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sociée et propriétaire. La femme joue encore un grand rôle, sous notre régime, comme mandataire du mari: elle oblige le mari et, par suite, la communauté. Voilà pourquoi Pothier traite du droit de la femme sur les biens de la communauté, et nous devons le faire comme lui.

§ Ier. Des dettes contractées par la femme sans

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autorisation.

63. L'article 1426 porte que les actes faits par la femme sans le consentement du mari, et même avec l'autorisation de la justice, n'engagent point les biens de la communauté. » Pourquoi la femme n'a-t-elle pas le droit d'obliger la communauté? Il est de principe que celui qui oblige sa personne oblige ses biens (art. 2092; loi hyp., art. 7 et 8). Si la femme n'oblige pas les biens de la communauté, c'est qu'ils ne sont pas dans son domaine; ils appartiennent au mari, qui seul a le droit de les administrer et d'en disposer. Cela paraît en contradiction avec ce que nous venons de dire (n° 62); mais, en cette matière, il n'y a point de vérité absolue, et quand les interprètes disent, les uns que la femme est associée, les autres qu'elle ne l'est pas, il faut entendre ces propositions avec une réserve. La femme est associée, mais sans droit actuel, sauf dans les rares cas où la loi lui permet d'engager la communauté. Régulièrement la femme, en s'obligeant, n'oblige pas la communauté, alors même qu'elle contracte avec autorisation de justice. La justice n'intervient que pour couvrir l'incapacité de la femme; la femme autorisée devient capable de s'obliger, mais elle ne peut obliger que son patrimoine, c'est-à-dire la nue propriété de ses propres; quant à la jouissance, elle appartient au mari comme chef de la communauté; et la justice ne peut pas autoriser la femme à s'obliger, avec cet effet qu'elle engage les biens de la communauté; le mari seul a le droit d'en disposer soit directement soit indirectement.

64. En principe, la femme n'a le droit d'obliger la communauté qu'avec le consentement du mari. Nous en avons

donné la raison ailleurs (t. XXI, n° 429). Donc dès que la femme s'oblige sans consentement du mari, la communauté n'est pas tenue de ses engagements. Or, il y a des obligations qui, par leur nature, sont contractées sans le consentement du mari. Tels sont les quasi-contrats, les délits et les quasi-délits; tous ces engagements se forment sans convention, c'est-à-dire sans qu'il y ait un concours de consentement. Quand la femme est obligée en vertu du quasi-contrat de gestion d'affaires, elle l'est en vertu de la loi, sans y avoir consenti; à plus forte raison, le mari n'est-il pas appelé à consentir ni à refuser son consentement; dès lors la communauté ne saurait être obligée.

65. Quant aux délits criminels, l'article 1424 porte que les amendes encourues par la femme ne peuvent s'exécuter que sur la nue propriété de ses biens personnels tant que dure la communauté. Pour les délits criminels, pas plus que pour les délits civils, il n'intervient un concours de consentement; la femme, auteur du délit, le commet, à la vérité, volontairement; en ce sens, elle est obligée par sa volonté; mais le mari restant étranger au délit, il en résulte que la communauté ne saurait être obligée, puisqu'elle ne peut l'être que par le consentement du mari. La femme seule est tenue de toutes les conséquences de son délit, et elle en est tenue sur ses biens comme tout débiteur; donc, comme le dit l'article 1424, sur la nue propriété de ses propres. C'est l'effet que produisent les obligations de la femme quand le mari ne consent pas.

L'article 1424 ne parle pas des réparations civiles. Le même principe doit recevoir son application à toutes les conséquences du délit ; si les amendes peuvent être poursuivies sur les biens de la femme, il en doit être de même des réparations civiles. Dans l'opinion que nous avons professée sur le sens de l'article 1424, cela n'est pas douteux, puisque nous le considérons comme une application d'un principe général. Ceux, au contraire, qui soutiennent qu'il consacre une exception, qu'il est restrictif, devraient, pour être conséquents, admettre qu'il est restrictif en ce qui concerne la femme, aussi bien qu'à l'égard du mari,

car les termes ne diffèrent point (1). Mais l'interprétation restrictive conduirait à une conséquence absurde, c'est que la partie lésée par le délit n'aurait aucune action sur les biens de la femme pendant la durée de la communauté. Il faut donc forcément reconnaître que l'article 1424 doit être interprété par les principes généraux de droit.

66. On suppose que le mari autorise sa femme à défendre à l'action publique ou à l'action civile dirigée contre elle. Cette autorisation aura-t-elle pour effet de donner action au créancier contre le mari, c'est-à-dire contre la communauté? La question nous paraît étrange. Quant à l'action publique, la femme n'a pas besoin d'être autorisée, donc l'autorisation qui lui serait donnée ne saurait avoir aucun effet. Si la femme est seulement poursuivie au civil par la partie lésée, elle doit être autorisée pour plaider. On dit que cette autorisation oblige le mari et la communauté. Nous reviendrons plus loin sur la question de principe, celle de savoir si l'article 1419 s'applique aux condamnations judiciaires prononcées contre la femme qui a plaidé avec autorisation maritale. La question du délit criminel est spéciale, puisqu'une disposition formelle déclare que le créancier n'a pas d'action contre la communauté. Cependant on enseigne que l'autorisation du mari a pour effet de l'obliger lui et la communauté; pourquoi? Parce que le fait d'autoriser la femme à se défendre implique l'idée que la communauté a tiré un profit du délit, profit que le mari veut conserver en autorisant sa femme à ester en justice. Supposons que le mari ait une idée pareille; il n'aurait qu'à laisser plaider la femme avec autorisation du juge, ce qui ne l'exposerait pas aux mauvaises chances du procès. Mais nous ne comprenons pas que l'on présume que le mari entende prendre sur lui ces mauvaises chances, et il le voudrait qu'il ne le pourrait pas. Peut-il obliger la communauté pour un délit de la femme, alors que la loi dit que la communauté ne sera pas obligée? On ajoute toutefois la présomption n'est pas absolue, le mari pourra la détruire par la preuve contraire,

(1) Voyez, plus haut, no 59.

auquel cas, tout en restant tenu à l'égard du créancier, il aurait droit à une récompense contre sa femme (1). Ainsi on commence par imaginer une présomption que la loi ignore, puis on veut bien reconnaître que cette prétendue présomption n'est pas absolue et permettre au mari de faire la preuve contraire. Est-ce l'interprète qui parle ou est-ce le législateur? C'est l'interprète qui se fait législateur; car la loi seule peut créer des présomptions, en admettant ou en refusant la preuve contraire. Si nous signalons ces erreurs, c'est comme excuse de ce que nous écrivons tant de volumes pour établir les principes; on voit que les principes les plus élémentaires sont méconnus par les meilleurs auteurs.

67. Au titre des Obligations, nous avons dit que le mari est, dans certains cas, civilement responsable des délits commis par sa femme (t. XX, n° 601). C'est une responsabilité tout à fait exceptionnelle qui, par ce motif, ne peut être étendue hors des limites dans lesquelles les lois spéciales l'établissent. Il y a des tribunaux de paix qui ont condamné le mari comme civilement responsable de toute espèce de délits commis par la femme, en assimilant la femme à un enfant mineur. L'erreur est évidente; l'une de ces décisions, déférée à la cour suprême dans l'intérêt de la loi, a été cassée (2).

Quand le mari est civilement responsable, la dette devient une dette de communauté, en vertu du principe général que toute dette du mari est dette de la communauté. Il en serait de même si le mari était coauteur ou complice du délit ou du fait dommageable. La cour de cassation a appliqué ce principe à l'espèce suivante. Une personne décède laissant un testament en faveur de son neveu. Quelques mois avant sa mort, la femme du légataire s'était transportée auprès du malade pour le soigner. Après sa mort, on trouva sur lui un papier que ladite femme dé

(1) Rodière et Pont, t. II, p. 75, no 783, d'après Zachariæ, Massé et Vergé, et Troplong.

(2) Cassation, section criminelle, 18 novembre 1824 (Dalloz, au mot Contrat de mariage, no 987). Comparez les arrêts rapportés par Dalloz, au mot Contrat de mariage, nos 987, 989-991.

chira. Une nièce du défunt prétendit que l'écrit déchiré contenait une révocation du testament et réclama, de ce chef, des dommages et intérêts contre le légataire et sa femme. Le mari déclara qu'il n'avait point autorisé sa femme à lacérer l'écrit et qu'il ignorait même le fait. Néanmoins la cour de Rouen condamna les deux époux solidairement à payer à la demanderesse, à titre de dommages-intérêts, une rente viagère de 1,500 francs. Sur le pourvoi, il intervint un arrêt de rejet. Les deux décisions nous paraissent très-mal motivées quant à la responsabilité du mari. Il n'était pas établi qu'il fût complice de la lacération. Le seul motif que donne la cour, c'est que la femme avait été préposée, du consentement de son mari, dans la maison du défunt, et qu'elle avait agi dans l'intérêt de son mari, légataire universel (1). C'était faire une fausse application de l'article 1384 : la femme chargée de soigner le malade n'était pas la préposée de son mari, elle était la préposée de celui qui l'avait chargée de ces soins, donc du malade. Quant à l'intérêt du légataire, il ne suffisait certes pas pour le rendre responsable.

68. Nous disons que l'intérêt du mari ne suffit pas pour le rendre responsable d'un délit de sa femme. Autre est la question de savoir si la communauté est tenue quand elle profite d'une obligation contractée par la femme, quoique non autorisée. Pothier pose comme principe que lorsque la femme s'oblige avec autorisation de justice, au refus du mari, la communauté est tenue jusqu'à concurrence du profit qu'elle a retiré de l'affaire. Il donne comme exemple la poursuite de droits successifs faite par la femme avec autorisation de justice; si le mari recueille les biens, la communauté sera tenue jusqu'à concurrence de ce dont elle a profité. La coutume d'Orléans en contenait une disposition expresse : « Toutefois le mari sera tenu de rapporter ce qu'il aura pris et reçu à cause desdits droits et actions poursuivis par sadite femme (2). » Cette doctrine a été consacrée implicitement par le code civil (art. 1416);

(1) Rejet, 27 février 1827 (Dalloz, au mot Contrat de mariage, no 992). (2) Pothier, De la communauté, no 255.

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