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Cela est très-douteux. Si la loi admet la preuve de la fraude par témoins, c'est qu'il a été impossible à celui qui l'allègue de s'en procurer une preuve littérale; or, les deux époux étant d'accord pour dissimuler le véritable prix, qu'est-ce qui les empêche de dresser une contre-lettre? L'article 1348 ne serait applicable que dans le cas où le mari aurait pratiqué des manœuvres frauduleuses pour engager la femme à déclarer un prix simulé et dans le but de faire fraude à son droit de récompense; dans cette hypothèse, il y aurait impossibilité morale pour la femme de se procurer une preuve littérale de la fraude commise à son préjudice et, par suite, la preuve testimoniale serait indéfiniment admissible. La cour de cassation donne un autre motif; lors même, dit-elle, que la femme aurait participé sciemment à la dissimulation du prix, ce fait ne pourrait lui être opposé, parce qu'il serait le résultat de l'ascendant marital. N'est-ce pas établir en faveur de la femme une présomption que la loi ignore? D'après l'article 1348, elle devrait prouver qu'elle a été dans l'impossibilité de se procurer une preuve littérale de la dissimulation à laquelle elle-même a concouru. La cour la dispense de cette preuve, en disant que son concours à la déclaration n'est ordinairement que le résultat forcé de l'ascendant marital (1). Le législateur seul peut dispenser le demandeur de la preuve qui lui incombe en établissant une présomption en sa faveur, et nulle part la loi n'établit la présomption que la femme n'est pas libre alors qu'elle figure dans un acte avec son mari.

La cour de Douai a formulé nettement la doctrine que nous combattons. Elle distingue, en ce qui concerne la preuve de la dissimulation, entre le mari et la femme. Au mari, elle applique l'article 1341; l'acte fait foi à son égard du prix qu'il énonce, parce qu'il est maître de la rédaction de l'instrument et, par suite, il ne peut être admis à prouver contre son contenu. Il n'en est pas de même de la femme; elle ne stipule au contrat que sous l'influence

(1) Cassation, 14 février 1843 (Dalloz, au mot Contrat de mariage, no 3354), et 30 décembre 1857 (Dalloz, 1858, 1, 37).

de l'autorité maritale; son consentement n'est pas suffisamment volontaire et libre pour être obligatoire de sa part, quand ses droits se trouvent compromis par une fausse énonciation. Voilà bien la présomption par suite de laquelle la femme est dispensée de la preuve qu'elle devrait faire d'après l'article 1348 (1). Nous ne croyons pas que le juge puisse se fonder sur ce qui arrive ordinairement pour en induire que la femme n'est pas libre; le législateur seul a ce droit. Notre conclusion est que la preuve par témoins de la dissimulation du véritable prix ne peut pas se faire, si l'on admet que la question doit se décider d'après les principes des articles 1341 et 1348.

462. Il y a une autre opinion qui écarte l'article 1341, comme n'étant pas applicable à la question que nous discutons. En disant que la preuve par témoins n'est pas admise contre l'acte, l'article 1341 a en vue les rapports des parties contractantes entre elles, les droits et obligations qui sont constatés par l'acte; l'une d'elles n'est pas admise à prouver que ces droits ne sont pas tels que l'acte les formule; elle ne peut, du moins, pas faire cette preuve par témoins, parce que lettres passent témoins. Or, quand le mari ou la femme demandent à prouver que le prix véritable a été dissimulé dans l'acte, le débat n'existe pas entre les parties contractantes, vendeur et acheteur; l'acheteur est hors de cause; il s'agit de savoir quel est le prix qui a été versé dans la communauté, et dont celle-ci doit récompense. C'est un tout autre ordre d'idées, qui est étranger à la maxime que lettres passent témoins (2). L'interprétation est ingénieuse, mais n'est-elle pas en opposition avec les termes absolus de l'article 1341? « Il n'est reçu aucune preuve par témoins contre et outre le contenu aux actes. » Donc ceux qui y figurent doivent avoir soin de se procurer une preuve littérale de la réalité des faits quand elle est dissimulée dans l'acte, sinon on peut leur opposer la règle de l'article 1341.

(1) Douai, 28 avril 1851 (Dalloz, 1852, 2, 290).
(2) Aubry et Rau, t. V, p. 353, note 5, § 511 (4o éd.).

Nous hasarderons une autre explication, qui écarte également l'application de l'article 1341. Il est de principe que les faits purs et simples se prouvent indéfiniment par témoins. Or, quel est, dans l'espèce, le fait dont le demandeur en récompense veut faire la preuve? C'est le fait qu'une somme a été versée dans la communauté par l'un des époux. Ce fait devait-il être constaté par écrit? On peut soutenir que c'est un fait matériel. Le fait juridique, dans l'espèce, c'est la vente, c'est encore le remploi du prix; mais le fait du versement d'une somme dans les caisses de la communauté est un fait pur et simple ou matériel, donc on peut le prouver par témoins. Ce n'est pas se mettre en opposition avec l'article 1341. Il ne s'agit pas de savoir quel est le prix de la vente, il s'agit de savoir quelle somme a été versée dans la communauté. Supposons qu'une partie seulement du prix ait été versée dans la communauté, la partie intéressée ne sera-t-elle pas admise à prouver quelle est la somme précise qui a été versée? La preuve par témoins serait certainement admise, c'est la seule preuve possible des faits. Le mari reçoit le prix payé par l'acheteur; voilà un fait juridique qui doit être prouvé d'après la règle de l'article 1341. Après cela, le mari verse tout ou partie du prix dans la communauté, voilà un fait matériel. On peut encore dire que la femme est dans l'impossibilité de se procurer une preuve littérale de ce fait, car elle n'y concourt point. Le mari lui-même ne pourrait dresser un écrit ni faire dresser acte du dépôt qu'il fait dans ses mains, car ce dépôt ne prouverait pas que le prix est parvenu à la communauté; il ne reste que la preuve testimoniale et les présomptions.

Nous ajouterons que l'admission de la preuve testimoniale est le seul moyen de garantir les droits des époux, et surtout de la femme. La loi lui assure un droit à la récompense, elle lui accorde même des priviléges pour en garantir la reprise. A quoi serviraient ces garanties si la femme devait prouver par écrit le fait du versement? Le plus souvent la preuve serait impossible, et le droit de la femme périrait faute de preuve. Il y a des auteurs et

des arrêts qui se sont placés exclusivement sur le terrain les récompenses (1). En conséquence, ils admettent le mari aussi bien que la femme à prouver par témoins quelle est la somme qui a été versée dans la communauté. Avant tout, dit-on, il faut maintenir la composition du fonds commun et du patrimoine propre des époux dans les termes de la loi : c'est le but des récompenses. Cela est vrai, mais reste la difficulté de la preuve, et elle est grande. Ce n'est pas la résoudre que de l'écarter en la passant sous silence.

463. Les mêmes principes s'appliquent à tous les cas où il y a lieu à récompense en faveur des époux. Si l'immeuble propre d'un époux a été donné en payement d'une dette de la communauté, celle-ci doit récompense, mais de quelle somme? Est-ce de la valeur de l'immeuble? Non; il est dû récompense de la somme qui a été versée dans la communauté; dans le cas de dation en payement, c'est le montant de la dette qui constitue le versement, c'est donc cette somme que l'époux a le droit de reprendre. Cela est aussi fondé en raison. La communauté rend ce qu'elle a reçu; or, elle n'a reçu que la somme nécessaire pour payer sa dette. C'est de cela qu'elle s'est enrichie, comme on le dit d'ordinaire, et elle n'est tenue qu'en tant qu'elle s'est enrichie (2).

464. L'article 1433 prévoit le cas du rachat de services fonciers dus à des héritages propres à l'un des époux. De quoi lui est-il dû récompense? C'est une vente d'une partie de la propriété; il faut donc appliquer le principe de la vente, c'est-à-dire que l'époux a le droit de reprendre le prix qui a été versé dans la communauté.

Pothier prévoit une autre hypothèse qui n'est guère pratique, mais qui fait bien ressortir le principe. Il suppose trois héritages contigus: celui du haut est un propre, celui du milieu appartient à un voisin, celui du bas est un conquêt. Je fais avec mon voisin une convention par

(1) Rodière et Pont, t. II, p. 226, no 942. Besançon, 21 juin 1845 (Dalloz, 1851, 5, 93).

(2) Colmet de Santerre, t. VI, p. 186, no 78 bis V.

laquelle j'affranchis son héritage d'un droit de servitude qu'il devait à mon propre; comme prix de cette renonciation, le voisin affranchit le conquêt d'une servitude que celui-ci devait à son héritage. Il m'est dû récompense, puisque j'ai enrichi la communauté par l'affranchissement d'un droit de servitude qui grevait son fonds, et c'est à mes dépens que je lui ai procuré cet avantage en faisant remise de la servitude qui était due à mon propre. Quel sera le montant de cette récompense? Pothier répond que c'est la somme que vaut l'affranchissement de la servitude dont le conquêt était chargé; en effet, la communauté s'est enrichie de cette somme, mais Pothier ajoute une réserve : 66 Jusqu'à concurrence seulement de la somme que vaut la servitude dont j'ai fait remise, de sorte que si celle-ci valait 1,000 francs, tandis que la servitude qui grevait le conquêt en valait 1,200, la communauté ne devrait qu'une récompense de 1,000 francs. Pourquoi la communauté ne doit-elle pas la somme de 1,200 francs dont elle profite? C'est qu'elle ne doit pas récompense du profit qu'elle a retiré de la somme qu'elle a reçue, elle doit récompense de la somme qui a été versée; or, qu'ai-je versé dans la communauté? La valeur de mon droit de servitude, 1,000 francs; donc je ne puis réclamer que 1,000 francs (1).

465. L'article 1403 donne droit à une récompense à l'époux sur le fonds duquel il a été ouvert une mine ou une carrière pendant le mariage, si les produits ont été versés dans la communauté. Quel sera le montant de la récompense? On suppose que, déduction faite des dépenses d'ouverture et d'exploitation, les produits s'élèvent à 30,000 francs. Est-ce de cette somme que la communauté devra récompense? Oui, mais, dit-on, avec la restriction que fait Pothier. Il faut voir ce que l'époux propriétaire du fonds verse dans la communauté; or, il n'y verse que la somme qui représente la diminution de valeur que son fonds éprouve par suite de l'ouverture et de l'exploitation

(1) Pothier, De la communauté, no 607. Colmet de Santerre, t. VI, p. 186, no 78 bis V.

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