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masse, parce qu'il en faut déduire ce que la communauté doit aux époux: il n'y a de biens communs que ce qui reste après que ces prélèvements sont opérés, puisque les prélèvements comprennent les biens des époux qui ont été versés dans la communauté.

Si l'un des époux est tout ensemble débiteur de récompense et créancier de récompense, il ne sera débiteur ou créancier définitif que lorsque l'on aura liquidé ses dettes et ses créances. La différence entre les rapports qu'il doit et les récompenses qui lui sont dues le constituera débiteur ou créancier.

Ces calculs ne peuvent se faire qu'après la dissolution de la communaute, mais la liquidation rétroagit naturellement au jour de la dissolution; elle ne crée pas de droits, elle liquide des droits préexistants. C'est donc lors de la dissolution de la communauté que chaque époux se trouvera créancier ou débiteur.

488. L'application de ces principes a donné lieu à une difficulté sur laquelle une cour d'appel s'est trompée. Une femme commune en biens décède, laissant un testament par lequel elle institue un légataire de tous ses immeubles et lègue tous ses meubles à son mari. Quelques mois après, le mari meurt, instituant pour légataires universelles ses deux sœurs. La femme avait des rapports à faire et des récompenses à exercer. Du chef des rapports, elle était débitrice. Qui devait supporter cette dette? La cour de Rouen mit les dettes à charge des légataires à titre universel, donc pour partie à charge du légataire des immeubles. Avant de régler le payement des récompenses passives, il eût fallu liquider les récompenses actives, afin de voir si la femme était réellement débitrice; or, il résultait du chiffre des rapports comparé à celui des récompenses que, loin d'être débitrice, la femme était créancière; la cour avait donc imposé au légataire des immeubles une dette qui n'existait point. La cour de cassation rétablit les vrais principes, principes tout à fait élémentaires. Lorsqu'une communauté ayant existé entre deux époux se trouve à partager en même temps que la succession de l'un des époux, on doit d'abord établir la masse active et

la masse passive de la communauté telles qu'elles étaient composées au moment de sa dissolution, afin d'attribuer, s'il y a lieu, à la succession la part qui lui revient dans la communauté. Parmi les éléments de la masse active ou passive figurent les sommes dont les époux sont ou créanciers à titre de récompense ou débiteurs à titre de rapport. Il faut donc une liquidation préalable qui établisse cette qualité de créancier ou de débiteur; elle ne peut résulter que de la balance faite entre le total des reprises et le total des récompenses. Si la balance démontre que, lors de la dissolution de la communauté, le montant des reprises excédait le montant des rapports dus par la femme, il s'ensuit qu'elle n'était pas débitrice envers la communauté. Partant il n'y avait pas lieu de faire contribuer les divers légataires à une dette qui n'existait point. Dans ce cas, le reliquat du compte de la communauté aura pour effet d'établir la somme qui devra entrer dans l'actif de la succession à partager entre les légataires suivant leurs droits (1).

§ Ier. Rapport des indemnités dues à la communauté.

No 1. CARACTERES DE CES INDEMNITÉS.

489. L'article 1437 dit que l'époux qui a tiré un profit personnel des biens de la communauté en doit la récompense. Il est donc débiteur de la somme qu'il a prise sur les biens communs, et, comme tel, il est tenu personnellement. Peu importe qu'il le soit comme emprunteur, ou à tout autre titre : la loi dit qu'il doit, et celui qui doit est obligé d'acquitter sa dette. Ce n'est donc pas en sa qualité d'époux commun en biens que le débiteur de la récompense est tenu de la payer, c'est comme débiteur personnel. La femme perd la qualité de femme commune quand elle renonce; elle reste néanmoins tenue des indemnités qu'elle doit à la communauté, de même qu'elle a le droit de réclamer les indemnités qui peuvent lui être dues par la

(1) Cassation, 15 mai 1872 (Dalloz, 1872, 1, 197).

communauté (1). Ce caractère des récompenses vient à l'appui de ce que nous avons dit du montant des indemnités que les époux ont à rapporter; il ne s'agit pas d'un intérêt commun, comme on le prétend, puisque tout intérêt commun cesse quand la femme renonce; ce qui ne l'empêche pas d'être créancière et débitrice des récompenses (nos 478 et 479).

490. Aux termes de l'article 1468, le rapport des récompenses se fait à la masse des biens existants lors de la dissolution de la communauté. Ce n'est donc qu'à ce moment que se règlent les indemnités. Quoique l'époux soit débiteur au moment où il prend une somme sur la communauté dans un intérêt qui lui est personnel, il ne paye pas immédiatement cette dette; il se peut qu'il ait aussi droit à une indemnité contre la communauté, on ne sait donc pas le montant de sa dette; il y a plus, la balance peut être en sa faveur, de sorte qu'au lieu d'être débiteur, il sera créancier. Il suit de là que le règlement des récompenses respectives ne peut se faire qu'à la dissolution de la communauté.

Ce règlement donne lieu à une difficulté. Quand l'époux prend une somme sur les biens communs, il prive la communauté de la jouissance de cette somme l'époux doit-il indemniser la communauté de cette perte, en payant les intérêts? Cela devrait être si la communauté était une personne civile; les rapports entre elle et les époux seraient alors ceux qui naissent d'un prêt et, par suite, il y aurait lieu, d'après le droit commun, au payement du capital et des intérêts. Mais la communauté n'a pas d'existence indépendante des époux, ce sont les époux associés qui constituent la communauté. De là suit que les rapports des époux avec la communauté ont un caractère particulier : l'époux qui prend 1,000 francs dans la communauté est débiteur personnel de cette somme, et il est aussi créancier en sa qualité d'époux commun; s'il payait les intérêts des indemnités, il les payerait à lui-même, au moins pour sa part dans la communauté. D'un autre côté, la commu

(1) Aubry et Rau, t. V, p. 369 3o, § 511 bis (4o éd.).

nauté profite des opérations pour lesquelles l'époux prend une somme sur les biens communs (1). Si donc on voulait régler les droits respectifs des époux associés et des époux débiteurs ou créanciers, il faudrait tenir compte du résultat des opérations, résultat qui ne se produit souvent qu'à la longue. Le règlement des indemnités pendant le cours de la communauté et l'obligation de payer les intérêts auraient suscité des difficultés incessantes entre les époux. Mieux valait ajourner ce règlement à la dissolution de la communauté et dispenser les époux débiteurs de payer les intérêts pendant la durée de la communauté. Sous ce rapport, les relations entre les époux et la communauté ne sont pas celles qui existent entre créanciers et débiteurs. ordinaires; l'un peut y perdre, l'autre y gagnera; la loi ne tient aucun compte de ces gains et de ces pertes tant que la communauté dure. Les liens d'affection qui existent entre les époux expliquent le caractère spécial qu'ont les récompenses dont ils sont débiteurs ou créanciers.

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Mais, à la dissolution de la communauté, les époux rentrent dans le droit commun. L'article 1473 porte : Les remplois et récompenses dus par la communauté aux époux et les récompenses et indemnités par eux dues à la communauté emportent les intérêts de plein droit du jour de la dissolution de la communauté. On conçoit que les intérêts soient dus, puisque les rapports deviennent ceux de créanciers et de débiteurs ordinaires; mais pourquoi courent-ils de plein droit? En cela l'article 1473 déroge au droit commun; les intérêts sont dus ou en vertu d'une stipulation, ou par suite d'une demande judiciaire; ce n'est que par exception qu'ils courent de plein droit. Quelle est la raison de cette exception en ce qui concerne les récompenses? Quand l'époux doit une indemnité, c'est pour avoir pris une somme sur la communauté, donc pour s'être approprié une valeur qui, après la dissolution, doit faire partie de la masse partageable; or, il est de principe que les intérêts profitent à la masse; si l'époux jouissait, après la dissolution de la communauté, d'un bien commun, il

(1) Pothier, De la communauté, no 589.

devrait compte de sa jouissance en rapportant les fruits à la masse; par la même raison, il doit les intérêts des inlemnités, car ces indemnités comprennent aussi des biens ommuns (1).

No 2. COMMENT SE FAIT LE RAPPORT.

491. L'article 1468 dit que les époux ou leurs héritiers rapportent à la masse des biens existants ce dont ils sont débiteurs envers la communauté à titre de récompense ou d'indemnité. Il résulte des termes de la loi que le rapport se fait, en principe, par la remise de la somme dans la masse commune : c'est le rapport en nature. Toutefois le payement peut se faire par compensation; c'est le droit commun pour toute dette quand elle réunit les caractères. déterminés par la loi pour que la compensation puisse s'opérer. La liquidation des récompenses dues aux époux se fait en même temps que celle des récompenses que les époux doivent à la communauté; on ne peut donc pas dire d'une manière absolue que l'époux est débiteur des sommes qu'il a prises dans la communauté, alors qu'il peut être créancier de sommes égales ou plus fortes que la communauté lui doit. Débiteur de 10,000 francs qu'il a pris sur la communauté, s'il est créancier de 15,000 francs formant le prix d'un propre versé dans la communauté, il sera réellement créancier de 5,000 francs, et au lieu de rapporter sa dette de 10,000 francs, il pourra réclamer une créance de 5,000 francs. La compensation peut aussi diminuer sa dette; il ne doit le rapport de ce dont il est débiteur que déduction faite de ce dont il est créancier. On a contesté le principe de la compensation en matière de récompense, mais à tort. La compensation éteint les dettes aussi bien que le payement. Peu importe donc que l'article 1468 ne parle que du payement, cela n'exclut

(1) Les auteurs ne s'accordent pas sur les motifs de l'article 1469. Voyez Aubry et Rau, t. V, p. 359, note 14, § 511; Rodière et Pont. t. II. p. 246, n° 962; Troplong, t. II, p. 51, nos 1658 et 1659. Colmet de Santerre, t. VI, p. 298, no 133 bis.

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