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Ce point est aussi controversé. Il y a des auteurs qui donnent à l'époux vendeur une récompense pour la totalité du prix de vente. Le texte de l'article 1433 paraît favorable à cette opinion. C'est le prix versé dans la communauté que l'époux reprend; or, il a versé 12,000 francs, la communauté a profité de cette somme, donc elle en doit récompense. Il est vrai qu'elle perd en revenus, mais cette perte est la conséquence naturelle de la vente du droit viager; or, l'époux a le droit de vendre et de changer le mode de jouissance; la communauté n'a pas d'autre droit que l'époux, elle jouit comme aurait joui l'époux, sans pouvoir réclamer une indemnité du chef de la diminution de sa jouissance. On répond que cette argumentation ne tient aucun compte de la nature de la récompense. C'est essentiellement une indemnité pour la perte que fait l'époux et une compensation du profit que fait la communauté, c'est-à-dire que ce qui sort du patrimoine de l'époux et entre dans celui de la communauté donne lieu à récompense. Or, qu'est-ce qui sort du patrimoine de l'époux, dans l'espèce, et qu'est-ce qui entre dans celui de la communauté? L'époux convertit un revenu viager de 1,000 francs en un revenu perpétuel de 600 francs, il y gagne en durée ce qu'il perd en quantité; la communauté, au contraire, qui n'a qu'une existence temporaire, est en perte de 400 francs par an, perte qui n'est compensée par rien. Donc le bénéfice que fait l'époux vendeur n'entre pas dans le patrimoine de la communauté; celle-ci reçoit un capital de 12,000 fr., il est vrai, qu'elle doit rendre; mais si elle le rendait intégralement, elle rendrait plus qu'elle n'a reçu, puisque, en recevant un capital de 12,000 fr., elle n'a plus qu'une jouissance de 600 fr. Que reçoit-elle donc? Elle reçoit 12,000 fr., déduction faite de 400 francs par an. Elle ne doit rendre que ce qu'elle reçoit; donc, après dix ans, elle ne doit rendre que 12,000 fr., en déduisant 4,000. Vainement dit-on que la diminution de revenus qui résulte, pour la communauté, de l'aliénation de l'usufruit, est l'exercice d'un droit; que le propriétaire peut jouir comme il veut et que la communauté n'a d'autre droit que l'époux. Cela n'est pas exact; l'époux qui vend l'usufruit ne change

pas seulement le mode de jouissance, il change la nature du droit en remplaçant un droit viager par un droit perpétuel peut-il le faire au préjudice de la communauté, en réclamant le prix de 12,000 francs, sans tenir compte à la communauté de la perte qu'elle souffre par la substitution d'un droit perpétuel à un droit viager? Non, car la récompense est une question de gain et de perte, puisque c'est une question d'indemnité.

On fait une autre objection. Si la communauté dure longtemps après l'aliénation du droit viager, les déductions que nous autorisons la communauté à faire pour diminution de jouissance pourront absorber et dépasser l'indemnité. Si, au lieu de durer dix ans, comme le suppose Pothier, elle dure quarante ans, la communauté pourra déduire 16,000 francs, et elle n'en doit que 12,000. L'époux, qui était créancier d'une récompense, se trouvera débiteur. Nous avons bien des fois répondu à des objections analogues; l'interprète n'a pas à s'enquérir des conséquences qui résultent d'un principe ou d'une loi : absurdes ou non, il doit les accepter: c'est l'affaire du législateur (1).

§ II. Des récompenses dues à la communauté.

No 1. QUAND EST-IL DU RÉCOMPENSE?

471. L'article 1437 énumère plusieurs cas dans lesquels la communauté a droit à une récompense contre les époux, puis il pose une règle générale en ces termes : « Et généralement toutes les fois que l'un des époux a tiré un profit personnel des biens de la communauté, il en doit la récompense. » La règle est identique avec celle que l'article 1433 établit sur les récompenses que les époux ont contre la communauté et elle a le même fondement; en la formulant, la loi en donne la raison.

L'un des époux tire un profit personnel de la communauté : pourquoi lui doit-il une indemnité de ce chef? C'est

(1) Colmet de Santerre. t. VI, p. 188, nos 78 bis VIII et IX. Aubry et Rau, t. V, p. 356, note 12, § 511, et, en sens contraire, les auteurs qu ils citent.

que la communauté, comme le mot l'indique, a pour objet les intérêts communs des époux, pour mieux dire, de la famille. Il est vrai que chacun des époux peut avoir des intérêts particuliers, puisqu'il a un patrimoine qui lui est propre; ces intérêts sont étrangers à la communauté, l'époux doit donc y pourvoir sur ses propres biens, et non sur les biens de la communauté; s'il emploie les biens communs dans son intérêt privé, il s'avantage, tandis que la communauté éprouve une perte; la justice exige que l'époux tienne compte de l'avantage qu'il retire des biens communs et de la perte qui en résulte pour la communauté. Tel est le principe des récompenses ou indemnités que chacun des époux doit à la communauté quand il fait servir les biens communs à son avantage particulier.

Dans quels cas y a-t-il lieu à récompense? La loi énumère les cas les plus usuels dans l'article 1437; elle en prévoit d'autres ailleurs. Nous les avons déjà rencontrés dans le cours de nos explications; il suffira de les parcourir en renvoyant à ce qui a été dit là où est le siége de la matière.

472. Aux termes de l'article 1437, lorsqu'il est pris sur la communauté une somme pour acquitter les dettes ou charges personnelles à l'un des époux, celui-ci lui en doit récompense. Qu'entend-on par dettes personnelles aux époux? On trouve la même expression dans l'article 1409, n° 3; nous l'avons expliquée en traitant du passif de la communauté. L'article 1437 en donne un exemple : « le prix ou partie du prix d'un immeuble propre à l'époux. C'est la reproduction de l'article 1409, 1°. Le prix étant une dette mobilière tombe dans le passif de la communauté, en ce sens qu'elle est tenue de le payer au créancier; mais comme la dette est relative à un immeuble propre à l'époux, la loi ajoute qu'il en est dû récompense à la communauté. L'article 1469 mentionne une autre dette personnelle aux époux, bien que l'obligation ne soit que naturelle : l'époux qui dote un enfant d'un premier lit avec des biens où des valeurs de la communauté en doit faire le rapport, c'est-à-dire qu'il en doit récompense; peu importe que la dette ne soit pas une dette civile, il n'en

est pas moins vrai que l'époux prend dans la communauté des biens ou des valeurs dans un intérêt à lui particulier; cela suffit pour qu'il soit tenu à récompense. Il n'y a pas à distinguer si la dot a été promise avant ou pendant le second mariage; cette circonstance, qui paraît avoir embarrassé une cour, est tout à fait indifférente (1); ce qui est décisif, c'est que l'époux se soit servi des biens communs dans un intérêt qui lui est personnel.

473. L'article 1437 applique le même principe aux charges qui sont personnelles à l'un des époux; il donne comme exemple le rachat de services fonciers. Lorsqu'une servitude réelle, dit Pothier, dont était grevé l'héritage propre de l'un des époux, est rachetée des deniers de la communauté, ce rachat procure un avantage au propriétaire du fonds. La charge lui était personnelle, en ce sens qu'elle diminuait la valeur d'un immeuble qui lui est personnel; quand l'héritage en est affranchi, l'époux en retire un avantage personnel; si c'est la communauté qui a payé le rachat, il lui en doit récompense. Pothier, toujours exact, a soin de dire qu'il s'agit d'une servitude prédiale (2). S'il s'agissait d'une servitude personnelle, telle que l'usufruit qui grève le fonds de l'un des époux, il n'y a pas lieu à récompense, par la raison que l'usufruit devient un conquêt. Nous renvoyons à ce qui a été dit ailleurs (t. XXI, n° 260).

Ce que l'article 1437 dit du rachat des servitudes s'applique à l'affranchissement de toute charge réelle telle serait l'hypothèque dont le propre de l'un des époux est grevé. Si la dette pour laquelle l'immeuble était hypothéqué est payée par la communauté, il en est dû récompense. Le tribunal de la Seine s'y est trompé. La dette, dit-il, bien que garantie par une hypothèque, n'en est pas moins mobilière et, comme telle, à la charge de la communauté. Sans doute, mais comme le payement de la dette affranchit l'immeuble et le rend plus précieux, d'après l'expression de Pothier, l'époux doit récompense pour cet avan

(1) Bastia, 31 janvier 1844 (Dalloz, au mot Contrat de mariage, no 890). (2) Pothier, De la communaute, no 638.

tage, comme l'a jugé la cour de Paris. Ce qui prouvait que la femme avait profité de l'affranchissement de l'immeuble, c'est que le partage attribuait à la femme la totalité du prix de l'immeuble dégrevé (1).

474. L'article 1437 donne encore à la communauté une récompense quand il est pris sur les biens communs une somme pour le recouvrement, la conservation ou l'amélioration des biens personnels d'un époux. Pothier donne comme exemple le supplément du juste prix que l'époux paye afin d'arrêter l'action en rescision pour cause de lésion que le vendeur exerce contre lui. S'il paye ce supplément avec les deniers de la communauté, il en doit récompense, car ces deniers servent à conserver à l'époux la propriété de l'immeuble; donc ils sont employés dans un intérêt qui lui est particulier et, par suite, il y a lieu à indemnité (2).

Les travaux que l'époux fait sur ses propres peuvent avoir pour objet la conservation des biens, ou leur amélioration, ou leur embellissement: est-il dû récompense dans tous ces cas? Cette question est très-controversée; comme elle tient au chiffre de l'indemnité que l'époux doit payer, nous l'examinerons en traitant du montant de la récompense. Un point est certain, Pothier en fait la remarque : les dépenses de simple entretien ne donnent pas lieu à récompense, puisqu'elles constituent une charge de la communauté (art. 1409, 4°).

475. L'article 1437 ne limite pas le droit de récompense aux cas qu'il prévoit, puisque, après avoir énuméré les causes qui d'ordinaire donnent lieu à récompense, il ajoute une règle générale dont les exemples qu'il vient de donner ne sont qu'une application. Nous avons donné une autre application du même principe en traitant des frais de labours et de semences qui se font sur les propres des époux, et dont ils profitent après la dissolution de la communauté (t. XXI, no 248).

(1) Paris, 18 mars 1872 (Dalloz. 1873, 2, 19). (2) Pothier, De la communauté, no 632.

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