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en acceptant, s'approprie les actes du mari. On conçoit, à la rigueur, qu'elle soit censée avoir concouru au cautionnement du mari pour un ami, quoique cet acte soit étranger à la communauté, car rien de ce qui intéresse le mari n'est étranger à la femme; mais il n'y a ni principe ni fiction qui puisse expliquer que la femme soit complice d'un délit du mari auquel elle n'a pas participé. Le délit est le plus personnel des actes; les obligations qui en résultent doivent aussi être personnelles à l'auteur du délit.

59. Nous préjugeons par là la décision d'une question très-controversée : le mari doit-il récompense des réparations civiles qui résultent du délit et que la communauté a été obligée de payer? Que la communauté en soit tenue à l'égard du créancier, cela n'est point douteux, puisqu'elle est même tenue des amendes. Mais a-t-elle droit à une récompense de ce chef? C'est notre avis. Le code civil établit, dans deux articles (1409 et 1424), le principe que le mari doit récompense pour les dettes qui lui sont personnelles; et il considère comme dette personnelle l'amende que le mari encourt pour un délit criminel. L'amende est une conséquence du délit. Si l'amende est personnelle au mari parce que le délit lui est personnel, il en doit être de même des réparations civiles, par identité de motifs, les réparations étant une suite du délit aussi bien que les amendes.

On objecte le texte de la loi; l'article 1424 n'oblige le mari à récompense que pour les amendes, la loi ne parle pas des réparations civiles; on en conclut que le mari ne doit aucune récompense de ce chef. L'argument serait bon si l'article 1424 établissait une exception au droit commun; il n'en est rien; le code déroge à l'ancien droit, mais en innovant il revient aux vrais principes. L'article 1424 est donc l'application d'un nouveau principe, plus rationnel que l'ancien ne serait-il pas contradictoire d'appliquer les doctrines traditionnelles aux réparations civiles, alors que le législateur les a rejetées pour les amendes?

(1) Troplong, t. I, p. 285, no 917. Comparez Colmet de Santerre, t. VI, p. 155, no 68 bis I.

XXII.

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Conçoit-on qu'il y ait deux règles contraires pour deux conséquences d'un seul et même fait? Les amendes sont personnelles, parce qu'elles sont encourues pour un fait personnel; et les réparations civiles, également encourues pour un fait personnel, ne seraient pas personnelles!

Pour admettre une pareille anomalie, il faudrait que la loi nous y forçât. Or, la loi dit seulement que les amendes donnent lieu à une récompense, elle ne dit pas que les amendes seules donnent lieu à une récompense. Le texte n'est donc pas restrictif; cela suffit pour que l'interprète puisse et doive appliquer aux réparations civiles le principe que l'article 1424 applique aux amendes. On prétend que le sens restrictif de l'article 1424 résulte de la combinaison de cet article avec l'article 1425. Quand il s'agit des suites du délit que le code met à la charge du mari, en ce sens qu'il en doit récompense, il se sert du mot amendes. S'agit-il des suites d'un crime emportant mort civile, que le code ne permet pas de poursuivre contre la communauté, il emploie l'expression générale de condamnations, qui comprend les réparations civiles aussi bien que les amendes. Si l'intention du législateur, dans l'article 1424, avait été de mettre les réparations civiles à la charge personnelle du mari, il se serait servi de l'expression générale de condamnations; en employant l'expression spéciale d'amendes, il a dû l'employer dans un sens restrictif. Nous croyons que l'on attache aux expressions dont la loi se sert une signification qu'elles n'ont pas. Le législateur français n'aime pas à répéter les mêmes expressions: qui nous dit que ce n'est pas là la raison pour laquelle il se sert du mot amendes dans l'article 1424 et du mot condamnations dans l'article 1425? Rien n'a été dit dans les travaux préparatoires sur les articles 1424 et 1425; les deux interprétations sont donc admissibles, celle qui restreint l'article 1424 aux amendes et celle qui permet de l'appliquer aux réparations civiles: laquelle faut-il choisir? Nous donnons la préférence à l'interprétation qui est rationnelle. A ce point de vue, nous pouvons invoquer en notre faveur l'article 1425 dont on se prévaut contre notre opinion; il met sur la même ligne les répa

rations civiles et les amendes quand il s'agit d'un crime emportant mort civile, quoique les réparations civiles soient dues du jour où le fait dommageable a été commis, et non du jour de la condamnation; la loi ne permet pas de poursuivre la communauté, on ne peut donner d'autre motif de cette disposition, sinon qu'il serait irrationnel de distinguer entre les diverses obligations qui résultent d'un crime. Si cela est irrationnel pour les crimes prévus par l'article 1425, cela est aussi irrationnel pour les délits dont parle l'article 1424.

On fait encore une objection contre notre théorie des faits personnels. Elle conduit logiquement, dit-on, à mettre à la charge du mari, sans récompense, les obligations qui naissent d'un délit civil, et même celles qui naissent d'un quasi-délit; et si l'on voulait pousser le principe à bout, il faudrait même dire que le dol étant personnel au mari, ainsi que toute espèce de faute, lui seul en doit répondre. Nous répondons que c'est donner à notre théorie une portee qu'elle n'a point. Il y a une ligne de démarcation naturelle entre les infractions pénales et les obligations civiles. Le délit est un fait essentiellement personnel, auquel la femme est étrangère et dont elle ne doit pas pâtir. Il n'en est pas de même du dol et de la faute aquilienne, ici on rentre dans le droit commun : le dol est une espèce de faute, et la faute aquilienne ne diffère pas en essence de la faute conventionnelle. Dès lors les principes de droit ne s'opposent pas à ce que l'on étende à la femme les obligations que le mari contracte par un délit ou un quasi-délit, tandis que le sens moral se révolte à la pensée qu'un crime impose une obligation quelconque à la femme qui en est innocente (1).

(1) Rodière et Pont, t. II, p. 133, no 838, et les auteurs qu'ils citent. En sens contraire, Aubry et Rau, t. V, p. 333, et note 27, § 509, et les autorités qu'ils citent; il faut y ajouter Colmet de Santerre, t. VI, p. 156, no 68 bis IV. Nous ne connaissons qu'un seul arrêt formel sur notre question, il est favorable à l'opinion que nous combattons. Douai, 30 janvier 1840 (Dalloz, au mot Contrat de mariage, no 977).

ARTICLE 2. Droits de la femme.

60. La femme a-t-elle des droits pendant la durée de la communauté? Elle est associée en vertu de la convention tacite qui a formé la communauté légale, mais c'est un associé sans droits actuels. En ce sens Dumoulin disait qu'elle n'était pas associée, qu'il y avait seulement espérance qu'elle le deviendrait. Pothier développe cette idée en disant Le droit de la femme sur les biens de la communauté n'est, pendant qu'elle dure, qu'un droit informe, puisque non-seulement elle ne peut seule et d'elle-même disposer en rien de la part qu'elle y a, mais que c'est son mari qui, en sa qualité de chef de la communauté, a seul, tant qu'elle dure, le droit de disposer, comme de sa propre chose, de tous les effets qui la composent, tant pour la part de la femme que pour la sienne. Le droit de la femme se réduit donc, tant que la communauté dure, à une simple espérance de partager les biens qui se trouveront la composer lors de sa dissolution; ce n'est que par cette dissolution que le droit de la femme est ouvert et qu'il devient un droit véritable et effectif de propriété pour moitié de tous les biens qui la composent (1). » Pothier dit cela dans le premier numéro de la rubrique intitulée : Du droit de la femme sur les biens de la communauté. Quel est ce droit? Le rapporteur du Tribunat répond « qu'elle n'en a pas tant que la communauté existe, ni dans l'administration ni dans la disposition des biens qui la composent (2). »

Le texte du code est en harmonie avec la tradition. Aux termes de l'article 1421, le mari administre seul les biens de la communauté; la femme n'y concourt donc pas. N'ayant pas le droit de consentir, elle n'a point le droit de former opposition aux actes que le mari fait. Il en est de même des aliénations : le mari peut disposer à titre onéreux des biens de la communauté sans le concours de la femme. Le mari est seigneur et maître, il use et il abuse.

(1) Pothier. De la communauté, no 497.

(2) Duveyrier, Rapport, no 18 (Locré, t. VI, p. 418).

La femme n'a d'autre moyen d'empêcher la mauvaise gestion du mari que d'y mettre fin en demandant la dissolution de la communauté. Elle n'a pas même droit à une indemnité lorsque le mari a dissipé les biens; c'est un droit pour le mari que de perdre les biens communs : il n'est pas responsable de sa gestion, ni de ses abus de pouvoir; il a le droit d'abuser, puisqu'il est seigneur et maître (1).

61. La femme a-t-elle au moins le droit d'agir quand le mari est dans l'impossibilité de le faire? En règle générale, non. Le mari est interdit : qui administrera la communauté? Le tuteur; donc la femme, si elle est tutrice et en cette qualité; si elle n'est pas tutrice, elle est sans droit aucun. Quand il s'agit de marier un enfant commun, rien ne paraît plus naturel que de transporter à la femme le droit de le doter, puisque l'obligation de doter est commune aux deux époux en tant qu'elle constitue une dette naturelle. Néanmoins le code dit que la dot ou l'avancement d'hoirie et les autres conventions matrimoniales seront réglés par un avis du conseil de famille homologué par le tribunal (art. 511). Si le mari est absent, dans le sens légal du mot, l'administration de la communauté ne passe point à la femme, malgré la probabilité de mort. Nous avons exposé, au titre de l'Absence, les mesures que le législateur a prescrites pour concilier les droits de l'absent avec ceux de la femme (2).

62. Toutefois la femme n'est pas absolument sans droit, comme Duveyrier semble le dire. En cas d'absence, la femme peut engager les biens de la communauté pour l'établissement de ses enfants, après y avoir été autorisée par justice. Si elle peut obliger la communauté, c'est qu'elle est associée, donc copropriétaire. Elle oblige encore la communauté quand elle agit avec autorisation maritale. Ce n'est pas le mari qui l'oblige, car il ne parle pas au contrat, il n'y intervient que pour autoriser la femme incapable; donc c'est la femme, partant elle est as

(1) Pothier, De la communauté, no 470.
(2) Rodière et Pont, t. II, p. 154, no 861

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