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partageable, en reprenant ce qui ne lui appartient pas. Si l'époux qui a une reprise à faire consent au partage avant d'avoir exercé ses prélèvements, il ne pourra plus réclamer les droits que la loi lui accorde pour l'exercice de ses reprises; l'article 1471 devient inapplicable. Vainement dirait-il que l'on a partagé ce qui n'appartenait point à la communauté; on lui répondrait qu'il était créancier et qu'il a renoncé aux garanties que la loi lui donne pour l'exercice de sa créance; il reste créancier, mais il ne pourra plus exercer les droits particuliers que la loi attache aux récompenses; il sera un créancier ordinaire. La disposition de l'article 1471 n'est pas d'ordre public; il est donc permis aux parties intéressées d'y renoncer (1).

499. L'article 1470 détermine ce que chaque époux prélève : « Sur la masse des biens, chaque époux ou son héritier prélève :

« 1° Ses biens personnels qui ne sont point entrés en communauté, s'ils existent en nature, ou ceux qui ont été acquis en remploi ;

« 2o Le prix de ses immeubles qui ont été aliénés pendant la communauté, et dont il n'a pas été fait remploi; « 3o Les indemnités qui lui sont dues par la communauté. »

Ce texte donne lieu à quelques remarques critiques. Le n° 2 est inutile, puisqu'il est compris dans le n° 3, dont il n'est que l'application la plus usuelle. En effet, quelle est l'indemnité que la communauté doit d'ordinaire aux époux? L'article 1433 répond: S'il est vendu un immeuble appartenant à l'un des époux et que le prix en ait été versé dans la communauté, il y a lieu au prélèvement de ce prix au profit de l'époux qui était propriétaire de l'immeuble vendu. » L'article 1470, n° 3, se rapporte à l'article 1433 et comprend, par conséquent et avant tout, l'indemnité due par la communauté pour le prix des propres aliénés, cas prévu par le n° 2 de l'article 1471. Le double emploi est évident.

(1) Rejet, 3 mai 1867 (de la cour de cassation de Belgique) (Pasicrisie, 1867, 1, 320).

500. Ceci n'est qu'une négligence de rédaction, qui n'a aucune conséquence pratique. Il y en a une autre qui prête à l'erreur. Le n° 1 de l'article 1470 dit que l'époux prélève ses biens personnels qui ne sont pas entrés en communauté et qu'il les prélève sur la masse. Cela est contradictoire et impossible. Si les biens personnels n'entrent pas en communauté, ils ne font pas partie de la masse; dès lors il est impossible de les prélever sur la masse. Il n'y a donc pas lieu à prélèvement, on ne peut pas même dire que les biens personnels des époux soient l'objet d'une reprise : on reprend ce qui a été dans la communauté; or, les propres n'y ont jamais été, il est donc impossible de les reprendre. Les propres restent, à la dissolution de la communauté, ce qu'ils ont toujours été; ils sont dans le domaine de l'époux, il n'a rien à reprendre, car il n'a jamais cessé d'être propriétaire. Seulement, tant que la communauté a duré, elle avait la jouissance des propres ; cette jouissance cesse de plein droit quand la communauté se dissout, sans que l'époux ait un acte de reprise à faire. Cela est évident pour le mari, et ce qui est vrai du mari, l'est aussi de la femme : elle reprend l'administration et la jouissance de ses propres, mais cela se fait sans qu'il soit besoin d'aucune liquidation. Tout ce que l'on peut dire pour expliquer l'article 1470, c'est que, pendant la durée de la communauté, les biens personnels des époux et les biens communs étaient confondus de fait, et que cette confusion cesse par une reprise de fait. Au point de vue juridique, il n'y a jamais eu de confusion et il ne se fait point de reprise.

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Nous disons que, sur ce point,la mauvaise rédaction de la loi pourrait induire en erreur en mettant sur la même ligne la reprise des propres et la reprise des indemnités. La femme exerce la reprise des indemnités à titre de créancière; elle n'a, de ce chef, aucune préférence à l'égard des autres créanciers, sauf son hypothèque légale; si les biens ne suffisent pas pour payer tous les créanciers, la femme est payée au marc le franc avec les autres créanciers chirographaires. Applique-t-on ce principe à la reprise des biens personnels de la femme? D'après le texte

de l'article 1470, il faudrait répondre affirmativement, puisque la loi assimile le prélèvement des propres au prélèvement des indemnités. Ce serait une grave erreur : quand la femme prélève ses propres, elle agit comme propriétaire, car elle n'a jamais cessé de l'être; or, le propriétaire n'est pas en conflit avec les créanciers; il ne réclame rien, il garde ce qu'il a toujours eu, il ne peut donc pas s'agir d'une contribution entre lui et les autres créanciers (1).

Troplong s'est laissé tromper par la rédaction de l'article 1470; peut-être serait-il plus exact de dire qu'il s'est emparé de la mauvaise rédaction de la loi, pour s'en prévaloir, dans la question si longtemps controversée de savoir si l'époux exerce ses reprises à titre de propriétaire ou à titre de créancier. L'époux reprend certainement ses propres à titre de propriétaire, mais il faut pour cela, dit l'article 1471, que les propres existent en nature: tels sont les immeubles propres des époux. Il en est de même, dit Troplong, des deniers propres; or, sont deniers propres les sommes qui constituent le prix d'un immeuble; l'époux vendeur les reprend à titre de propriétaire, ce qui lui donne une préférence sur les autres créanciers. Troplong dit que cela est évident, et cependant il a contre lui le texte et les principes. L'article 1470 ne parle que du prélèvement des biens qui existent en nature; or, les biens aliénés n'existent plus en nature; quant aux deniers provenant de la vente, ils sont devenus la propriété de la communauté à titre de quasi-usufruit; si donc l'époux les reprend, il les reprend comme créancier. Cependant Troplong pousse l'erreur jusqu'à dire que les deniers propres ne sont entrés dans la communauté qu'à titre de dépôt. Est-ce qu'un dépositaire devient propriétaire? est-ce qu'un dépositaire a le droit de consommer la chose?

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501. Le code traite des prélèvements dans la section intitulée Du partage de la communauté après l'acceptation; c'est une opération préliminaire du partage. Il suit de là que les récompenses dues aux époux ne peuvent

(1) Colmet de Santerre, t. VI, p. 287, nos 128 bis II et III.

s'exercer qu'après la dissolution de la communauté; la reprise estimpossible tant que la communauté dure. Quant aux propres, l'époux n'en reprend que la jouissance; or, la jouissance appartient à la communauté. Quant aux indemnités, elles comprennent les deniers propres que la communauté a perçus et qu'elle doit restituer; or, elle en est devenue propriétaire comme quasi-usufruitière, et elle ne doit en faire la restitution que lorsque sa jouissance

cesse.

La femme peut-elle, pendant la durée de la communauté, prendre des mesures conservatoires pour garantir le payement des indemnités qui lui sont dues par la communauté? Quand les reprises de la femme sont en péril, elle peut demander la séparation de biens, et dans le cours de l'instance la loi lui permet de prendre des mesures conservatoires. Nous renvoyons à ce qui a été dit sur la séparation de biens. La loi autorise encore la femme à prendre des mesures conservatoires lorsqu'elle demande le divorce ou la séparation de corps (art. 270). Dans tous ces cas, la dissolution de la communauté est probable et imminente, les droits de la femme vont s'ouvrir; il est juste qu'elle les mette à l'abri des entreprises du mari contre lequel elle plaide. Mais, dans le cours ordinaire des choses, la femme peut-elle, tant que la communauté existe, prendre des mesures de conservation? La question se présente en matière d'hypothèques; nous l'ajournons.

502. L'époux qui réclame une reprise doit prouver que la reprise lui est due. C'est le droit commun. Il s'applique même à la reprise des propres ; cela résulte de l'article 1404, qui établit une présomption de propriété au profit de la communauté, en ce sens que tout immeuble est réputé acquêt s'il n'est prouvé que l'un des époux en avait la propriété ou possession légale avant le mariage, ou qu'il lui est échu depuis à titre de succession ou donation. Nous avons expliqué cette disposition en traitant de l'actif de la communauté. Quant aux indemnités que l'époux réclame, il doit prouver que les deniers à lui propres ont été versés dans la communauté : ce sont les termes de l'article 1433; nous renvoyons à ce qui a été dit plus haut,

notamment sur la question de savoir s'il y a une différence, en ce qui concerne la preuve, entre le mari et la femme (n° 457).

503. Les récompenses dues par la communauté aux époux emportent les intérêts de plein droit du jour de la dissolution de la communauté. Tant que la communauté dure, l'époux ne peut réclamer les intérêts de ce qui lui est dû (art. 1473). Les auteurs ne s'accordent pas sur les motifs pour lesquels les intérêts ne sont pas dus pendant la communauté et sur les motifs pour lesquels ils courent de plein droit après sa dissolution. Il faut appliquer, par analogie, aux récompenses que la communauté doit aux époux ce que nous avons dit des récompenses que les époux doivent à la communauté. Pendant le mariage, la communauté n'est pas débitrice, elle est propriétaire en vertu de son quasi-usufruit, et tenue seulement de restituer à partir de la dissolution; elle ne peut pas être tenue à payer les intérêts d'une dette qui n'existe pas. Pourquoi les doit-elle du moment où la dette existe? C'est que les indemnités font partie du patrimoine des époux, ce sont des biens propres consistant en deniers propres versés dans la communauté; or, les intérêts, de même que les fruits, appartiennent au propriétaire; ils doivent donc profiter à l'époux, par la même raison pour laquelle la communauté a droit aux intérêts et aux fruits des indemnités que les époux lui doivent ce sont des biens pris dans la masse commune, d'une part, ou dans le patrimoine propre aux époux, d'autre part; or, les intérêts et les fruits accroissent la masse à laquelle les biens appartiennent (1).

No 2. COMMENT S'EXERCENT LES PRÉLÈVEMENTS.

504. Nous supposons que la femme accepte; dans ce cas, les prélèvements sont une opération préliminaire du partage. C'est dire que les reprises se font par voie de prélèvement sur la masse. L'article 1471 règle la manière de faire les prélèvements. Il faut distinguer. Les biens

(1) Comparez Colmet de Santerre, t. VI, p. 298, no 133 bis.

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