la masse; il est donc soumis à la règle du partage déclaratif: la disposition sera valable ou nulle, selon que la chose tombera dans le lot de ses héritiers ou dans le lot de la femme. C'est l'application littérale de l'article 1021 combiné avec l'article 1423(2). Ici revient le débat sur l'esprit de la loi. Si l'article 1423 était une disposition de principe, comme on le prétend, on devrait l'appliquer par voie d'interprétation extensive; tandis qu'une pareille interprétation est impossible quand on considère l'article 1423 comme une exception; nous venons de dire (no 34) qu'à notre avis le caractère exceptionnel de cette disposition n'est pas douteux.

No 3. RESTRICTIONS QUE REÇOIT LE POUVOIR DU MARI

38. Le pouvoir du mari était plus étendu sous l'ancien droit que sous l'empire du code civil: il était, à la lettre, seigneur et maître. Toutefois les coutumes apportaient une restriction très-importante à cette autorité absolue. Après

(1) Rejet, 18 mars 1862 (Dalloz, 1862, 1, 285). Rodière et Pont. t. II, p. 181, no 893.

(2) Paris, 6 mai 1861 (Dalloz, 1862, 2, 161).

avoir dit que le mari est seigneur, la coutume de Paris ajoute (art. 225): «En telle manière qu'il peut vendre les biens de la communauté, aliéner, ou hypothéquer, et en faire ou disposer, par donation ou autre disposition entrevifs, à son plaisir et volonté, sans le consentement de sa femme, à personne capable et sans fraude. » Sans fraude! Ces mots ne sont pas reproduits dans les articles 1421 et. 1422. Est-ce à dire que le pouvoir du mari aille jusqu'à disposer des biens communs en fraude des droits de la femme? Le droit et la morale protestent contre une pareille interprétation. Il est vrai que le mari est seigneur, mais il l'était bien plus sous l'ancien droit que dans le droit moderne; néanmoins on faisait exception pour la fraude. C'est qu'il est impossible d'admettre que le mari puisse compromettre et anéantir les droits de la femme par des actes frauduleux. La communauté est une société; quelle que soit l'autorité du mari, il reste vrai de dire que la femme a un droit de copropriété qui se réalisera par son acceptation. Or, conçoit-on que le mari ait le pouvoir légal de dépouiller sa femme de ce droit par des actes frauduleux? Ce n'est pas pour ruiner la femme que les coutumes le déclaraient seigneur et maître, c'est pour faire prospérer la société de biens dont il est le chef. D'ailleurs la fraude fait exception à toutes les règles : les créanciers peuvent attaquer les actes faits par leur débiteur en fraude de leurs droits; à plus forte raison cette faculté doit-elle appartenir à la femme, qui est plus que créancière, qui est copropriétaire.

39. Le principe n'est pas douteux. Reste à savoir quel est le sens de ces mots de la coutume sans fraude? Pothier les explique comme suit : « Le mari, seigneur des biens de la communauté, en peut disposer à son gré, sans le consentement de la femme. Néanmoins ces dispositions ne sont valables qu'autant qu'elles ne paraissent pas faites en fraude de la part que la femme a dans les biens lors de la dissolution de la communauté. Il ne peut surtout pas s'en avantager au préjudice de cette part. Ainsi il y a fraude quand le mari, en disposant, veut dépouiller la femme de la part qu'elle a dans le bien dont le mari dis

pose. Il y a surtout fraude quand le mari, en dépouillant sa femme, a pour but de s'enrichir lui-même. Le principal de la fraude, continue Pothier, est lorsque la disposition des biens de la communauté tend à avantager le mari au préjudice de la femme en la privant de la part qu'elle doit avoir un jour dans les biens de la communauté. C'était l'interprétation de Dumoulin : « sans fraude, c'est-à-dire sans s'enrichir lui ou ses hoirs en diminution de la communauté (1).

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Il y a donc deux cas de fraude: d'abord quand le mari diminue la communauté pour s'enrichir; c'est la fraude ordinaire. Il ne faut pas confondre ce cas avec celui de la récompense, prévu par l'article 1437. Les deux époux doivent récompense quand ils tirent un profit personnel des biens de la communauté; ils doivent indemniser la communauté. La loi ne suppose pas la fraude De la part de la femme, cela est impossible; elle ne peut tirer un profit de la communauté sans le concours du mari; or, on ne dira pas que le mari s'entend avec la femme pour frauder la communauté. La différence est grande entre le profit fait sans fraude par le mari et la spoliation de la femme par des actes frauduleux; dans le premier cas, l'acte qui a procuré un bénéfice au mari reste valable, il oblige seulement le mari à indemniser la communauté. Dans le second cas, l'acte frauduleux sera annulé sur la demande de la femme.

Il y a un second cas de fraude: le mari diminue la communauté, non pour s'avantager lui-même, mais pour frustrer la femme en avantageant des tiers. Ce sera en haine de la femme (2). Ces mauvaises passions sont rares : les hommes agissent plus par cupidité que par haine.

40. Quelle que soit la fraude, elle donne lieu à une action en nullité. C'est le droit commun établi par l'article 1167. Il ne s'agit pas d'une simple action en indemnité. La femme ne peut pas agir quand il n'y a pas de fraude, car le mari a le droit du propriétaire; il peut user

(1) Pothier, De la communauté, nos 467 et 481: (2) Aubry et Rau, t V, p. 326, § 509.

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