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de la mine. Supposons qu'il y ait une diminution de vaeur de 25,000 francs; il n'aura versé dans la communauté que cette somme, partant il n'a droit qu'à une récompense de 25,000 francs. C'est la solution de Duranton (1); elle nous laisse un doute. L'époux a le droit de reprendre ce qu'il a versé; or, il a réellement versé 30,000 francs, donc il reprend cette somme. Il y a une différence entre cette hypothèse et celle de la servitude supposée par Pothier. Quand je renonce à une servitude qui vaut 1,000 francs, je ne verse réellement que 1,000 francs dans la communauté; peu importe que ma renonciation procure un plus grand profit à la communauté ; la communauté rend la valeur qu'elle a reçue et non le profit qu'elle en tire. Dans le cas de l'article 1403, la communauté reçoit, on le suppose, 30,000 francs, elle doit les rendre; il n'est pas exact de dire que l'époux ne s'appauvrit que de 25,000 francs, il s'appauvrit de ce qu'il verse, et il verse réellement 30,000 francs; or, il est dû récompense à l'époux de ce qu'il a versé dans la communauté.

Il est aussi dû récompense à l'époux, en vertu de l'article 1403, s'il a été fait une coupe dans un bois qui lui appartient, alors que, d'après l'aménagement, cette coupe aurait dû être faite plus tard. Quel sera le montant de la récompense? Une coupe qui ne devait être faite qu'en 1877 l'a été en 1870, et la communauté s'est dissoute en 1875. Il est dû une indemnité à l'époux propriétaire de ce qu'a produit la coupe, mais déduction faite de la valeur des deux années qu'avait le bois au jour de la dissolution de la communauté; c'est là ce que l'époux a réellement versé dans la communauté (2).

II. Des droits viagers.

1. VENTE D'UN PROPRE POUR UN DROIT VIAGER.

466. Applique-t-on les principes généraux à l'aliénation d'un propre quand le prix consiste en une rente via

(1) Duranton, t. XIV, p. 462, no 335.

(2) Duranton, t. XIV, p. 463, no 337.

gère ou un usufruit? La question soulève deux difficultés. On demande d'abord s'il y a lieu à récompense. Et en supposant qu'une récompense soit due, on demande quel en est le montant.

Nous croyons qu'il faut appliquer à l'aliénation d'un propre moyennant un droit viager le principe général établi par l'article 1433. La loi ne distingue pas en quoi consiste le prix que l'époux reçoit pour l'aliénation d'un propre; pourvu qu'il y ait un prix et que ce prix soit versé dans la communauté, celle-ci doit rendre ce qu'elle a reçu. Or, quand je vends un immeuble pour une rente viagère, il est certain qu'il y a un prix, sauf à voir en quoi il consiste; donc il y a lieu à récompense. Il en était ainsi dans l'ancien droit. On ne discutait pas même la question, tellement la solution paraissait évidente en présence du texte de la coutume; il y a un prix, il est versé dans la communauté donc l'époux le reprend. La seule difficulté était de savoir quel était le chiffre de la récompense que l'époux pouvait réclamer et d'après quelles bases on en fixait le montant; c'est le seul point que Pothier et Lebrun examinent. Cela suffit, nous semble-t-il, pour trancher la question. Le code a reproduit la disposition de la coutume de Paris; il faut donc l'entendre telle qu'on l'entendait dans l'ancien droit, à moins que l'on ne prouve que le code déroge à la tradition (1).

On l'a soutenu. L'article 588, dit-on, considère les arrérages de la rente viagère comme le produit du droit à la rente, et il les assimile aux intérêts. De là on conclut que la communauté a droit aux arrérages à titre de fruits civils, sans être tenue à aucune restitution, pas plus que l'usufruitier. Qu'est-ce, dans ce système, que l'aliénation d'un immeuble moyennant une rente viagère? C'est l'échange d'un propre contre un autre propre. La rente viagère reste la propriété de l'époux vendeur; de ce chef, il n'a aucune récompense à réclamer; s'il survit, il conserve son droit à la rente; s'il prédécède, son droit s'éteint,

(1) Aubry et Rau, t. V, p. 352 et note 4, § 511. Cette opinion est trèsbien défendue par Colmet de Santerre, t. VI, p. 191, no 78 bis XI.

à la vérité, mais cela n'empêche pas que la rente lui ait été propre et qu'elle lui ait tenu lieu de l'immeuble aliéné. Quant aux arrérages perçus par la communauté, l'époux n'y a aucun droit, puisqu'ils appartiennent à la communauté à titre de fruits (1). La cour de cassation répond que cette doctrine confond deux hypothèses tout à fait différentes. L'article 588 règle les rapports entre le nu propriétaire et l'usufruitier; il décide la question de savoir en quoi consiste la substance d'une rente viagère, substance que l'usufruitier doit conserver pour la rendre à l'extinction de l'usufruit. La disposition ainsi entendue s'applique aussi à la communauté usufruitière. Si l'un des époux a une rente viagère lors du mariage et si cette rente lui reste propre, la communauté, qui a la jouissance des propres, percevra les arrérages de la rente sans être tenue, de ce chef, à aucune restitution; si la rente existe encore lors de la dissolution de la communauté, l'époux crédirentier la reprend, comme il reprend tous ses propres. Autre est la question des récompenses; elle se décide, non par l'article 588, mais par l'article 1433. La communauté avait la jouissance d'un immeuble qui lui rapportait un revenu de 1,200 francs. Cet immeuble est aliéné moyennant une rente viagère de 2,000 francs : l'époux vendeur verse-t-il le prix de son propre dans la communauté? Telle est la question de récompense. Or, il est bien certain que les arrérages représentent une partie du capital, donc une partie du fonds; par conséquent, une partie du fonds est versée dans la communauté. La communauté n'a aucun droit au fonds, ni au capital du prix, ni, par conséquent, à la partie des arrérages qui tiennent lieu du fonds; elle doit donc rendre cette partie des arrérages, comme elle rend le prix du capital qu'elle reçoit. Qu'elle reçoive le fonds sous forme de prix ferme, ou sous forme de produits viagers, qu'importe? Elle s'enrichit, dans toute hypothèse, aux dépens de l'époux propriétaire; celui-ci, versant dans la communauté une partie de son fonds, a droit, de ce chef, à une récompense.

(1) C'est l'opinion de Rodière et Pont, et des auteurs qu'ils citent (t. II. p. 230, note 2).

On objecte les conséquences absurdes auxquelles conduit l'opinion généralement suivie. Supposons, dit-on, que la communauté dure quarante années après que l'un des époux a aliéné son propre pour une rente viagère : elle devra la différence qui existe entre le revenu ordinaire et les arrérages de la rente: 800 francs, dans l'exemple que nous avons donné; donc, après quarante ans, l'époux aura droit à une récompense de 32,000 francs, et il reprendra de plus sa rente. Pourquoi cela est-il absurde? Est-ce que l'époux n'a pas versé dans la communauté 32,000 francs qui lui étaient propres, parce qu'ils représentent le prix d'un propre? Ce prix est supérieur à la valeur de l'immeuble aliéné, mais qu'importe? L'époux reprend son prix, et la communauté rend ce qu'elle a reçu (1). Supposons que ce résultat soit absurde, nous dirons encore: Qu'importe? C'est au législateur à prendre en considération les résultats et les conséquences des principes qu'il consacre; le juge n'a pas à s'en inquiéter, il applique la loi telle quelle; est-elle mauvaise, que l'on s'adresse au législateur.

467. Il nous reste à voir comment on détermine le montant de la récompense. Nous croyons qu'il faut suivre la tradition sur ce point, comme sur la question que nous venons d'examiner. C'est l'opinion consacrée par la jurisprudence. Pothier pose comme principe que la récompense consiste dans la somme dont les arrérages de la rente, perçus depuis l'aliénation de l'héritage jusqu'à la dissolution de la communauté, excèdent les revenus dudit héritage, lesquels seraient tombés dans la communauté si le propre n'avait pas été aliéné. Le principe découle du motif sur lequel la récompense est fondée. Les arrérages se composent de deux éléments au point de vue des droits de la communauté; d'abord les intérêts du prix capital qui a servi à fixer le montant de la rente, puis une partie du capital qui varie d'après l'âge du crédirentier. La communauté ne doit pas de récompense pour la partie des

(1) Cassation, 8 avril 1872 (Dalloz, 1872, 1, 108). Rejet, 1er avril 1868 (Dalloz. 1868, 1, 311). Les cours d'appel sont partagées, mais les arrêts sont antérieurs à l'arrêt de cassation. Voyez les citations dans Aubry et Rau et dans Rodière et Pont.

arrérages qui représente les revenus de l'immeuble, car elle a droit à la jouissance des propres. Elle ne doit récompense que pour la partie des arrérages qui représente le capital ou le fonds, car elle n'a pas droit au fonds, ni au capital qui le représente.

Pothier donne l'exemple suivant. Le revenu du propre aliéné était de 600 livres par an; il est aliéné pour une rente viagère de 1,000 livres; la communauté dure dix ans depuis l'aliénation. De quoi la communauté doit-elle récompense? La rente viagère excède de 400 livres par an le revenu de l'immeuble aliéné; c'est, pour dix ans qui en ont couru depuis l'aliénation, une somme de 4,000 livres dont la communauté a profité et dont l'époux vendeur doit avoir la reprise. Si la communauté s'est dissoute par la mort du crédirentier, la rente s'est éteinte par la même cause; les héritiers de l'époux n'auront que la récompense, telle que nous venons de la calculer. Si c'est l'époux crédirentier qui survit, il a droit de reprendre la rente qui lui est propre : c'est le droit commun (1).

2. ALIENATION D'UN DROIT VIAGER.

468. L'un des époux peut avoir un droit viager en propre, soit une rente viagère stipulée propre par contrat de mariage, soit un usufruit immobilier. On suppose qu'un usufruit immobilier est aliéné : cette aliénation donne-t-elle lieu à récompense? La question est controversée et douteuse. Jusqu'ici Pothier nous servait de guide et, dans le doute, nous nous rattachions à la tradition. Ce guide nous fait défaut dans la question que nous venons de poser. Pothier a varié; nous sommes donc en présence de deux opinions contraires, s'appuyant l'une et l'autre sur l'autorité de Pothier. La plupart des auteurs suivent celle qu'il a enseignée en dernier lieu dans son Traité de la commu

(1) Pothier, De la communauté, no 594. Aubry et Rau, t. V, p. 356, note 11,§ 511, et les deux arrêts cités plus haut, p 482. Il faut ajouter Bordeaux, 10 mai 1871 (Dalloz, 1871, 2, 219). Colmet de Santerre, t. VI, p. 193, no 78 bis XII, a un autre système, sur lequel nous allons revenir.

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