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cle 1472 donne à la femme sur les biens du mari. Il ne faut pas la confondre avec l'action en récompense. Celle-ci s'exerce sur les biens de la communauté, et, par dérogation aux principes généraux, l'époux se remplit de ce qui lui est dû en biens communs, et à son choix, quand il s'agit de la femme. L'action récursoire, au contraire, que la femme a contre son mari est une action ordinaire, le est dirigée contre la personne et ne s'exerce sur les biens que lorsque le débiteur ne paye pas; dans ce cas, la femme, de même que tout créancier, doit procéder par voie de saisie; elle ne peut pas s'approprier les biens du mari et bien moins encore choisir les immeubles qui lui conviennent; c'est une action ordinaire, tandis que l'action en récompense est soumise à des règles exceptionnelles (1).

519. La femme doit-elle faire inventaire pour jouir du bénéfice des articles 1471 et 1472? Il y a controverse; la négative nous paraît certaine (2). L'interprète ne peut imposer des obligations ni créer des déchéances. Or, la loi ne dit pas que la femme doive faire inventaire pour l'exercice des priviléges qu'elle lui accorde en matière de récompense; son silence est décisif. On peut donner d'excellentes raisons pour la nécessité ou l'utilité d'un inventaire. Comment constater l'insuffisance du mobilier de la communauté et de l'argent comptant quand les effets de la communauté n'ont pas été inventoriés? Et comment la femme prouvera-t-elle l'insuffisance de la communauté quand elle exerce ses reprises contre son mari? Mais les meilleures raisons n'autoriseraient pas le juge à prononcer la déchéance de la femme à défaut d'inventaire. La loi a soin de dire dans quels cas la femme est obligée de faire inventaire et de déterminer les conséquences de l'inobservation de cette formalité; le juge ne peut pas ajouter à la loi; tout ce que l'interprète peut faire, c'est de conseiller la confection d'un inventaire, afin de prévenir toute difficulté de preuve. Il y a des arrêts en sens

Aubry et Rau, t. V, p. 364, § 511 (4o éd.).

(2) Voyez les autorités citées par Aubry et Rau, t. V. p. 364, note 30. 11 faut ajouter, dans le sens de notre opinion, Bruxelles, 12 janvier 1859 (Pasicrisie, 1864, 2, 34).

contraire qui s'appuient sur l'article 1483: nous y revien drons en traitant du bénéfice d'émolument.

No 4. LE MARI A-T-IL LES MÈMES PRIVILÉGES?

520. On demande d'abord si le mari exerce ses prélèvements en nature et par voie d'appropriation. D'après le texte de l'article 1471, il faudrait répondre négativement. La loi commence par dire que les prélèvements de la femme s'exercent avant ceux du mari. Puis elle règle le mode d'exercer les prélèvements : « Ils s'exercent d'abord sur l'argent comptant, » etc. Le mot ils se rapporte aux prélèvements de la femme, dont il est question dans le premier alinéa. Ainsi l'article 1471 ne parle pas des prélèvements du mari, et comme cette disposition est exceptionnelle, on ne peut l'étendre au mari (1).

Toutefois l'opinion contraire est généralement suivie (2), et nous l'admettons. La difficulté de texte porte sur le sens du mot ils. Grammaticalement il se rapporte aux prélèvements de la femme, cela est vrai. Mais le langage du code n'est pas toujours conforme aux règles de la grammaire; le législateur français n'aime point les répétitions. Au lieu de dire : « Les prélèvements du mari et de la femme, il a préféré se servir du pronom ils. Ce qui semble indiquer que la seconde disposition est générale et s'applique au mari aussi bien qu'à la femme, c'est que l'article est partagé en deux alinéas, comprenant deux dispositions diverses. L'esprit de la loi ne laisse aucun doute. Aux termes de l'article 1470, « chacun des époux prélève sur la masse des biens le prix de ses immeubles et ses indemnités ». Telle est la règle, elle s'applique au mari comme à la femme; vient ensuite l'article 1471 qui règle la manière de faire les prélèvements. Y a-t-il une raison de distinguer, sous ce rapport, entre le mari et la femme? Quant à l'appropriation des biens et quant à l'ordre dans lequel elle se fait, il n'y a certes aucune différence,

(1) C'est l'avis de Colmet de Santerre, t. VI, p. 290, no 132 bis I. (2) Rodière et Pont, t. II, p. 371, no 1093.

en principe, entre les deux époux. Prélever, c'est prendre des biens en nature; or, il y a dans toute communauté trois espèces de biens du numéraire, des meubles et des immeubles; il faut nécessairement que l'on sache dans quel ordre se feront les prélèvements: tel est le but de l'article 1471. Le but est général, donc la disposition. doit l'être aussi. Ce n'est pas à dire qu'il n'y ait aucune différence entre le mari et la femme dans l'exercice des reprises. La femme a ses priviléges, que la loi prend soin d'énumérer : elle exerce ses prélèvements avant le mari, elle a le choix des immeubles, elle a un recours sur les biens du mari. Ces priviléges ont leur raison d'être, mais il n'y a absolument aucune raison pour établir une différence entre le mari et la femme quant à l'appropriation des biens et quant à l'ordre dans lequel elle se fait. Telle est aussi l'interprétation que le rapporteur du Tribunat donne à la loi, comme nous l'avons dit plus haut (no 516).

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521. Duveyrier place parmi les priviléges de la femme le choix que la loi lui attribue des immeubles de la communauté; sur ce point, le texte paraît formel: « Le choix des immeubles est déféré à la femme et à ses héritiers. >> Ce choix est une faveur, un privilége; dès lors on ne peut l'étendre au mari, car on n'étend pas les priviléges. Il n'y a pas même analogie complète, sous ce rapport, entre le mari et la femme. Quelle est la raison des priviléges que la loi accorde à la femme? Le rapporteur du Tribunat le dit: c'est qu'elle est exclue de l'administration; ce n'est pas elle qui acquiert les immeubles, donc elle ne doit pas être forcée à prendre ceux qui ne lui conviennent pas. On n'en peut dire autant du mari. Il a acheté les immeubles selon ses convenances, ses besoins ou ses goûts : de quoi se plaindrait-il si on lui attribue indifféremment un de ces immeubles? A son égard, le choix n'a point de raison d'être.

Toutefois l'opinion contraire est généralement suivie. Elle s'appuie sur la tradition. Pothier commence par dire que lorsque la masse est arrêtée, la femme doit prélever dans les meilleurs effets de la communauté, à son choix, la somme à laquelle montent ses reprises. Puis il ajoute ;

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Après ce prélèvement fait par la femme, le mari prélève pareillement, à son choix, dans les meilleurs effets qui restent de ladite masse, la somme à laquelle montent ses reprises. » Ainsi la seule différence que Pothier établit entre le mari et la femme, c'est que celle-ci choisit la première en prenant les meilleurs effets de la communauté, mais le mari a le choix dans ce qui reste (1). Le code a-t-il reproduit la doctrine de Pothier? Non, il dit que les prélèvements du mari s'exercent après ceux de la femme, mais il distingue le choix du prélèvement; le choix, il ne le donne qu'à la femme, donc on ne peut pas l'accorder au mari. Vainement dirait-on que c'est argumenter du silence de la loi, ce qui est la pire des argumentations. C'est oublier qu'il s'agit d'un privilége, et en matière de priviléges, comme dans les exceptions en général, on raisonne toujours du silence de la loi, en ce sens qu'il ne peut y avoir de préférence légale sans texte.

522. Aux termes de l'article 1472, le mari ne peut exercer ses reprises que sur les biens de la communauté; il n'a pas d'action récursoire sur les biens de la femme en cas d'insuffisance des biens communs. La raison en est simple. Si la femme a un recours contre le mari, c'est que l'on suppose que l'insuffisance de la communauté est imputable au mari. Que si les biens communs ne suffisent pas pour remplir le mari de ses reprises, il ne peut se prévaloir du mauvais état de la communauté, que lui seul a administrée avec un pouvoir absolu, pour en rendre la femme responsable, puisque celle-ci est restée légalement étrangère à l'administration.

Le mari pourrait-il stipuler, par contrat de mariage, qu'en cas d'insuffisance de la communauté il aura un recours sur les biens personnels de la femme? Il a été jugé que cette singulière clause est nulle, parce qu'elle vicie la communauté dans son essence. Cela nous paraît d'évidence.

(1) Pothier, De la communauté, no 701. Les auteurs, sauf Colmet de Santerre, et la jurisprudence sont en ce sens (Aubry et Rau, t. V, p. 361, note 22, § 511, et Dalloz, au mot Contrat de mariage, no 2424). Il faut ajouter la jurisprudence belge. Liége, 25 février 1865 (Pasicrisie, 1865, 2, 127), et Rejet, 29 novembre 1866 (ibid., 1867, 1, 69); Bruxelles, 3 août 1847 (ibid., 1847, 2, 193).

On se prévalait, devant la cour de cassation de Belgique, de la liberté dont jouissent les époux de régler leurs intérêts comme ils l'entendent; l'article 1387 ne fait d'exception à cette liberté que dans les cas où les conventions matrimoniales seraient contraires aux bonnes mœurs, on peut ajouter ou à l'ordre public, ou à une disposition prohibitive du code. Or, disait-on, l'article 1472, auquel la clause litigieuse déroge, est étranger à l'ordre public, et il n'est pas conçu dans des termes prohibitifs. La cour répond qu'il y a des dispositions qui sont virtuellement prohibitives, en ce sens qu'elles tiennent à l'essence de la communauté. Tel est l'article 1472. Le rapporteur du Tribunat dit que c'est une conséquence du pouvoir absolu dont le mari jouit sous le régime de communauté; or, ce pouvoir lui est accordé comme conséquence de la puissance maritale et de la subordination de la femme. Par compensation à ce pouvoir absolu du mari, la loi accorde à la femme certains priviléges, entre autres celui de l'article 1472 la femme n'y pourrait pas renoncer par contrat de mariage, de même qu'elle ne pourrait renoncer à son droit d'option (art. 1453), ni à son bénéfice d'émolument. Par la même raison, le mari ne peut stipuler un privilége que la loi accorde à la femme contre lui: pourrat-il stipuler qu'il aura le droit de renoncer à la communauté? Non, certes. Par identité de raison, il ne peut se réserver un recours sur les biens personnels de la femme quand la communauté est insuffisante pour le remplir de ses reprises ce serait faire porter à la femme la responsabilité d'une gestion qui lui est étrangère et affranchir le mari des conséquences de son pouvoir absolu. Veut-on que la femme soit responsable, il faut lui donner un droit égal d'administrer, ce qui est en opposition avec l'article 1389. Si elle est légalement exclue de l'administration par un motif d'ordre public, la conséquence qui résulte de cette exclusion sera aussi d'ordre public. Cela décide la question (1).

(1) Cassation, 1er décembre 1870 (Pasicrisie, 1871, 1, 3), et, sur renvoi, Bruges, 10 mars 1873 (ibid., 1873, 3, 108); Gand, 29 avril 1874 (ibid., 1874, 2,394).

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