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n'a pas ce droit (art. 464), les envoyés en possession des biens d'un absent ne l'ont point (t. II, no 188). La cour va jusqu'à permettre au mari d'intenter les actions concernant les biens paraphernaux sur lesquels le mari n'a aucun droit (1); la confusion est complète. Une pareille jurisprudence n'a aucune autorité.

53. L'absence de tout principe conduit aux procès et aux décisions les plus déraisonnables. Il a été jugé que le père survivant représentait les enfants dans une action où ils avaient le même intérêt, comme s'il suffisait de l'intérêt commun pour donner qualité d'agir. Est-ce que le mari peut représenter sa femme ou ses enfants, alors qu'il n'y a plus de communauté? Cependant la cour de Limoges l'avait jugé ainsi. L'arrêt a été cassé (2); nous croyons inutile de reproduire les motifs, il suffit de poser la question pour la résoudre.

§ III. Des dettes contractées par le mari.

No 1. A L'ÉGARD DES CRÉANCIERS.

54. Nous avons déjà dit qu'à l'égard des créanciers, toute dette du mari est une dette de communauté, et nous avons exposé le fondement de ce principe (t. XXI, no 424427). La loi applique le principe même aux amendes que le mari encourt pour un délit criminel; elle permet de le poursuivre sur les biens de la communauté, sauf la récompense due à la femme (art. 1424). Pothier a assez de peine à justifier cette disposition. La femme est tenue par son acceptation, parce qu'en acceptant elle s'approprie les actes du mari. Or, on ne peut certes pas dire que la femme, qui n'a eu aucune part au délit, soit censée l'avoir commis avec son mari. Elle n'en est pas moins censée, dit Pothier, s'être obligée avec lui, en sa qualité de commune, à la réparation du délit pour sa part en la com

(1) Cassation, 14 novembre 1831. et Rejet, 15 mai 1832 (Dalloz, au mot Contrat de mariage, no 1336).

(2) Cassation, 14 juin 1830 (Dalloz, au mot Contrat de mariage, no 1140).

munauté (1). Cette doctrine conduit logiquement à charger la communauté des amendes sans récompense. Pothier ne recule pas devant cette conséquence; elle démontre, nous semble-t-il, la fausseté du principe. Conçoit-on que les délits engendrent une dette sociale? En droit, il y a un vieil adage qui dit: Nulla delictorum societas. Et la raison ainsi que le sens moral se révoltent contre l'obligation imposée à la femme de payer une amende pour un délit qui lui est étranger. Il est vrai que le code lui donne une récompense, mais la récompense peut être dérisoire si la communauté est mauvaise et si le mari est insolvable. Le délit est un fait essentiellement personnel au coupable, donc les obligations qui en résultent devraient aussi être personnelles.

L'article 1424 donne lieu à une légère difficulté de texte. Il parle des amendes encourues par le mari pour crime. Est-ce à dire que le principe ne reçoit pas d'application aux délits et aux contraventions? La distinction que le code pénal de 1810 fait entre les diverses infractions n'existait point lorsque le code civil a été discuté et publié; le mot crime est donc pris dans son acception la plus large. Cela est aussi fondé en raison. Conçoit-on que la communauté soit tenue des amendes pour les infractions les plus graves et qu'elle ne soit pas tenue des amendes pour les infractions relativement plus légères? Cela n'aurait pas de sens (2).

55. L'article 1424 ajoute une restriction au principe qu'il pose; il dit « pour crime n'emportant pas mort civile. L'article 1425 explique cette restriction : « Les condamnations prononcées contre l'un des deux époux. pour crime emportant mort civile ne frappent que sa part de communauté et ses biens personnels. » Cette exception a été empruntée à l'ancien droit. Elle a été introduite en haine de la confiscation des biens, peine souverainement injuste qui aurait frappé l'époux innocent et les enfants. On justifiait l'exception, en droit, par cette considération

(1) Pothier, De la communauté, no 248.

(2) Rodière et Pont et tous les auteurs (t. II, p. 133, no 837).

que la mort civile était encourue, dans l'ancien droit, par le seul fait de la condamnation; donc au moment où naissait l'obligation de payer l'amende et les frais, il n'y avait plus de communauté, puisque la mort civile la dissolvait. C'était une justification telle quelle le crime étant commis pendant la communauté, les obligations qui en naissent pouvaient et devaient frapper la communauté, au moins pour les crimes du mari, puisqu'on lui reconnaissait le pouvoir exorbitant d'obliger la communauté par ses délits. Dans notre droit moderne, la mort civile n'est encourue que par l'exécution de la condamnation (art. 26 et 27); donc la raison ou le prétexte qu'on alléguait dans l'ancien droit venait à tomber, partant, l'exception de l'article 1425 n'avait plus de raison d'être. Elle n'existe plus ni en France ni en Belgique, puisque la mort civile est abolie en Belgique par notre constitution et en France par la loi du 1er mai 1854 (1). On peut donc poser comme règle absolue qu'à l'égard des créanciers toute dette du mari est une dette de communauté. Cela est logique, puisque le mari est seigneur des biens communs.

No 2. ENTRE ÉPOUX.

56. L'article 1409, qui dispose que les dettes contractées par le mari pendant la communauté tombent dans le passif de la communauté, ajoute sauf la récompense dans les cas où elle a lieu. » Pothier explique ce qu'il appelle une exception par cette considération que le mari doit indemniser la communauté quand la dette a été contractée pour des affaires qui concernent son intérêt seul et dont il n'y a que lui qui profite. A vrai dire, l'exception est une règle générale du régime de communauté; elle dérive d'un principe que Pothier formule comme suit: << Encore bien que le mari soit, pendant le mariage et tant que la communauté dure, maître absolu des biens communs et qu'il puisse, en conséquence, en disposer à son

(1) Aubry et Rau, t. V, p. 332, note 24. Rejet, 2 mai 1864 (Dalloz, 1864, 1, 266).

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gré, il ne peut néanmoins s'en avantager au préjudice de la part que doit y avoir sa femme (1). Le principe des récompenses n'est pas spécial au mari, c'est une règle générale de notre régime que le code formule dans l'artiele 1437; nous y reviendrons en traitant de la liquidation de la communauté.

57. Pour que le mari doive récompense, il faut, d'après la règle de l'article 1437, qu'il ait tiré un profit personnel des biens de la communauté. Or, ce n'est pas tirer un profit personnel des biens communs que de s'obliger dans l'intérêt d'un tiers aux affaires duquel on est étranger. Pothier en fait la remarque, et cela est d'évidence. Le mari se rend caution d'un ami pour des affaires auxquelles il n'a aucun intérêt, uniquement pour faire plaisir au débiteur; la dette est à charge de la communauté, sans que le mari en doive récompense, car il n'en tire aucun profit personnel. C'est perdre les biens communs; or, le mari a le droit de les perdre (2).

La cour de cassation a fait l'application de ces principes aux emprunts que le mari contracte pendant la durée de la communauté. Dans l'espèce, la femme réclamait une récompense, parce qu'il n'était pas justifié que la femme eût profité des sommes empruntées. La cour a jugé que les emprunts faits par le mari étaient présumés avoir été contractés dans l'intérêt de la communauté; d'où elle conclut que c'est à celui qui réclame une récompense à prouver que les deniers empruntés ont servi à acquitter une dette personnelle au mari, ou que celui-ci en a tiré un profit personnel quelconque (3). Il nous semble que la décision, juste au fond, est mal motivée. La loi n'établit pas la présomption que les emprunts contractés par le mari sont faits dans l'intérêt de la communauté; cela impliquerait que le mari n'oblige la communauté, sans être tenu à récompense, que lorsque la dette est contractée dans l'intérêt de la communauté. Or, Pothier vient de nous dire le contraire, et cela n'est point douteux. Le mari n'a donc

(1) Pothier, De la communauté, no 250.
(2) Pothier. De la communauté, no 248.
(2) Cassation, 19 juillet 1864 (Dalloz, 1865. 1, 66).

pas besoin de cette prétendue présomption pour repousser la demande de récompense. Celui qui soutient que le mari doit récompense est demandeur, car il réclame une indemnité à charge du mari, il doit prouver le fondement de sa demande, c'est-à-dire que le mari a tiré un profit personnel des deniers empruntés.

58. Quand le mari tire-t-il un profit personnel des biens de la communauté? C'est une question de fait. L'article 1437 donne des exemples sur lesquels nous reviendrons. Nous venons de dire que le mari doit récompense quand il dote un enfant d'un premier lit avec des deniers ou des biens pris dans la communauté (art. 1469). C'est un profit personnel, en ce sens que le mari paye une dette qui lui est personnelle (no 45)..

Il y a des cas où le mari doit récompense pour une dette personnelle acquittée par la communauté, sans que l'on puisse dire qu'il en tire un profit personnel, en ce sens qu'il se soit enrichi. D'après l'article 1424, le mari doit récompense des amendes que la communauté a payées à sa décharge. Il ne s'enrichit pas par là, mais il tire un profit personnel de la communauté, puisque la dette personnelle de sa nature aurait dû être payée sur les biens qui lui sont personnels; la communauté fait une avance que le mari doit restituer. Il importe de préciser le vrai motif de cette décision, parce qu'il nous servira à décider une question très-controversée. Troplong dit que c'est une dérogation aux vrais principes qui régissent le pouvoir du mari; il serait plus vrai de dire que c'est une dérogation à la théorie traditionnelle, une innovation législative. Reste à savoir laquelle des deux doctrines est la plus juridique. Nous avons répondu d'avance à la question. Le mari est sans doute seigneur de la communauté, il en dispose à son gré, même pour des affaires étrangères à la société conjugale. C'est déjà aller très-loin que de lui permettre d'obliger la communauté sans récompense, alors qu'il n'agit pas dans l'intérêt de la communauté. Le législateur français a pensé que ce serait aller trop loin et violer le principe essentiel de toute société que de déclarer la femme commune obligée par les délits du mari. La femme,

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