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Paris, dans l'arrêt que nous venons de citer en le critiquant, a raison de dire que le droit de l'époux, ainsi entendu, n'est pas un droit, puisqu'il ne pourrait être exercé qu'avec le concours de l'autre conjoint ou de ses héritiers. Mais elle a tort de dire que c'est là une conséquence du caractère facultatif de l'article 1471. Quand nous disons que cette disposition est facultative, cela signifie que c'est une faculté pour l'époux d'en profiter ou de revenir au droit commun; mais s'il déclare qu'il en veut profiter, son droit ne peut pas être entravé par une offre de deniers, puisque ce serait l'anéantir. Le texte ne donne pas de droit au défendeur, il ne donne de droit qu'au demandeur; c'est à lui et à lui seul qu'il appartient de renoncer à une faveur que la loi lui accorde. Il y a un arrêt de la cour de cassation de Belgique en ce sens (1).

513. Il a été jugé que la femme peut stipuler, par contrat de mariage, qu'elle aura l'option d'exercer ses reprises en nature en prélevant des objets de la communauté, ou d'en demander le payement en argent en faisant vendre des biens communs (2). Cela n'est pas douteux, puisque, dans notre opinion, la femme ne fait que stipuler une option qui lui appartient de droit. Il faudrait le décider ainsi, même dans l'opinion contraire à la nôtre; en effet, il s'agit d'un intérêt purement pécuniaire; or, les époux jouissent d'une entière liberté pour régler leurs intérêts comme ils l'entendent.

Est-ce à dire que les époux puissent, par contrat de mariage, renoncer au bénéfice de l'article 1471? A notre avis, la clause serait nulle, en tant qu'elle aurait pour objet d'abdiquer un privilége que la loi accorde à la femme à raison de sa qualité de femme commune. Nous allons dire quels sont ces priviléges; par cela seul qu'ils n'appartiennent qu'à la femme, elle ne peut y renoncer d'avance; ils sont de l'essence de la communauté, puisqu'ils sont la compensation du pouvoir absolu que le mari

(1) Rejet, 29 novembre 1866 (Pasicrisie, 1867, 1, 69). Les auteurs sont divisés. Voyez les citations dans Rodière et Pont, t. II, p. 349, no 1074, et dans Aubry et Rau, t. V, p. 362 et note 26, § 511 (4o éd.).

(2) Caen, 12 mai 1870 (Dalloz, 1872, 1, 196).

a sous ce régime, et de la dépendance de la femme (1). 514. L'article 1471, en disant que les prélèvements s'exercent d'abord sur l'argent comptant, ensuite sur le mobilier, et subsidiairement sur les immeubles de la communauté, pourrait faire croire que la dette des récompenses est une dette des biens que la loi y affecte, tandis que les dettes, en général, grèvent tous les biens; ce qui conduit à une doctrine, aujourd'hui abandonnée, d'après laquelle les reprises s'exerceraient à titre de propriété. La cour de Caen l'a jugé ainsi; il est inutile d'entrer dans ce débat, nous reviendrons plus loin sur la question de principe. L'article 1471 y est tout à fait étranger; il règle uniquement l'exercice du droit de reprise; si le prélèvement se fait d'abord sur l'argent comptant, il n'en résulte pas que les meubles et les immeubles ne soient pas affectés de cette dette; de même, s'il y a du mobilier suffisant pour remplir l'époux de ses récompenses, on n'en saurait conclure que la dette ne grève pas les immeubles. A ce point de vue, il n'y a aucune différence entre les récompenses et les autres dettes; il est de l'essence de toute dette de grever tous les biens, sans distinction entre les meubles et les immeubles. La question a un intérêt pratique dans le cas où il y a un légataire du mobilier et un légataire des immeubles; le légataire du mobilier, en supposant qu'il supporte toute la reprise, pourra demander que le légataire des immeubles y contribue pour sa part. La jurisprudence est en ce sens (2).

515. Il y a cependant une différence entre la dette des reprises et les dettes ordinaires en ce qui concerne les droits qui appartiennent au créancier sur les biens. Celui qui oblige sa personne, oblige ses biens; il en résulte que les créanciers ont un droit de gage sur tous les biens de leur débiteur (art. 2092, 2093); mais ce gage s'évanouit par l'aliénation que le débiteur fait de ses biens; le créancier n'a plus d'action sur ceux que le débiteur a aliénés. Ce principe ne reçoit pas d'application à l'exer

(1) Voyez les arrêts cités plus loin, no 522.

(2) Voyez les témoignages dans Aubry et Rau, t. V, p. 359, note 15, § 511 (4° edition).

cice des prélèvements. Supposons que la femme ait droit à une reprise; il n'y a pas de mobilier dans la communauté, la femme a le droit de prélever son indemnité sur les immeubles. Le mari peut-il anéantir ce droit en vendant sa part indivise dans les immeubles? La cour de cassation a jugé que le mari ne pouvait vendre sa part indivise qu'avec la charge des reprises qui l'affecte. Vainement disait-on que la loi ne donne aucun droit réel à la femme sur les immeubles de la communauté et que le gage du créancier s'évanouit par l'aliénation des biens. Il ne s'agit pas, dans l'espèce, du droit de gage; il s'agit de savoir quel est le droit du mari sur les biens lorsqu'ils sont grevés de la charge des reprises. Or, dans le système du code, les reprises s'exercent par voie de prélèvement; ce sont les biens qui restent après le prélèvement qui constituent la masse partageable. Si donc le mari vend avant que la femme ait fait ses prélèvements, il vend ce qui ne lui appartient pas, au moins jusqu'à concurrence du montant des reprises; la vente n'est donc valable que pour ce qui reste, déduction faite des reprises. En ce sens, la cour de cassation a raison de dire que le mari ne peut céder à des tiers plus de droits qu'il n'en a lui-même; s'il vend sa part indivise, il la vend grevée de la charge des récompenses (1).

No 3. DES PRIVILÉGES ACCORDÉS A LA FEMME POUR L'EXERCICE DE SES REPRISES.

516. La loi accorde certains priviléges à la femme pour l'exercice de ses reprises. Quels sont ces priviléges? Il y en a deux qui sont certains la femme exerce ses prélèvements avant le mari (art. 1471). En cas d'insuffisance de la communauté, elle a de plus un recours contre le mari, tandis que le mari n'a d'action que sur les biens de la communauté (art. 1472). Le choix des immeubles que l'article 1471 attribue à la femme est-il aussi un de

(1) Rejet, 6 novembre 1861 (Dalloz, 1862, 1, 167).

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ses priviléges? Nous reviendrons sur la question, qui est controversée; pour le moment, il suffit de constater que le rapporteur du Tribunat comprend le choix des immeubles parmi les faveurs que la loi accorde à la femme. Duveyrier dit aussi quelle est la raison de ces priviléges : « La privation absolue de pouvoir et d'influence qui a constamment éloigné la femme de tous les actes d'administration doit encore ici lui donner une faveur, une préférence dont la justice ne peut être contestée, et qui se réalise par trois moyens progressifs. » Le rapporteur énumère ensuite ces priviléges dans l'ordre suivi par le code. Ces faveurs se rattachent donc au système de la communauté légale, tel qu'il s'est formé dans les mœurs. Pendant la durée du régime, le mari est seigneur et maître, tandis que la femme reste étrangère à l'administration des intérêts communs,

point qu'on lui a même contesté sa qualité d'associée. Après la dissolution de la communauté, la situation change; le mari est responsable de l'exercice de son pouvoir absolu, il supporte toutes les conséquences de sa gestion; la femme, au contraire, peut s'y soustraire en renonçant; elle peut aussi accepter; si elle prend ce parti, la loi la met encore à l'abri de toute perte en lui donnant le bénéfice d'émolument, et elle assure l'exercice de ses reprises en les garantissant par des priviléges.

Le premier est le plus naturel : si les deux époux ont des prélèvements à faire, la femme exerce ses reprises avant celles du mari. Il se peut que les biens communs ne suffisent pas pour remplir les deux époux de leurs droits; quelle que soit la cause de cette insuffisance, on ne peut l'imputer à la femme, puisque, de droit, elle a été étrangère à l'administration de la communauté. Quand même la communauté serait suffisante, il y aura d'ordinaire un choix à faire; la loi veut que la femme puisse prendre les meilleurs effets ou ceux qui sont le plus à sa convenance. Nous avons d'avance justifié le choix des immeubles (n° 505); il s'agit des conquêts, c'est le mari qui les acquiert; il ne serait pas juste que la femme fût obligée de prendre des immeubles dont elle ne pourrait tirer aucun parti. Si les biens de la communauté ne suffisent point pour le payement

des reprises de la femme, elle peut les exercer sur les biens personnels du mari. Cette préférence s'explique par la cause des reprises; les propres de la femme ont enrichi la communauté; le mari, qui en profite comme chef, doit administrer de manière que la femme retrouve dans la communauté les valeurs qu'elle y a mises. Il se peut que les biens communs ne suffisent point pour remplir la femme de ses reprises. Cela suppose une mauvaise gestion ou une gestion malheureuse, dont la femme ne peut souffrir, puisqu'elle y a été étrangère; il lui faut donc une garantie pour la reprise des propres aliénés ou employés dans l'intérêt de la communauté; cette garantie consiste dans l'action qu'elle a contre son mari, et dans l'hypothèque que la loi lui donne pour assurer le payement des reprises (1).

517. La loi accorde ces priviléges à la femme pour toutes ses reprises. Au premier rang de ces reprises, figure le droit de prélever ses biens personnels qui ne sont point entrés en communauté (art. 1470, 1°). Est-ce à dire que la femme ait un privilége de ce chef? Nous avons dit que c'est à tort que la loi place le prélèvement des propres parmi les reprises des époux : c'est tout simplemeut l'exercice du droit de propriété (no500); or, comme propriétaire, la femme ne saurait avoir aucune préférence sur son mari et, de fait, elle n'en a aucune. On ne peut pas dire qu'elle reprend ses propres avant le mari: qu'importe, si les propres existent, et si chaque époux peut reprendre les siens? Bien moins encore peut-il être question d'un choix (art. 1471), et si la femme reprend ses propres, de quel droit aurait-elle un recours contre son mari? Les priviléges de la femme confirment ce que nous avons dit, c'est que la reprise des propres n'est pas une reprise ni un prélèvement (2).

518. La priorité des prélèvements ne donne lieu à aucune difficulté; nous avons déjà traité du choix des immeubles (nos 505 et 508). Reste l'action que l'arti

(1) Duveyrier, Rapport, no 39 (t. VI, p. 425). Troplong, t. II, p. 37, no 1626. Colmet de Santerre, t. VI, p. 288, nos 129 et 130 bis.

(2) Marcadé, t. V, p. 623, no II de l'article 1472.

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