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de l'oisiveté opulente et de l'activité sans récompense (1).

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Dans ce même moment on était occupé d'un autre bienfait pour le peuple : c'était la destruction des ordres monastiques. Pour y parvenir plus facilement, on avait fortifié le comité ecclésiastique établi depuis le 20 août 1789, en l'augmentant du double, c'est-à-dire en ajoutant quinze nouveaux membres aux quinze qui le composaient déjà. C'étaient autant d'ennemis de l'Église, car parmi les nouveaux membres on distinguait Expilly, premier évêque constitutionnel; dom Gerle, chartreux, qui se fit bientôt remarquer par ses extravagances; Massieu, curé de Sergy, nommé plus tard intrus de Beauvais; Le Breton, bénédictin, plus tard curé intrus de Loudéac, et qui finit par abandonner entièrement son état; Thibaut, curé de Souppe, évêque intrus de Clermont l'année suivante. C'étaient tous des ecclésiastiques que nous avons vus trahir l'Église lorsqu'il s'agissait de ses plus chers intérêts. Les nouveaux membres laïques étaient : Guillaume, avocat de Paris, grand partisan de la spoliation du clergé; Boislandry, négociant de Versailles, qui fera la nouvelle division des siéges épiscopaux; Chasset, avocat de Villefranche, très-zélé pour la constitution civile; Defermont, commissaire des états à Rennes; Lapoule, avocat de Besançon, grand ennemi du clergé. Des projets infernaux vont sortir du sein de ce comité. Les membres honnêtes qui s'y trouvaient, tels que les évêques de Clermont et de Luçon, MM. Vaneau, Grandin et Delalande, cu

(1) Moniteur, séance du 10 février 1790.

rés, l'abbé de Montesquiou, le prince de Robecq, le marquis de Bouthillier, et M. Sallé de Choux, voyant l'impossibilité d'y faire le bien ou d'arrêter le mal, résolurent de s'en retirer; et s'ils ne le firent pas, c'est qu'on leur en contesta le droit (1).

Treilhard, fortifié par le suffrage de la majorité de ce comité, se présenta le 11 février, et fit une nouvelle lecture de son rapport du 17 décembre sur l'abolition des ordres monastiques, contre laquelle l'évêque de Clermont avait protesté. Les besoins financiers avaient mis cette question à l'ordre du jour. On voulait dissoudre les communautés religieuses pour s'emparer de leurs propriétés, et payer ainsi les frais de la révolution. La conduite de l'Assemblée, comme l'avait dit l'abbé Maury, ressemblait à celle d'un seigneur de paroisse ruiné, qui aurait assemblé ses créanciers, et leur aurait délégué, pour le payement de ses dettes, les biens des curés de ses villages (2). Le rapport était fait avec une modération affectée; le comité semblait avoir compris la nécessité de certains ménagements, parce que dans bien des provinces la cause des couvents était toute populaire. C'étaient les greniers d'abondance des peuples de la campagne. C'est pourquoi il fit l'éloge des ordres religieux avant de parler de leurs abus, qui, comme il le disait, les forçaient à les supprimer. D'ailleurs il ne va pas jusqu'à l'entière extinction des ordres religieux; il veut seulement donner la liberté aux moines qui veulent en sortir, et laisser en paix ceux qui aiment mieux y rester. Son but allait sans doute plus loin, mais il n'osait pas l'indiquer.

(1) Tresvaux, Hist. de la perséc. révol. en Bretagne, t. I, p. 46. (2) Moniteur, 13 octobre 1789.

« Votre comité, dit-il, a cru entrer dans vos intentions en fixant vos premiers regards sur l'état actuel de cette partie immense du clergé qui se glorifie de devoir sa première existence à l'amour de la perfection, dont les annales présentent tant de personnages illustres et vertueux, et qui compte de si grands services rendus à la religion, à l'agriculture et aux lettres : je veux parler du clergé régulier. Tel est le sort de toutes les institutions humaines, qu'elles portent toujours avec elles le germe de leur destruction. Les campagnes, fécondées par de laborieux solitaires, ont vu s'élever dans leur sein de vastes cités, dont le commerce a insensiblement altéré l'esprit de leurs fondateurs. L'humilité et le détachement des choses terrestres ont presque partout dégénéré en une habitude de paresse et d'oisiveté qui rendent actuellement onéreux des établissements fort édifiants dans leur principe. Partout a pénétré l'esprit de tiédeur et de découragement, qui finit par tout corrompre la vénération des peuples pour ces institutions s'est donc convertie, pour ne rien dire de plus, en un sentiment de froideur et d'indifférence; l'opinion publique, fortement prononcée, a produit le dégoût dans le cloître, et les soupirs des pieux cénobites, embrasés de l'amour divin, n'y sont que trop souvent étouffés par les gémissements de religieux qui regrettent une liberté dont aucune jouissance ne compense aujourd'hui la perte. Le moment de la réforme est donc arrivé; car il doit toujours suivre celui où des établissements cessent d'être utiles. >>

Après plusieurs autres considérations analogues, Treilhard fit connaître son projet de décret, qui retirait

la sanction civile aux vœux monastiques, déclarait libres ceux qui voulaient sortir de leur cloître, et réduisait le nombre des maisons pour ceux qui aimeraient mieux y rester.

<< Votre comité a pensé, dit-il, que vous donneriez un grand exemple de sagesse et de justice lorsque, dans le même instant où vous vous abstiendrez d'employer l'autorité civile pour maintenir l'effet des voeux, vous conserverez cependant l'asile du cloître aux religieux jaloux de mourir sous leur règle. C'est pour remplir ce double objet que nous vous proposons de laisser à tous les religieux une liberté entière de quitter le cloître ou de s'y ensevelir. Sans doute vous ne refuserez pas à ces maisons le droit et le moyen de se régénérer.

<< Les religieux qui voudront continuer de vivre dans leur règle seront placés de préférence à la campagne dans des maisons du même ordre, et subsidiairement dans celles de petites villes. On ne laissera dans les grandes villes que ceux qui se voueront au soulagement des malades ou à l'éducation publique, s'ils en sont jugés dignes, ou enfin aux progrès de la science. >> Le projet déclarait que désormais la loi ne reconnaîtrait plus de vœux solennels, et que les postulants qui seront admis demeureront libres de quitter leur ordre, et capables de successions entre vifs et testamentaires (1). »

Le rapport de Treilhard a paru trop modéré aux membres du côté gauche, tels que Péthion, Thouret, Barnave, Dalley d'Agier, Roger, Garat, qui voulaient

(1) Moniteur, séance du 11 février.

l'entière suppression des communautés et le renvoi de tous les religieux, pour vendre plus facilement leurs biens. Ils firent valoir tous les arguments philosophiques du dix-huitième siècle, prétendant, contre la décision de tant de conciles, que les religieux étaient inutiles, même dans l'ordre spirituel; qu'ils étaient dans un état contre nature, et qu'il fallait les disperser. Les évêques de l'Assemblée ne restèrent pas muets dans cette grande occasion: celui de Clermont s'appuya sur le mandat de ses électeurs, qui s'opposait à toute suppression de monastères. Il contesta à l'Assemblée le droit de briser des barrières qu'elle n'a point posées; de donner la permission de manquer à un engagement sacré, qui ne peut être levé que par la puissance spirituelle ; il lui reprocha de vouloir enlever à la religion un abri, aux citoyens une ressource, à l'Évangile des apôtres. Il fit sentir qu'on ne pouvait proscrire les communautés religieuses sans porter atteinte à la religion elle-même. « L'état monastique,

ajouta-t-il, est le plus propre à soutenir l'empire, parce « que les prières influent sur la prospérité des choses <«< humaines, et que leur efficacité est un article de « notre foi et une partie de notre symbole. »>

Ces raisons, empruntées aux croyances catholiques, ne firent pas une grande impression. M. de la Rochefoucauld demanda l'abolition immédiate de toutes les congrégations religieuses et de tous les ordres monastiques. L'abbé Grégoire, qui professait la plupart des opinions exaltées du côté gauche, n'était point de cet avis; il voulait qu'on conservât au moins quelques communautés.

« Je ne crois pas, dit-il, qu'on doive abolir en entier

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