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voirs, et qu'ils ont besoin d'une nouvelle sanction du peuple. Mais on lui répondit qu'on avait juré au jeu de paume qu'on ne se séparerait pas sans avoir achevé la constitution. Plusieurs députés, qui n'avaient point été présents à cette cérémonie, se levèrent pour faire le même serment. Nous y remarquons dom Gerles, qui reçut de grands applaudissements. A leur exemple, la majorité de l'Assemblée renouvela ce serment avec solennité: ce fut la seule réponse qu'on donna à la motion de Cazalès (1). Cependant cette motion sera renouvelée plus tard, et soutenue avec plus de chaleur; mais elle n'aura pas plus de succès.

Les proclamations que l'Assemblée avait adressées aux municipalités, à l'effet d'apaiser les troubles, n'avaient eu aucun résultat, comme on devait s'y attendre. Les meurtres, les incendies et les dévastations continuaient comme auparavant. Les officiers municipaux, qui seuls avaient le droit de requérir la force armée, n'osaient pas s'opposer au brigandage, dans la crainte d'en devenir victimes. Le garde des sceaux vint annoncer à l'Assemblée de nouveaux malheurs. « Les désordres qui règnent dans les provinces, dit-il, affectent douloureusement le cœur de Sa Majesté. Si ces alarmantes insurrections n'avaient pas un terme prochain, toutes les propriétés seraient bientôt violées; rien n'est sacré pour les brigands. Sa Majesté, en sanctionnant le décret relatif à l'organisation des nouvelles municipalités, était dans la confiance que les officiers civils et municipaux emploieraient, avec autant de courage que de succès, tous les moyens possibles d'arrêter

(1) Moniteur, séance du 17 février 1790.

les troubles qui se propagent. Cependant ces troubles subsistent encore dans les provinces méridionales; et Sa Majesté, voulant donner à son peuple l'exemple du respect qu'on doit à la loi, communique l'exposé des malheurs dont la ville de Béziers, particulièrement, vient d'être le théâtre. » Le ministre rapporte ensuite que, dans cette ville, les commis des douanes ayant voulu arrêter la contrebande de sel, furent poursuivis jusque dans l'intérieur de l'hôtel de ville, mutilés d'une manière horrible. Cinq d'entre eux ont été pendus.

M. de Foucault rapporte que, dans le Périgord, les châteaux continuent à être éclairés, c'est-à-dire à être brûlés; que les brigands se disent autorisés par l'Assemblée nationale et le roi; qu'ils brûlent les titres au pied d'un mai planté à cet effet, et au haut duquel se lit cette légende: De par le Roi et l'Assemblée nationale, quittance des rentes, etc. (1).

Le récit de ces horreurs affecta vivement l'Assemblée, et lui inspira une juste indignation. On se demandait s'il fallait changer de principes, adopter d'autres mesures répressives, ou s'en tenir aux moyens déjà arrêtés. Un grand nombre de députés cherchèrent à excuser le peuple, et à atténuer les maux. Charles de Lameth repoussa toute mesure de sévérité. « On a « brûlé dans l'Agénois un château à moi, dit-il, et un << autre à M. le duc d'Aiguillon: je suis cependant bien

éloigné de penser comme le préopinant. Le peuple ne << peut ni ne doit être l'objet de notre sévérité; égaré par << des insinuations dangereuses, il déplorera bientôt ses

(1) Moniteur, séance du 16 février 1790.

<«< erreurs. Dans mon opinion, il est plus malheureux. que coupable. » C'était dire qu'il fallait le laisser faire (1). Cependant tous ne poussaient pas le patriotisme jusqu'à laisser brûler leurs châteaux. Différentes mesures furent proposées, plus inefficaces les unes que les autres. Une discussion s'engagea et se prolongea pendant plusieurs jours. La discussion même à ce sujet était un crime, car quand le feu est dans une maison, on ne discute pas, on cherche le moyen de l'éteindre. Maury avait déjà indiqué le vrai remède, il le proposa de nouveau. Cazalès voulait qu'on concentrat les pouvoirs entre les mains du roi, comme fait l'Angleterre en pareil cas, et qu'on lui donnât une dictature de trois mois. La dictature fut repoussée par Mirabeau et la plupart des autres députés. Malouet, sans recourir à la dictature, proposa de mettre tous les corps administratifs et militaires sous la dépendance immédiate du pouvoir exécutif, et sous le commandement du monarque. Rien n'était plus nécessaire dans la circonstance présente; mais l'Assemblée s'obstina à laisser aux seules municipalités le droit de requérir la force armée, conformément à sa loi précédente; elle y ajouta seulement qu'on punirait les officiers municipaux qui se refuseraient d'arrêter les troubles. Mais quelle peine leur inflige-t-on ? Celle de la perte de leur emploi et de l'interdiction de leurs fonctions. Voilà une grande peine contre un officier municipal qui par peur, par négligence ou mauvaise volonté, n'arrêterait pas les meurtres et les incendies! Encore cette peine fut-elle singulièrement modifiée dans le décret. Enfin, après

(1) Moniteur, séance du 18 février 1790.

plusieurs jours de débats, on rendit le décret suivant, qui ne fit qu'assurer l'impunité des rebelles, et les exciter au brigandage :

« I. Nul citoyen ne pourra, sous peine d'être puni comme perturbateur du repos public, se prévaloir d'aucun acte prétendu émané du roi ou de l'Assemblée nationale, s'il n'est revêtu des formes prescrites par la constitution, et publié par les personnes chargées de cette fonction.

« II. Le discours que Sa Majesté a prononcé dans l'Assemblée nationale le 4 de ce mois, et l'adresse de l'Assemblée nationale aux Français, seront incessamment envoyés à toutes les municipalités du royaume, ainsi que tous les décrets, à mesure qu'ils seront acceptés ou sanctionnés, avec ordre aux officiers municipaux de faire publier et afficher les décrets sans frais, et aux curés ou vicaires desservant les paroisses, d'en faire lecture au prône. » Ainsi les ecclésiastiques étaient obligés de lire en chaire tous les décrets anticatholiques qui venaient de l'Assemblée.

« III. Les officiers municipaux emploieront tous les moyens que la confiance du peuple met à leur disposition, pour la protection efficace des personnes, des propriétés publiques et particulières, et pour prévenir et dissiper les obstacles apportés à la perception des impositions; et si la sûreté des personnes, des propriétés, ou la perception des impôts, était mise en danger, ils feront publier la loi martiale. » Mais si le maire est débordé, s'il a la commune contre lui, comment faire usage de la loi martiale? Cette disposition, comme on l'avait fait observer, était tout au plus bonne pour les

villes, mais ne pouvait servir à la campagne, où était le foyer du désordre.

IV. Toutes les municipalités se prêteront réciproquement main-forte, à leur réquisition respective; quand elles s'y refuseront, elles seront responsables des suites de leur refus.

« V. Lorsque, par attroupement, il aura été causé quelque dommage, la commune en répondra, si elle a été requise et si elle a pu l'empêcher, sauf son recours contre les auteurs de l'attroupement. La responsabilité sera jugée par les tribunaux des lieux, sur la réquisition du district (1). » Telles sont les mesures qu'on oppose aux meurtres et aux incendies, mesures inefficaces, même ridicules, qui augmenteront les troubles, au lieu de les apaiser. L'Église, comme nous le verrons, aura beaucoup à souffrir de cette loi, et c'est pourquoi nous l'avons textuellement citée.

Au milieu de cet affreux désordre, devenu presqué général, la perception des impôts devenait, sinon impossible, du moins très-difficile. On ne pouvait payer les créanciers de l'État, ni pourvoir aux besoins ordinaires du trésor. Mais on avait toujours, pour ressource, la vente des biens ecclésiastiques; et si l'on n'en a pas vendu jusqu'à présent, c'est qu'on craignait de ne pas trouver d'acheteurs. Le sentiment de la justice et le respect de la religion avaient encore trop d'empire en France, pour qu'on s'empressât de s'enrichir des dépouilles de l'Église et du patrimoine des pauvres : personne, du moins, ne voulait en être le premier acquéreur. Pour vaincre ce scrupule de conscience, Bailly, maire de Paris, proposa de les aliéner aux municipa

(1) Moniteur, séances des 20, 22 et 23 février 1790.

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