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Kec. Sept. 10, 1900.

TITRE VI.

(TITRE V DU CODE CIVIL.)

DU CONTRAT DE MARIAGE ET DES DROITS RESPECTIFS DES ÉPOUX (suite).

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1. Pothier pose le principe en ces termes : « Le mari, comme chef de la communauté, est réputé seul seigneur des biens de la communauté tant qu'elle dure, et il en peut disposer à son gré sans le consentement de sa femme. » C'est la reproduction de ce vieil adage coutumier qui dit que le mari est seigneur et maître de la communauté. Pothier ajoute que cela est vrai tant que la communauté dure; à la dissolution, la femme peut accepter et partager les biens communs. En ce sens, Dumoulin disait que la femme n'est point associée, mais qu'elle espère le devenir (n° 193); elle le devient en acceptant; si elle renonce, elle est censée n'avoir jamais été commune. De

XXII.

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même on disait du mari: « Il vit comme maître, il meurt comme associé. "

Est-ce que telle est encore la doctrine du code? La question est controversée; les uns disent que le mari est toujours seigneur et maître(1), d'autres disent qu'il n'est plus qu'administrateur (2). C'est une discussion assez oiseuse, car le code détermine avec soin les pouvoirs du mari; on ne peut donc pas les restreindre, par le motif qu'il ne serait qu'administrateur, et on ne peut pas les étendre par la raison qu'il est maître et seigneur. Toutefois il importe toujours que le langage juridique soit d'une précision rigoureuse. Le code ne dit point que le mari est seigneur et maître, mais il ne dit pas non plus que le mari est un simple administrateur. On cite l'article 1421, qui commence par dire : « Le mari administre seul les biens de la communauté. » Est-ce à dire que le code qualifie le mari d'administrateur de la communauté? L'article 1421 continue « Il peut vendre les biens, les aliéner et hypothéquer sans le concours de la femme. Est-ce que l'administrateur peut vendre et hypothéquer? Voilà des droits qui n'appartiennent qu'au propriétaire; donc le mari est maître; on peut donc toujours dire, comme dans l'ancien droit, qu'il est seigneur des biens de la communauté. Seulement la loi limite ses pouvoirs en ce qui concerne le droit de disposer à titre gratuit; sous ce rapport, le code déroge à l'ancien droit (art. 1422), mais cette dérogation a peu d'importance. Les donations sont rares; on trouve très-peu de maris disposés à donner, car en appauvrissant la communauté, ils s'appauvrissent eux-mêmes. A qui se font d'ordinaire les donations entre-vifs? Aux enfants, à titre de dot ou d'établissement; or, le mari peut disposer, à titre gratuit, des biens communs pour établir les enfants. Tout ce que l'on peut donc dire, c'est que le mari est maître et seigneur pour les actes à titre onéreux; il ne l'est plus pour les actes à titre gratuit.

(1) Aubry et Rau, t. V, p. 325, § 509. Colmet de Santerre, t. VI, p. 140, n° 65 bis 1.

(2) Duranton, t. XIV, p. 374, no 271. Bugnet sur Pothier, t. VII, p. 258, note 1.

Même dans l'ancien droit, les pouvoirs du mari n'étaient pas aussi absolus que semblaient le dire les coutumes en le qualifiant de seigneur et maître. Pothier, après avoir dit que le mari est réputé seul seigneur des biens de la communauté et qu'il peut en disposer à son gré, ajoute une restriction, c'est que le mari ne peut rien faire en fraude de la part que la femme ou ses héritiers ont droit d'y avoir lors de la dissolution de communauté, et qu'il ne peut surtout s'en avantager à leur préjudice (1). Cela prouve que le mari est tout ensemble maître et associé; comme maître, il dispose des biens; comme associé, il ne peut en disposer en s'avantageant au préjudice de son associée.

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2. Le mari peut vendre et aliéner les biens de la communauté sans le concours de la femme (art. 1421). La loi exprime la même idée par deux termes synonymes: vendre, c'est aliéner; le mot aliéner suffisait donc. Si le code dit vendre et aliéner, c'est, sans doute, pour marquer la plénitude du pouvoir de disposition qui appartient au mari. Ce pouvoir reçoit cependant une exception d'après la jurisprudence. La mère et l'aïeule donnent leurs portraits à leur fille et petite-fille mariée sous le régime de communauté. Après leur décès, le mari s'engage, sans le concours de sa femme, à remettre les portraits à son beaupère. En avait-il le droit? La cour de Paris a jugé que mari n'avait pu, en cette qualité, obliger sa femme à remettre les portraits litigieux (2). En droit strict, la décision est difficile à justifier. Le mobilier présent et futur de la femme entre en communauté, donc aussi les portraits de famille qui lui appartiennent. On lit dans l'arrêt qu'une telle propriété, toute personnelle de sa nature, ne saurait être soumise sans restriction, même à l'application des règles relatives aux droits du mari sur les objets mobiliers appartenant à sa femme commune en biens. Cela est très-vague; la cour fait des portraits de famille une propriété à part, sans que l'on sache ce que c'est que cette propriété spéciale. Il y avait un autre motif de décider. (1) Pothier, De la communauté, no 467.

(2) Paris, 29 mars 1873 (Dalloz, 1874, 2, 129).

Le mobilier donné à l'un des époux tombe en communauté, mais le donateur peut exprimer le contraire. Est-il nécessaire d'exprimer le contraire quand il s'agit de portraits de famille? L'article 1401 suppose que les choses données ont une valeur pécuniaire, tandis que les portraits de famille n'ont qu'une valeur d'affection. C'est dire que la volonté contraire que la loi exige résulte ici de la nature même de la chose donnée.

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3. Nous maintenons donc la règle dans les termes absolus de l'article 1421; à titre onéreux, le mari peut aliéner comme il l'entend et sous telle condition qu'il veut. Il peut donc vendre les biens en se réservant fusufruit. C'est vendre la nue propriété; or, aucune disposition de la loi ne défend au mari d'aliéner la nue propriété à titre onéreux. L'article 1422 qui permet au mari de disposer à titre gratuit des objets mobiliers de la communauté, y ajoute cette restriction: « Pourvu qu'il ne s'en réserve pas l'usufruit. Cette restriction est étrangère aux actes à titre onéreux; dans l'espèce, le mari ne donne pas, il vend la nue propriété. Devant la cour d'Orléans, on a invoqué contre le mari l'article 918 qui considère comme une donation la vente avec réserve d'usufruit faite à un successible en ligne directe. C'est un curieux exemple de ce qui se voit trop souvent dans la pratique. On mêle et on confond toutes les dispositions, tous les principes, sans tenir compte ni du texte ni de l'esprit de la loi. Il suffit de lire l'article 918 pour se convaincre qu'il n'a rien de commun avec l'article 1422. La cour a fait justice de cette étrange confusion (1).

On demande quel sera l'effet de la réserve d'usufruit que le mari aura faite à son profit? Il est certain que cet usufruit ne sera pas un propre pour le mari, car le mari ne peut pas se servir des biens de la communauté dans son intérêt, pour se constituer des propres. Tout ce qu'il acquiert devient conquêt; l'usufruit appartiendra donc à la communauté, c'est-à-dire aux deux époux et ne s'éteindra qu'à la mort du dernier mourant (2).

(1) Orléans, 14 mai 1864 (Dalloz, 1864, 2, 172).

(2) Comparez Colmet de Santerre, t. VI, p. 145, no 66 bis VI.

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