Page images
PDF
EPUB

que le prix ait été versé; et nier, ce n'est pas opposer une exception; le défendeur est dans son droit en niant, c'est seulement quand le demandeur a prouvé le fondement de sa demande que le défendeur doit prouver l'exception qu'il lui oppose. La cour de Bourges avait donc violé les articles 1315 et 1433 (1).

Faut-il appliquer les mêmes principes au cas où la femme réclame une récompense pour le prix de son immeuble aliéné? En droit, il n'y a pas de raison de faire une différence entre la femme demanderesse et le mari demandeur. Est-ce que, par hasard, la femme ne serait pas soumise à la règle de l'article 1315? Et si elle y est soumise, de quel droit la dispenserait-on de l'obligation qui lui incombe de prouver le fondement de sa demande? Cependant on le fait. Les auteurs enseignent que le mari est administrateur des biens personnels de la femme; ils en concluent qu'il est présumé avoir reçu le payement du prix si le prix était exigible et, par suite, ils rejettent sur le mari défendeur la preuve que le prix a été touché par la femme ou qu'il est encore dû par l'acquéreur (2). Nous n'hésitons pas à dire qu'il y a erreur et confusion dans l'opinion générale. On admet une présomption qu'aucune loi n'établit : c'est violer l'article 1351. Par suite, on dispense le demandeur de faire la preuve de sa demande : c'est violer l'article 1315. Voilà l'erreur, on ne saurait la contester, puisque les principes sont incontestables. Nous disons qu'il y a confusion. Payer au mari, c'est payer à la communauté, dit Troplong. Non, le mari ne reçoit pas

(1) Cassation, 13 août 1832 (Dalloz, au mot Contrat de mariage, no 1502). Comparez Rejet de la cour de cassation de Belgique, 10 juin 1869 (Pasicrisie, 1869, 1, 406). Cet arrêt n'est pas contraire à la décision de la cour de cassation de France: il décide que le fait seul que le mari a reçu les deniers emporte la preuve qu'ils ont été versés dans la communauté. Il était prouvé, dans l'espèce, que le mari avait reçu le prix de vente et qu'il n'en avait pas été fait remploi. Cette preuve était suffisante, tandis que, dans l'espèce jugée par la cour de cassation de France, le fait seul de la vente était prouvé; l'arrêt attaqué en tirait une présomption légale qui dispensait le demandeur de la preuve. Il y a un arrêt dans le même sens de la cour de cassation de France. Rejet, 9 avril 1872 (Dalloz, 1873, 1, 28). L'arrêtiste l'a mal interprété et mal formulė.

(2) Marcadé, t. V, p. 533, no II de l'article 1433. Rodière et Pont, t. II, p. 224, no 939. Troplong, t. I, p. 330, no 1096. Il y a un arrêt de la cour de Bruxelles dans le même sens du 8 juin 1855 (Pasicrisie, 1856, 2, 57).

XXII.

30

comme chef de la communauté; il reçoit comme administrateur des biens de la femme, et ce qu'il reçoit comme administrateur n'est pas versé nécessairement dans la communauté ; donc on accumule des présomptions que la loi ignore, et l'on confond ce que le mari fait comme administrateur des biens de la femme et ce qu'il fait comme seigneur et maître de la communauté. Que l'on ne nous objecte pas des probabilités; quelque fortes qu'elles soient, les probabilités ne deviennent une présomption que par la puissance de la loi; l'interprète ne peut pas donner à des probabilités de fait la force d'une présomption légale.

458. Quel est le montant de la récompense à laquelle l'époux a droit? Le code ne le dit pas en termes formels, mais le principe résulte du texte de l'article 1433. Dans les deux cas prévus par la loi, il s'agit d'un prix soit pour vente d'un propre, soit pour rachat de services fonciers; ce prix est versé dans la communauté; c'est ce prix, dit l'article 1433, que l'époux prélève sur la masse commune. Ainsi le montant de la récompense consiste dans la somme qui a été versée dans la communauté ou, comme dit Pothier, qui lui est parvenue. Peu importe que la communauté en ait profité; elle en profite toujours, en ce sens qu'elle devient propriétaire des deniers qu'elle reçoit; quant à l'emploi des deniers, il est étranger à la question des récompenses (no 456). Il n'y a donc pas à considérer la valeur de l'immeuble ou des services fonciers; elle peut être supérieure ou inférieure au prix, c'est le vendeur qui en profite ou qui en souffre, cela ne regarde pas la communauté; elle est tenue à récompense à raison des deniers qu'elle reçoit et qu'elle doit rendre.

L'article 1433 ne contient que des exemples, c'est-àdire des applications d'un principe; le même principe s'applique à toutes les récompenses que la communauté doit aux époux. Il faut donc le formuler en termes généraux : le montant de la récompense est déterminé par le montant de la somme versée dans la communauté. C'est la décision du texte; il est en harmonie avec l'esprit de la loi. Pourquoi l'époux a-t-il droit à une récompense?

Parce qu'une valeur à lui propre a été versée dans la communauté; il a le droit de reprendre ce qui y a été mis. Dans la doctrine traditionnelle, on dit que la communauté doit récompense de ce dont elle s'est enrichie. C'est la même idée, pourvu que l'on n'entende pas par le mot enrichir que la communauté ait retiré un profit de la somme qu'elle a encaissée (1).

459. L'article 1433 applique le principe à la vente d'un propre; il porte que l'époux prélève sur la communauté le prix qui a été versé dans la communauté. La coutume de Paris disait en termes plus clairs encore : le prix de vente est repris. C'est, au fond, la même idée, car les mots prélèvement et reprise sont synonymes dans le langage du code (art. 1471 et 1472), et le prélèvement, du prix constitue une des reprises que les époux font avant le partage. C'est donc le prix de la vente que l'époux vendeur reprend. Pothier donne le commentaire de ce texte. Si le propre a été estimé par le contrat de mariage, l'époux a-t-il droit à la reprise de cette estimation? Non, car l'estimation constate la valeur de l'immeuble lors du mariage; or, l'époux ne reprend pas la valeur, il reprend le pria, parce que c'est le prix qui a été versé dans la communauté et non la valeur. Par la même raison, l'époux ne reprend pas la valeur qu'avait l'immeuble lors de l'aliénation, car ce n'est pas la valeur qui a été versée dans la communauté, c'est le prix, et l'époux ne peut reprendre que ce que la communauté a reçu (2).

460. L'article 1433 dit que l'époux prélève le prix qui a été versé dans la communauté, c'est-à-dire le prix réel et non le prix simulé qui peut avoir été déclaré à l'acte par les parties contractantes; car c'est le prix réel qui est versé et que la communauté reçoit, ce n'est pas le prix fictif. La cour de cassation s'est prononcée en ce sens, et cela n'est point douteux. Dans l'espèce, le premier juge, s'attachant au sens vulgaire du mot prix, avait décidé que la récompense ne pouvait se faire que sur le pied de la

(1) Colmet de Santerre, t VI, p. 185, no 78 bis III.

(2) Pothier, De la communauté, no 586.

vente; donc, disait la cour de Lyon, c'est l'acte de vente qui est décisif. L'article 1436, invoqué par l'arrêt, ne dit pas ce qu'on lui fait dire : « La récompense n'a lieu que sur le pied de la vente, quelque allégation qui soit faite touchant la valeur de l'immeuble aliéné. » Il n'est pas dit en termes absolus que la reprise se fait sur le pied de la vente; la loi compare le prix porté au contrat avec la valeur de l'immeuble; elle dit donc, en d'autres termes, que l'époux reprend, non la valeur, mais le prix; il n'est pas question du prix réel comparé au prix fictif que les parties auraient déclaré au contrat. L'esprit de la loi ne laisse aucun doute. Qu'est-ce que l'époux reprend? Ce que la communauté a reçu; donc le prix réel qui y a été versé. L'interprétation de la cour de Lyon ouvrirait la porte à la fraude; pour mieux dire, elle faciliterait et consacrerait la fraude. Un immeuble de la femme est vendu 30,000 francs; le mari fait porter à l'acte un prix fictif de 20,000; il fraude le fisc et il fraude les droits de la femme si la reprise a lieu au prix déclaré; 30,000 francs auront été versés dans la communauté et la femme n'en reprendrait que 20,000. La récompense est fondée sur une considération d'équité et de justice; la communauté ne doit pas s'enrichir aux dépens des époux; or, elle s'enrichirait de 10,000 francs si, en ayant reçu 30,000, elle n'en rendait que 20,000 (1).

461. Le prix simulé donne lieu à une difficulté de preuve. On demande si l'époux vendeur est admis à prouver quel est le véritable prix et s'il peut faire cette preuve par témoins. Nous croyons que l'époux est admis à prouver par témoins quel est le prix qui a été versé dans la communauté. Il y a un cas dans lequel la question n'est pas douteuse. Le mari vend un propre pour 20,000 francs; Î'acte porte que la vente a eu lieu pour 30,000 francs; la déclaration est faite en fraude des droits de la femme; si la reprise se faisait sur le pied de l'acte, le mari reprendrait 30,000 francs, tandis qu'il n'en a versé que 20,000;

(1) Cassation, 14 février 1843 (Dalloz, au mot Contrat de mariage, no 3354). Rodière et Pont, t. II, p. 224, no 941, et tous les auteurs.

la communauté serait en perte de 10,000 francs, ce qui constitue une perte de 5,000 francs pour la femme. Celle-ci peut-elle prouver par témoins le fait de simulation et de fraude? L'affirmative est certaine. Il est de principe que les tiers sont admis à prouver, par témoins et par simples présomptions, la fraude commise à leur préjudice (art. 1348 et 1353); or, la femme est un tiers, donc elle peut prouver par témoins que le prix est, non de 30,000 francs, mais de 20,000. Nous renvoyons au titre des Obligations en ce qui concerne le principe.

Si c'est l'une des parties contractantes qui demande à prouver que le prix porté au contrat est simulé, la question devient difficile et douteuse. Il s'agit de savoir si l'on doit appliquer à l'espèce les principes qui régissent la preuve testimoniale. Aux termes de l'article 1341, il n'est reçu aucune preuve par témoins contre et outre le contenu aux actes. S'il faut appliquer cette règle, on ne pourra pas admettre la preuve testimoniale quand l'époux vendeur demande à prouver que le prix par lui déclaré à l'acte est simulé; en effet, ce serait prouver contre l'acte, et l'article 1341 défend de faire cette preuve par témoins. La cour de cassation s'est prononcée pour l'admission de la preuve testimoniale. Dans l'espèce, il s'agissait de la vente d'un propre de la femme faite par les deux époux; les héritiers de la femme demandaient à prouver par témoins que le prix déclaré à l'acte était simulé. On leur opposait l'article 1341; la femme étant partie à l'acte ne pouvait pas prouver par témoins contre l'acte. La cour de cassation répond que la règle de l'article 1341 reçoit exception dans les cas prévus par l'article 1348, notamment quand il y a quasi-délit; or, la dissimulation alléguée par les demandeurs était frauduleuse, donc elle constituait un quasi-délit de la part du mari à l'égard de la femme; la cour en conclut que la fraude peut être prouvée par témoins. Sans doute, la fraude et le dol se prouvent par témoins et par présomptions, mais la femme pouvait-elle invoquer ce principe, alors qu'elle-même avait participé à la simulation, qui avait probablement pour objet de frauder le fisc?

« PreviousContinue »