Page images
PDF
EPUB

nauté (no 592); nous préférons celle qu'il professe dans son Introduction à la coutume d'Orléans (titre X, no 106).

Pour résoudre la question, il faut faire une distinction. La communauté peut se dissoudre par la mort de l'époux sur la tête de qui le droit viager, tel que l'usufruit, était constitué, ou elle peut être dissoute par la mort de l'autre conjoint, par le divorce, la séparation de corps ou la séparation de biens. Dans cette dernière hypothèse, il n'y a pas de difficulté; tout le monde est d'accord pour dire qu'il y a lieu à récompense; le dissentiment reparaît quand il s'agit de fixer le montant de la récompense; nous reviendrons sur ce point. Il faut voir avant tout si l'époux survivant, divorcé, séparé de corps ou de biens,a droit à une récompense. L'époux qui a un usufruit immobilier l'aliène, le prix de son propre est versé dans la communauté; récompense est due à l'époux parce que le prix d'un propre est versé dans la communauté. On est dans le texte de la loi. On ne peut pas objecter à l'époux vendeur que son droit est viager et qu'il se serait éteint par sa mort; car, dans l'espèce, le droit ne se serait pas éteint, puisque l'époux usufruitier, survivant à la dissolution de la communauté, aurait repris son droit d'usufruit; il ne peut pas le reprendre, puisqu'il l'a aliéné; il a donc droit de reprendre ce qui a été versé dans la communauté par suite de cette aliénation, sinon la communauté s'enrichirait à ses dépens, puisqu'elle profiterait du prix d'un droit qui est propre à l'époux usufruitier. L'esprit de la loi est donc d'accord avec le texte pour donner à l'époux droit à une récompense; ce droit nous paraît certain.

Il n'en est pas de même quand la communauté se dissout par la mort de l'époux sur la tête de qui l'usufruit était constitué; nous prenons l'usufruit comme exemple; ce que nous en dirons s'applique naturellement à la rente viagère. Pothier enseigne, dans son Introduction à la coutume d'Orléans, que l'époux qui aliène l'usufruit n'a pas droit à une récompense dans cette hypothèse. Pour qu'il y ait lieu à récompense, dit-il, il faut que l'époux ait perdu par l'aliénation une valeur propre qu'il aurait eu le droit de reprendre à la dissolution de la communauté ; la

[ocr errors]

récompense l'indemnise de cette perte. Il n'y a plus lieu à récompense quand l'époux ne perd rien par l'aliénation, car la récompense est une indemnité, et celui qui ne perd rien ne peut pas demander à être indemnisé. Or, telle est la situation de l'époux qui a aliéné un usufruit alors qu'il vient à décéder; l'usufruit se serait éteint à sa mort, quand même il ne l'aurait pas aliéné; ses héritiers n'auraient donc pas pu réclamer une indemnité du chef de cette aliénation, car elle ne leur cause aucun préjudice; il est vrai qu'ils ne trouvent pas le droit d'usufruit dans la succession de leur auteur; mais s'ils ne le trouvent pas, ce n'est pas parce qu'il a été aliéné, c'est parce que l'usufruit, qui est un droit viager, se serait éteint indépendamment de toute aliénation, par le décès de l'époux usufruitier. Dès lors ils ne peuvent réclamer aucune récompense, car toute récompense suppose une perte; il n'y a pas lieu d'indemniser celui qui ne perd rien. Cette solution est aussi fondée en raison. Il y a une différence essentielle entre l'aliénation d'un immeuble et l'aliénation d'un droit viager : l'aliénation d'un immeuble diminue nécessairement le patrimoine de celui qui l'aliène, car cet immeuble se serait trouvé dans son patrimoine à la dissolution de la communauté; si les héritiers de l'époux vendeur ne l'y trouvent pas, c'est à cause de l'aliénation, donc l'aliénation les constitue en perte; de là le droit de récompense contre la communauté qui a perçu le prix de l'aliénation. Il n'en est pas ainsi quand l'époux vend un droit viager, ce droit se serait éteint par sa nature à la mort de l'époux : peut-on dire que son patrimoine est diminué par cette aliénation lorsque la communauté vient à se dissoudre par sa mort? Le patrimoine de celui qui a un droit viager diminue incessamment, parce que d'un instant à l'autre le décès approche, et à mesure que le décès approche, le droit perd de sa vaieur; le patrimoine diminue donc par la nature du droit : en reste-t-il quelque chose à la dissolution de la communauté, l'époux a droit à une indemnité; n'en reste-t-il rien, l'époux ou ses héritiers ne peuvent réclamer aucune indemnité du chef de l'aliénation du droit, car si le droit ne se trouve plus dans le patrimoine de l'époux, ce n'est pas

XXII.

31

à cause de l'aliénation, c'est à cause de la nature viagère du droit (1).

489. Dans une matière aussi difficile, il ne suffit pas d'exposer l'opinion que nous préférons, il faut aussi faire connaître l'opinion contraire, que Pothier a fini par embrasser et qui est suivie par la plupart des auteurs modernes. Pothier dit que l'époux qui vend un droit d'usufruit ou de rente viagère à lui propre a droit à une récompense dans tous les cas, c'est-à-dire sans distinguer si la dissolution de la communauté est arrivée par le prédécès de l'époux à qui appartenait le droit viager, ou par le décès de l'autre conjoint. C'est la seule allusion que Pothier fasse à sa première opinion; il ne la combat pas et il ne motive pas son opinion nouvelle. On devine, du reste, facilement le motif qui l'a fait changer d'avis : ce sont les termes absolus de la coutume, laquelle donne droit à une récompense dans tous les cas où il y a aliénation d'un propre, sans distinguer si ce propre est un immeuble ou un droit viager. L'article 1433 reproduit la disposition de la coutume de Paris; il donne droit à une récompense dès qu'un immeuble est vendu et que le prix en est versé dans la communauté. Ne faut-il pas dire que l'interprète ne peut pas distinguer là où la loi ne distingue pas? Nous répondons que la distinction entre les droits perpétuels et les droits viagers résulte de la nature même de ces droits. Quand un immeuble propre est aliéné, le patrimoine de l'époux est nécessairement diminué, et c'est la communauté qui profite de cette aliénation en percevant le prix; elle n'a pas droit à l'immeuble vendu, elle n'a pas non plus droit au prix de l'immeuble; si ce prix est versé dans la communauté, l'époux ou ses héritiers ont le droit de le reprendre, sinon la communauté s'enrichirait à leurs dépens. Voilà les circonstances dans lesquelles il y a lieu à récompense. Cette situation ne se présente pas quand l'époux vend un droit viager et que la communauté se dissout par sa mort. Peut on dire, dans ce cas, que la

(1) Colmet de Santerre, t. VI, p. 186, no 78 bis VI. Aubry et Rau, t. V, p 353, note 5, § 511, et les autorités qui y sont citées.

communauté profite d'un droit immobilier qui était propre à l'époux? Non, car ce droit ne consiste, en réalité, que dans une jouissance viagère, et cette jouissance cesse à la mort de l'époux, laquelle est aussi l'époque de la dissolution de la communauté. La communauté, tant qu'elle dure, jouit comme aurait joui l'époux usufruitier; la cession que l'époux fait de son droit n'est qu'un changement de jouissance, le prix versé dans la communauté représente cette jouissance; donc la communauté ne s'enrichit pas du droit, et partant elle ne doit pas de récompense de ce chef. Elle ne s'enrichit, dans une certaine mesure, que lorsque l'époux usufruitier survit à la dissolution de la communauté, car alors le droit viager subsiste, mais diminué par la jouissance que la communauté a eue; il y a une perte, donc il y a lieu à une indemnité. Mais quand la communauté se dissout par la mort de l'époux usufruitier, le droit ne périt pas par l'aliénation, il périt parce que c'est un droit viager; la communauté ne s'est pas enrichie du droit, car elle ne s'enrichit point quand l'époux ne perd rien. Il n'y a plus là les éléments nécessaires pour que l'époux ait droit à récompense.

On objecte, et l'objection est très-sérieuse, que pour savoir s'il y a lieu à récompense, il faut considérer le moment où se fait l'aliénation, et non le moment où la communauté se dissout. Or, au moment de la vente, le prix d'un droit propre est versé dans la commmunauté, donc celle-ci en doit récompense. Est-ce que le droit à une récompense peut dépendre d'un fait accidentel, de la cause qui entraîne la dissolution de la communauté? Dès qu'il y a vente d'un propre et que le prix est versé dans la communauté, le droit à l'indemnité existe, et il peut être exercé, quel que soit l'événement par lequel la communauté se dissout. L'objection est, au fond, celle que l'on puise dans le texte de l'article 1433. Elle ne tient pas compte de l'effet de l'aliénation du droit viager : l'aliénation sera la cession d'un droit propre lorsque l'époux survit à la dissolution de la communauté, car il reprend ce droit, quoique diminué; tandis que l'aliénation ne sera qu'une cession de jouissance quand la communauté se dis

sout par la mort de l'époux usufruitier. Dans la première hypothèse, les éléments d'une indemnité existent il y a perte d'un côté et profit de l'autre. Dans la seconde hypothèse, ces éléments n'existent pas : les héritiers perdent, mais ce n'est point par l'aliénation, c'est par le fait que le droit est viager; il n'y a donc ni perte ni profit, donc il ne peut y avoir lieu à indemnité. Vainement dit-on que la récompense dépendra d'un fait accidentel; il s'agit d'un droit viager, donc d'un droit soumis à des chances; et c'est seulement lors de la dissolution de la communauté que l'on peut voir si l'aliénation a été une cession de jouissance, ou une cession du droit, en ce qui concerne le profit que la communauté en a retiré et la perte que l'époux a faite (1).

470. Tout le monde admet qu'il y a lieu à récompense quand l'époux usufruitier survit à la dissolution de la communauté. Reste à savoir quel en est le montant. Sur ce point, il y a de nouvelles difficultés. Nous suivons de préférence l'opinion de Pothier. Voici l'exemple qu'il donne. L'époux a un droit d'usufruit dont le revenu est de 1,000 livres par an. Il le vend pour le prix de 12,000 livres, qui est versé dans la communauté. La jouissance de la communauté diminue; au lieu d'un revenu de 1,000 francs, elle n'a plus que l'intérêt de 12,000 francs, c'est-à-dire 600 francs; donc elle est en perte de 400 francs par an. La communauté se dissout par la mort du conjoint usufruitier celui-ci, dans l'opinion de Pothier, a droit à une récompense. Il a versé 12,000 francs dans la communauté: peut-il reprendre cette somme? Non, car s'il la reprenait, il s'enrichirait de 400 francs par an aux dépens de la communauté; si celle-ci a duré dix ans depuis l'aliénation de l'usufruit, l'époux ferait un bénéfice de 4,000 francs et la communauté serait en perte de la même somme. La communauté ne s'est réellement enrichie que de 8,000 fr., les 4,000 francs restants représentent la perte qu'elle a faite. Donc l'époux n'a droit qu'à une récompense de 8,000 francs.

(1) Pothier, De la communauté, no 592. Aubry et Rau, t. V. p. 353. note 5, et les auteurs qu'ils citent.

« PreviousContinue »