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Cela suppose qu'il s'agit d'enfants communs; ce n'est qu'à leur égard que le mari a des obligations à remplir, ce n'est donc que pour leur établissement que le motif de l'exception existe. Il est vrai que l'article 1427 dit : de ses enfants; ce qui comprend même les enfants d'un premier lit. Mais l'établissement de ces enfants étant étranger à la communauté, ce serait dépasser l'exception que de permettre à la femme d'obliger la communauté de ce chef. Pour qu'il y ait lieu à l'exception, il faut que l'intérêt du mari et de la communauté soit évident. C'est ce qui a lieu pour les enfants communs; et cette considération seule légitime la disposition exceptionnelle de l'article 1427. Quand la dette n'intéresse pas la communauté, l'exception n'a plus de raison d'être; partant on reste sous l'empire de la règle (1).

87. L'article 1427 permet à la femme d'engager les biens de la communauté pour l'établissement de ses enfants. Cela suppose que la femme s'oblige pour les doter ou les établir. Est-ce à dire qu'elle ne puisse pas prendre dans la communauté les sommes ou les biens nécessaires pour l'établissement des enfants? Non, certes. Le sens de l'exception consacrée par l'article 1427 est que l'autorisation de justice tient lieu de l'autorisation du mari, c'est-à-dire que la femme autorisée de justice peut faire ce que le mari a le droit de faire. Or, le mari peut employer même les immeubles de la communauté pour établir les enfants communs; donc la femme a le même droit.

Ce que nous disons de la seconde exception s'applique à la première. La femme peut aliéner un bien de la communauté ou se servir des deniers communs pour tirer son mari de prison. Il serait absurde de la forcer à emprunter quand il y a des deniers dans la communauté, et s'il n'y en a pas, mais que la communauté possède des biens peu productifs, l'intérêt du mari, comme celui de la femme, demande qu'on vende ces biens plutôt que de faire un emprunt onéreux.

La tradition confirme l'interprétation que nous donnons

(1) Colmet de Santerre, t. VI, p. 161, no 70 bis IV

à l'article 1427. Cette disposition est empruntée à l'ancienne jurisprudence. Un arrêt du parlement du 27 août 1564, rendu consultis classibus, décida que la femme pouvait, sans autorisation aucune, s'obliger et même hypothéquer ou vendre le fonds commun pour retirer le mari de prison (1). Le code ne va pas aussi loin; il exige l'autorisation de justice, mais, avec cette autorisation, la femme doit avoir le droit de disposer des biens communs comme elle a le droit de les obliger; il y a identité de motifs.

88. Il y a une dernière difficulté. La femme oblige la communauté dans les deux cas prévus par l'article 1427. On demande si le créancier aura aussi action contre le mari et sur ses biens personnels. Toullier semble hésiter: il paraît même, dit-il, que cette obligation pourrait s'exécuter sur les biens du mari. Duvergier dit que cette décision n'est pas sans difficulté; il l'admet quand il s'agit de tirer le mari de prison, puisque, dans ce cas, il y a à la charge du mari une dette civile qu'il est obligé de payer. Mais le mari n'est pas obligé de doter ses enfants; quant à l'article 1427, il donne bien à la femme le droit d'engager les biens de la communauté, il ne lui donne pas le droit d'engager les biens du mari (2). Il nous semble que c'est mal poser la question. Le principe général est que toute dette de communauté est une dette du mari; l'article 1427, en disposant que la communauté est tenue des dettes que la femme contracte avec autorisation de justice, décide implicitement que le mari aussi en est tenu. Il n'y a d'ailleurs aucune raison de déroger au principe qui identifie le patrimoine du mari avec celui de la communauté.

§ IV. De la contribution aux dettes contractées par la femme.

89. L'article 1419, après avoir établi le principe que la femme autorisée du mari oblige la communauté, ajoute : « Sauf la récompense due à la communauté ou l'indemnité

(1) Rodière et Pont, t. II, p. 120, no 818.

(2) Toullier, t. VI, 2, p. 227, no 289, et la note de Duvergier.

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due au mari. » De là on induit que la femme s'étant engagée seule est, en général, censée avoir agi dans son intérêt personnel et doit, par conséquent, récompense ou indemnité à la communauté ou au mari qui aurait acquitté la dette. On ajoute que cette présomption admet la preuve contraire s'il résultait de l'objet de l'obligation ou d'autres circonstances que la dette a été contractée dans l'intérêt de la communauté ou du mari, la femme aurait, selon les cas, droit à récompense ou indemnité. On admet la même présomption, sauf preuve contraire, dans le cas où la femme s'est obligée avec l'autorisation de la justice (1).

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90. Sur quoi est fondée la prétendue présomption qui sert de base à cette doctrine? Il s'agit d'une présomption légale; or, d'après l'article 1350, la présomption légale est celle qui est attachée par une loi spéciale à certains actes ou à certains faits. Où est la loi spéciale qui établit la présomption en vertu de laquelle la femme qui s'oblige seule est censée s'être obligée dans son intérêt personnel? On cite l'article 1419. Mais cet article ne dit pas ce qu'on lui fait dire; il déclare seulement que l'obligation contractée avec autorisation maritale peut être poursuivie contre la communauté; ce n'est certes pas dire que la dette est présumée contractée dans l'intérêt de la femme. S'il ajoute sauf la récompense due à la communauté ou l'indemnité due au mari, cela ne signifie pas encore que la présomption soit que la dette est contractée dans l'intérêt personnel de la femme. L'article 1419 ne fait que répéter ce qu'avait dit l'article 1409, no 2, qui, en faisant tomber dans le passif de la communauté les dettes contractées par la femme du consentement du mari, ajoute la réserve sauf la récompense dans les cas où elle a lieu. » En définitive, la loi ne présume rien quant aux récompenses; l'objet des articles 1409 et 1419 est uniquement de décider que le créancier, en vertu d'une obligation contractée par la femme autorisée du mari, peut poursuivre la communauté : question d'obligation. Quant à la questiou de contribution ou de récompense, elle est

(1) Aubry et Rau, t. V, p. 350, § 510 (4e édit.).

XXII.

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décidée par les articles 1433 et 1437. C'est un point de fait; il s'agit de savoir dans l'intérêt de qui la dette est contractée c'est celui-là qui la supporte. A qui est-ce à prouver que la dette contractée par la femme du consentement du mari l'a été dans l'intérêt de la femme? C'est à celui qui réclame l'indemnité, car, d'après le droit commun, la preuve est à la charge du demandeur. S'il y avait une présomption, elle dispenserait le demandeur de la preuve qui lui incombe et rejetterait sur la femme le fardeau de la preuve contraire. Mais cette présomption n'est écrite nulle part, et il n'y a de présomption que celle qui est écrite dans une loi spéciale pour certains actes ou certains faits. On ne peut pas même dire qu'il y ait des probabilités en faveur de la prétendue présomption que l'on imagine. Du moins faudrait-il distinguer entre les cas où la femme s'oblige du consentement du mari et ceux où elle s'oblige avec l'autorisation de justice. L'expérience journalière prouve que lorsque le mari autorise sa femme à contracter, l'obligation est le plus souvent consentie dans l'intérêt de la communauté, c'est-à-dire du mari; le législateur a tenu compte de ce fait en écrivant la règle de l'article 1419. Quand la femme contracte avec autorisation de justice, il faut voir si c'est sur le refus du mari; dans ce cas certes il est probable que la dette n'intéresse pas la communauté; mais aussi la question de récompense ne se présentera pas, car la communauté n'est pas tenue de payer, et régulièrement le mari ne payera pas après avoir refusé son consentement. Restent les deux cas où la femme, en s'obligeant avec autorisation de justice, oblige la communauté (art. 1427). Ces deux exceptions sont précisément fondées sur l'intérêt qu'a la communauté à la dette que la femme a contractée; donc la prétendue présomption, loin d'être fondée sur une probabilité, serait contraire à la réalité des choses. Après tout, quelque forte que soit une probabilité, il n'en résulte pas de présomption légale, puisque le législateur seul a le droit de créer des présomptions. Cela est élémentaire. Si nous sommes obligé de le répéter si souvent, c'est qu'à chaque pas les interprètes oublient qu'il ne leur appartient pas de faire la

loi en imaginant des présomptions que la loi ignore.

SV. Des deltes contractées par la femme conjointement avec son mari.

91. L'article 1431 porte: La femme qui s'oblige solidairement avec son mari pour les affaires de la communauté ou du mari, n'est réputée, à l'égard de celui-ci, s'être obligée que comme caution; elle doit être indemnisée de l'obligation qu'elle a contractée. » Ici nous rencontrons encore une fois une présomption admise par la plupart des auteurs, mais du moins il y a un texte sur lequel on peut l'appuyer; il s'agit de l'interpréter et d'en fixer le véritable sens.

La femme s'oblige solidairement avec son mari : elle n'est réputée, à l'égard de celui-ci, s'être obligée que comme caution. Il faut donc distinguer les rapports de la femme débitrice solidaire avec le créancier et les rapports de la femme coobligée solidaire avec son mari. A l'égard du créancier, la femme est débitrice solidaire et tenue, comme telle, de toute la dette, conformément au droit commun, comme si elle était seule et unique débitrice. La femme ne peut pas opposer au créancier qu'elle est réputée caution par la loi, car l'article 1431 dit formellement qu'elle est réputée caution à l'égard du mari; ce n'est donc que dans les rapports des deux codébiteurs entre eux que la femme est réputée caution; la femme s'est obligée solidairement, elle est tenue comme débitrice solidaire. Ainsi la question d'obligation doit être distinguée de la question de contribution : l'une est régie par les principes de l'obligation solidaire, l'autre est régie par les principes du cautionnement. Poursuivie par le créancier, la femme doit payer toute la dette, comme tout débiteur solidaire. Après qu'elle aura payé, elle aura un recours contre son mari, comme toute caution a un recours contre le débiteur principal.

92. Sur ce point, il n'y a aucun doute. La femme poursuivie par le créancier peut-elle lui opposer le bénéfice de division? Si elle était caution à l'égard du créancier,

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