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73. Le principe que les dettes contractées par la femme avec autorisation maritale obligent le mari ne reçoit d'application qu'à la communauté, il ne s'applique pas aux autres régimes. Ce point est cependant controversé; nous y reviendrons en traitant des divers régimes. Pour le moment, il nous suffit d'établir le principe, ce qui est trèsfacile. La règle est que celui qui autorise ne s'oblige point. Cette règle reçoit exception quand les époux sont communs en biens (art. 220, 1409, 1419, 1426); l'exception se fonde sur la confusion des biens de la communauté avec les biens personnels du mari. On ne la conçoit plus lorsqu'il n'y a pas de communauté. En droit, il faut dire que l'on rentre dans la règle dès que l'on n'est plus dans les termes de l'exception; et la règle est que celui qui autorise ne s'oblige pas. Cela est aussi fondé en raison : comment le mari serait-il tenu d'une dette qu'il n'a point contractée?

No 2. LES EXCEPTIONS.

74. Quand la femme accepte une succession immobilière du consentement de son mari, elle s'oblige au payement des dettes avec autorisation maritale; elle devrait donc obliger la communauté, en ce sens que les créanciers devraient avoir le droit de poursuivre leur payement sur les biens communs en vertu de la règle établie par les articles 1409 et 1419. L'article 1413 déroge à la règle en donnant seulement action aux créanciers sur les biens personnels de la femme. Nous avons dit ailleurs quel est le fondement de cette exception. La succession étant purement immobilière, les dettes contractées par le défunt passent avec ses biens à la femme héritière biens et dettes sont étrangers à la communauté. Si le mari intervient en autorisant sa femme, ce n'est pas pour s'obliger envers les créanciers, il ne s'oblige jamais en autorisant sa femme. Il n'y avait donc aucun motif pour obliger la communauté (t. XXI, no 453).

75. On admet généralement que l'article 1432 contient une seconde exception. Il porte: « Le mari qui garantit

solidairement ou autrement la vente que sa femme a faite d'un immeuble personnel, a pareillement un recours contre elle, soit sur sa part dans la communauté, soit sur ses biens personnels, s'il est inquiété. » En quel sens cette disposition déroge-t-elle à la règle des articles 1409 et 1419? La règle donne au créancier action contre la communauté; elle décide donc une question d'obligation. L'article 1432 ne parle pas de l'obligation de la communauté; il donne au mari un recours, une récompense, c'est-à-dire qu'il décide une question de contribution. Ainsi les deux articles ont un objet différent, dès lors on comprend difficilement que l'un déroge à l'autre.

Voici comment on raisonne pour arriver à une dérogation. La femme vend un immeuble personnel; elle est tenue à la garantie. Le mari concourt à la vente pour autoriser sa femme. Sera-t-il tenu des obligations de la femme, c'est-à-dire de la garantie? Non, il ne sera tenu que s'il promet la garantie: c'est dire que s'il autorise simplement sa femme, il ne sera tenu à rien. C'est, à notre avis, très-mal raisonner. On fait dire à la loi ce qu'elle ne dit point : la loi dit que le mari qui garantit a droit à une récompense, et on lui fait dire que le mari n'est tenu de la garantie que s'il l'a promise. C'est confondre deux ordres d'idées, la question de savoir si le mari et la communauté sont tenus de la garantie, et la question de savoir s'ils ont un recours dans le cas où ils sont inquiétés. De ce que la loi dit que le mari a un recours en cas de garantie suit, il est vrai, que la communauté est tenue, ce qui est évident; mais de là ne suit pas que la communauté n'est tenue que si le mari garantit, et qu'elle n'est pas tenue si le mari se borne à autoriser. La conséquence que l'on tire de la loi est forcée, c'est un raisonnement a contrario de la pire espèce, puisqu'on se prévaut du silence de la loi, alors que la loi a un objet tout différent de celui dont il s'agit.

On dira que, dans notre opinion, on n'explique pas pourquoi la loi parle de la garantie; car si la communauté est tenue par l'autorisation, à plus forte raison l'est-elle par la garantie. En effet, la disposition est inutile: la femme

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qui vend s'oblige à la garantie; le mari, en l'autorisant à vendre, est tenu de cette obligation sur les biens de la communauté et sur ses biens personnels; et il a une récompense, puisque l'obligation concerne un bien personnel de la femme. Les principes généraux suffisaient donc pour décider la question dans le sens que nous donnons à l'article 1432. Mais qu'importe? Il y a bien des dispositions dans le code qui ne font qu'appliquer un principe et qui, en ce sens, sont inutiles: est-ce une raison pour leur faire dire autre chose que ce qu'elles disent? L'article 1432 contient une expression qui se concilie parfaitement avec notre interprétation; il porte que le mari qui garantit solidairement ou autrement la vente a un recours. Que signifient ces mots ou autrement? Ils s'appliquent à tous les cas où le mari est tenu de l'obligation de garantir; or, d'après le droit commun, il en est tenu lorsqu'il autorise sa femme à vendre. Donc le cas que l'on suppose exclu est compris dans le texte.

Enfin, il n'est pas exact de dire, comme on le fait, que la prétendue exception de l'article 1432 a le même fondedement que celle de l'article 1413, c'est-à-dire que la nature même de l'affaire prouve qu'elle est étrangère à la communauté; partant, dit-on, la présomption sur laquelle est fondée la règle de l'article 1419 fait défaut : on ne peut pas présumer que le mari autorise la femme à vendre dans l'intérêt de la communauté et du mari, puisqu'il s'agit de la vente d'un propre de la femme et que le prix lui restera également propre. Nous répondons que les faits donnent un démenti à ce raisonnement. Quand la femme vend-elle ses propres? Le plus souvent dans l'intérêt du mari, et partant de la communauté; puisque la vente se fait au profit de la communauté, il est juste que la communauté soit tenue des obligations qui en résultent (1).

Quel est, dans l'opinion générale, l'effet de l'autorisation que le mari donne à sa femme d'aliéner, sans qu'il s'oblige à la garantie? On applique par analogie la dis

(1) Colmet de Santerre, t. VI, p. 110. no 41 bis XXIII. Bellot des Minières, t. I, p. 510. En sens contraire, Rodière et Pont, t. II, p. 77, no 785, et les autorités qu'ils citent.

position de l'article 1413 : l'acheteur n'aura pas action contre la communauté, mais il pourra poursuivre ses dommages-intérêts sur la toute propriété des biens de la femme (1). Ainsi on applique par analogie une disposition exceptionnelle et même arbitraire, car si le mari n'est pas obligé par son autorisation, le créancier ne devrait pas avoir action sur l'usufruit des biens de la femme, cet usufruit faisant partie de la communauté, c'est-à-dire des biens du mari. Si la loi donne action aux créanciers sur l'usufruit dans le cas de l'article 1413, c'est parce qu'elle présume que telle est l'intention du mari; il n'appartient pas à l'interprète d'étendre des présomptions. La conséquence témoigne encore une fois contre la doctrine d'où elle découle.

76. Dans notre opinion, le principe de l'article 1419 ne reçoit qu'une exception, celle que le législateur consacre dans l'article 1432. En admettant qu'il y en ait une seconde dans le cas de l'article 1413, nait la question de savoir si l'interprète peut en admettre d'autres en procédant toujours par voie d'analogie. Rodière et Pont répondent que ce serait faire la loi et non l'interpréter (2). C'est la réponse que nous avons faite bien souvent quand les interprètes invoquent des raisons d'analogie pour étendre des présomptions ou des dispositions exceptionnelles. Or, dans l'espèce, il s'agit d'une exception à un principe fondamental du régime de communauté. Troplong l'avoue; mais toute règle, dit-il, a ses exceptions. Sans doute, mais qui a le droit d'établir ces exceptions? Le législateur seul. Troplong semble l'avouer encore quand la communauté ne retire aucun intérêt de l'acte autorisé, dit-il, la loi a dû veiller à ce qu'on abolit, dans les cas particuliers, le principe de l'article 1419. La loi a dû veiller! Donc il faut une loi. Et cependant dans le même numéro et presque dans la même phrase où Troplong dit que la loi devait admettre des exceptions, il en admet une que la loi ignore (3)! Nous y reviendrons.

(1) Aubry et Rau, t. V, p. 338. § 509.
(2) Rodière et Pont, t. II, p. 78, no 786.
(3) Troplong, t. II, p. 268, no 846.

Duranton parle au moins plus juridiquement. L'article 1419, dit-il, est fondé sur la présomption que la dette a été contractée dans l'intérêt de la communauté; mais lorsque cette présomption ne peut recevoir d'application, parce que l'affaire concerne uniquement l'intérêt de la femme, la raison pour laquelle la communauté est obligée cesse et, la raison de la loi cessant, la loi doit aussi cesser de produire son effet (1), Colmet de Santerre a trèsbien répondu à cette argumentation. L'article 1419 de même que l'article 1409, qui établissent la règle que la femme autorisée du mari oblige la communauté, ajoutent: sauf la récompense due à la communauté; ils supposent donc que la communauté est obligée, quoique la dette ait été contractée dans l'intérêt personnel de la femme; car c'est dans ce cas qu'il y a lieu à récompense (art. 1437). Donc, quoiqu'une dette soit contractée dans l'intérêt de la femme, on reste néanmoins dans la règle. Quand en sorton? Il n'y a d'exception que dans les cas où la loi juge à propos d'en faire. Cette interprétation, fondée sur le texte et les principes, est aussi fondée en raison. Comme nous venons de le dire au sujet de l'article 1413, l'intérêt de la communauté et celui du mari se lient d'ordinaire à l'intérêt de la femme; la loi ne pouvait donc pas poser en principe que l'obligation contractée par la femme autorisée du mari ne tombe pas à charge de la communauté lorsqu'elle concerne une affaire de la femme, car l'affaire peut en même temps intéresser le mari et la communauté. Il en serait résulté un grand danger pour les tiers : ils n'auraient jamais su d'une manière certaine, en contractant avec la femme autorisée, s'ils ont pour débiteur la femme seule, ou s'ils ont aussi une action contre le mari et la communauté. Le système de la loi, telle que nous l'interprétons, prévient ces incertitudes et ces dangers. Il y a une règle générale et presque absolue, puisqu'elle ne souffre qu'une ou deux exceptions; hors les cas de l'article 1413 et de l'article 1432 (dans l'opinion générale), on rentre dans la règle : le créancier aura toujours action

(1) Duranton, t. XIV, p. 348, no 248.

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