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pense; son concours à l'acte n'empêche pas le mari d'en tirer profit, ce qui l'oblige à indemniser la communauté (1).

§ II. Des actions.

49. La coutume de Paris disait (art. 233): « Le mari est seigneur des actions mobilières et possessoires, posé qu'elles procèdent du côté de la femme; et peut le mari agir et déduire lesdits droits et actions en jugement sans ladite femme. Pothier donne le motif de cette disposition : « La communauté étant composée de tous les biens mobiliers de chacun des conjoints et le mari étant, en sa qualité de chef de la communauté, seul seigneur des biens de la communauté tant qu'elle dure, la coutume a trèsbien tiré la conséquence qu'il est seigneur pour le total des actions mobilières de sa femme et qu'il peut seul les déduire en jugement. » Cela est si évident, qu'il était inutile de le dire. Celui qui est seigneur et maître et qui a le droit absolu de disposer des biens peut naturellement agir en justice pour réclamer ses droits ou pour les défendre; c'est le droit de tout propriétaire. Or, le mari est propriétaire des biens communs. Voilà pourquoi le code ne dit rien des actions concernant les biens communs; il va sans dire qu'elles appartiennent toutes au mari, sans distinguer entre les actions mobilières et immobilières. L'article 1428 ne parle que des actions concernant les propres de la femme; nous y reviendrons.

La coutume de Paris ne dit rien des actions mobilières et possessoires qui procèdent du côté du mari, parce que la communauté n'apporte aucun changement aux droits que le mari a sur son patrimoine; il reste propriétaire et, comme tel, il continue à exercer les actions relatives à ses biens; peu importe, quant à lui, s'ils tombent ou non en communauté. Il a également le pouvoir d'agir quant aux conquêts, toujours parce qu'il en est le maître. Enfin le régime de communauté lui donne ce droit sur les biens

(1) Colmet de Santerre, t. VI, p. 146, no 166 bis VI.

de la femme qui y entrent, parce qu'il en devient seigneur et maître. La femme, en se mariant, met, dans la société de biens qu'elle forme, ses biens mobiliers présents et futurs et, par conséquent, les actions mobilières. A partir du mariage, c'est le mari qui agit, soit en demandant, soit en défendant. Pothier en déduit cette conséquence qui est certaine Quand même ces actions auraient été intentées par la femme avant son mariage, elles ne peuvent plus, après le mariage, être poursuivies par elle et contre elle seule, il faut que l'instance soit reprise par le mari ou contre le mari (1). Nous nous bornons à poser le principe, les détails appartiennent à la procédure.

Ce que nous disons des actions mobilières s'applique . aux actions possessoires. La coutume de Paris les donne au mari, elle suppose qu'il s'agit des propres; car, quant aux conquêts, le mari en étant propriétaire, il a toutes les actions, immobilières ou pétitoires, aussi bien que possessoires. S'il a les actions possessoires concernant les propres de la femme, c'est que la communauté en a la jouissance; elle doit donc avoir les actions qui protégent la jouissance. C'est l'explication donnée par Pothier.

50. La coutume ne parle pas des actions pétitoires concernant les propres de la femme. En principe, elles n'appartiennent qu'à la femme, puisque c'est elle qui est propriétaire. Le mari ne les a point comme chef de la communauté, puisque les propres restent en dehors de la société des biens que les époux forment en se mariant. Le mari ne les a pas comme administrateur des biens de la femme, car le droit d'intenter des actions immobilières n'est pas un droit d'administration; il n'y a que celui qui peut disposer des immeubles qui ait le droit d'agir en justice. Le mari n'a donc aucune qualité pour intenter ces actions ni pour y défendre.

La question est cependant controversée; il règne une grande incertitude, en cette matière, et dans la doctrine. et dans la jurisprudence. Le code ne décide pas la difficulté en termes formels; il dit que « le mari peut exercer

(1) Pothier, De la communauté, no 473.

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seul toutes les actions mobilières et possessoires qui appartiennent à la femme (art. 1428). Faut-il conclure de là qu'il n'a pas le droit d'intenter les actions immobilières? Ce serait, dit Toullier, appliquer le pitoyable brocard des glossateurs Inclusio unius est exclusio alterius; c'est l'argument mal famé qui se fonde sur le silence du législateur. Il est vrai que l'argument dit a contrario a peu de valeur; mais, dans notre question, il s'appuie sur les principes, ce qui change la thèse. Déjà, dans l'ancien droit, Lebrun disait que la femme doit être partie dans toutes les actions que le mari intente pour ses immeubles; car, n'ayant pas la faculté de les aliéner sans sa femme, il n'a pas le droit non plus d'en intenter les actions sans elle: il est absurde, disent les lois romaines, que celui qui ne peut aliéner puisse agir en justice (1). Toullier invoque, de son côté, les principes. L'article 1428, dit-il, déclare le mari responsable de tout dépérissement des biens personnels de sa femme; donc il doit avoir le droit d'agir. La fin de l'article répond à l'objection: le mari n'est responsable que lorsque le dépérissement arrive par défaut d'actes conservatoires; or, rien n'empêche le mari d'interrompre la prescription, mais cela ne lui donne pas le droit d'agir au pétitoire. Enfin Toullier se prévaut de l'ancien droit (2). Sur ce point, on l'a accablé de témoignages (3). Nous nous contenterons de celui de Ferrière; on sait que, dans son Commentaire sur la coutume de Paris, il ne fait que recueillir et compiler, comme il le dit, les opinions des auteurs et les décisions des parlements, mais il le fait avec intelligence. Que dit-il de l'article 239, dont nous avons transcrit le texte?« La coutume borne et restreint le pouvoir du mari à intenter et déduire seulement les actions mobilières et possessoires de sa femme sans son consentement, et non celles qui concernent le fonds, la propriété et le domaine de ses biens... Il ne peut rien faire, sans le consentement de sa femme, qui puisse emporter l'aliéna

(1) Lebrun, De la communauté, p. 204. no 28 (II. 2. 4).

(2) Toullier, t. VI,2, p. 338. nos 384-391.

(3) Odier. t. I, p. 259 et suiv., no 274. Rodière et Pont. t. II. p., 198,

tion de ses biens, et partant il ne peut point déduire ni intenter les actions réelles qui concernent la propriété des choses, laquelle appartient à la femme. » La tradition a été consacrée par l'article 1428; ce qui est décisif (1).

51. Là n'est point la véritable difficulté. Toullier dit que le mari a les fruits et revenus des propres de la femme, qu'à ce titre il doit avoir le droit de les revendiquer. Si cette jouissance était un véritable usufruit, la question serait décidée; le mari aurait, comme usufruitier, le droit d'intenter les actions réelles qui intéressent l'usufruit. Mais ce point même est douteux. Toujours est-il qu'en donnant au mari la jouissance des propres de sa femme, la loi a dû lui donner le droit de sauvegarder sa jouissance. L'intérêt du mari est évident; si la femme ne se défendait point, ou se défendait mal, la propriété périrait et, par suite, l'usufruit. Cet intérêt venant à l'appui du droit, le mari doit avoir la faculté d'intenter les actions réelles en tant qu'il y a intérêt à raison de sa jouissance. Toutefois il ne représente pas la femme; il n'est pas propriétaire, et il n'a pas le droit d'agir au nom de la femme propriétaire. Donc les jugements qui interviendront avec lui ne lieront pas la femme, parce qu'elle n'a pas été partie au procès, et elle n'y a pas été représentée (2). De là suit encore que si, par suite des conventions matrimoniales, le mari n'avait pas la jouissance d'un propre de la femme, il n'aurait plus ni droit ni intérêt d'agir (3).

52. Quelle est la jurisprudence? Nous mettons le fait en question, parce que, chose singulière, on invoque l'autorité de la cour de cassation à l'appui des opinions les plus contraires. Troplong dit qu'elle a consacré l'opinion qu'il enseigne et qui distingue entre les droits du mari comme usufruitier et les droits du mari comme administrateur; tandis que les éditeurs de Zachariæ, qui professent la même opinion, disent que la cour suprême recon

(1) Cassation, 22 avril 1873 (Dalloz, 1873, 1, 428). La cour ne discute pas même la question, elle se borne à citer l'article 1428.

(2) Troplong, t. I, p. 305, no 1006.

(3) Aubry et Rau, t. V, p. 334, no 29. et les auteurs, en sens divers, qu'ils citent.

naît au mari le droit d'agir comme administrateur des biens de la femme (1). Cela prouve que la jurisprudence n'est pas très-claire.

Un premier arrêt décide que le mari étant administrateur des biens de la femme, responsable du dépérissement qu'ils éprouvent par le défaut d'actes conservatoires, et maître des fruits qui en proviennent pendant le mariage, a droit d'exercer, dans son intérêt et pour la conservation des droits de la femme, les actions immobilières de celle-ci. Voilà bien la doctrine que nous avons combattue d'accord avec Troplong et avec Aubry et Rau; elle donne au mari le droit d'intenter les actions immobilières en qualité d'administrateur, ce que nous considérons comme une hérésie juridique. La cour elle-même recule devant les conséquences de sa doctrine. S'il est vrai que le mari a le droit d'agir comme administrateur légal, il a par cela même qualité pour représenter la femme; donc celle-ci est partie en cause et, par conséquent, le jugement peut lui être opposé. La cour, au contraire, dit que si la femme n'intervient pas dans l'instance, le jugement rendu avec le mari n'aura pas force de chose jugée contre elle s'il lui est défavorable.

Le second arrêt de la cour confond et embrouille tous les principes. Elle cite les articles 1428 et 1549, l'un concernant le régime de communauté, l'autre relatif au régime dotal. Il est vrai que le mari est administrateur des biens dotaux de la femme sous les deux régimes. Mais son pouvoir d'administration sous le régime dotal est bien plus étendu; la loi lui donne le droit de poursuivre les détenteurs des biens dotaux, c'est-à-dire d'intenter les actions réelles; ce qui est une conséquence de la fiction romaine en vertu de laquelle le mari était considéré comme propriétaire de la dot. Le droit coutumier ignore cette fiction, le mari est un simple administrateur; or, le code ne donne jamais aux administrateurs des biens d'autrui le droit d'intenter les actions immobilières : le tuteur

(1) Troplong, t. I, p. 306, no 1008. Aubry et Rau, t. V. p. 334, note 29, § 509.

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