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lités, qui se chargeraient de les vendre; de cette sorte, l'acquéreur les achèterait comme de seconde main, et aurait moins de répugnance, et les municipalités, comme corps, n'encourraient aucune responsabilité personnelle. La proposition de Bailly fut adoptée (1). On allait donc procéder à l'expropriation du clergé, et lui faire un traitement en argent.

Ce projet donna de nouvelles alarmes au clergé, qui jusque-là avait espéré qu'on ne vendrait pas ses biens, que l'État les tiendrait en réserve, et se bornerait à en faire une meilleure répartition. Bien des curés n'avaient consenti au décret qui les avait mis à la disposition de la nation, que parce qu'on leur avait assuré qu'on ne les vendrait pas : Mirabeau et d'autres députés, pour les gagner à leur cause, leur en avaient fait la promesse positive.

Chasset, dans la séance du 9 avril, fit un rapport sur le traitement des ecclésiastiques et sur le remplacement de la dîme. Le traitement du clergé devait coûter 133 millions; Chasset proposait de couvrir cette dépense par une contribution générale. Mais la disposition importante du décret était celle qui confiait l'administration des biens ecclésiastiques aux directoires des départements et des districts et aux municipalités, et ordonnait le traitement en argent pour tous les ecclésiastiques, à partir du 1er janvier 1790 (2). C'était rendre la spoliation de l'Église définitive, et donner aux mots, sont à la disposition de la nation, un sens qu'ils n'avaient pas dans l'esprit d'un grand nombre de députés qui les avaient adoptés.

(1) Moniteur, séances des 16 et 17 mars 1790. . (2) Ibid., séance du 9 avril 1790.

Treilhard, membre du comité ecclésiastique, trouvait cette spoliation fort juste selon lui, la nation pouvait administrer, puisqu'elle pouvait disposer. Il la croyait dans l'intérêt de la religion et de ses ministres, et surtout dans l'intérêt de l'État, qui pourra sauver de leurs ruines des créanciers aux abois.

L'évêque de Nancy attaqua cette mesure de toutes ses forces: << Elle a pour objet, dit-il, d'enlever à toutes les églises, à tous les bénéficiers, légitimes possesseurs, la jouissance et l'administration de leurs biens; proposition révoltante!.... Vouloir que l'Assemblée nationale porte l'abus du pouvoir jusqu'à dépouiller arbitrairement, par l'acte absolu de sa volonté, des possesseurs légitimes, c'est lui conseiller le crime le plus flétrissant pour une nation : l'abus de la force contre la faiblesse, une lâcheté que vous ne pouvez jamais commettre... Violer la foi jurée, anéantir les fondations et le respect inaltérable qui leur est dû; se jouer des conventions humaines, et ravir par la force ce dont on serait repoussé par la justice, voilà l'esprit de cette opération. Le droit exorbitant de faire une pareille révolution dans le culte, vous ne l'avez pas. Mes commettants m'ont formellement prescrit de m'opposer à toute opération de ce genre. Tous les cahiers se bornent à vouloir que vous opériez la réforme des abus dans la répartition des biens ecclésiastiques; mais là finit l'exercice des pouvoirs qu'ils vous attribuent...... En Angleterre, il existe une taxe annuelle au profit des pauvres, d'environ 80 millions. Cette taxe dut son origine à la suppression des monastères et des établissements ecclésiastiques. Ces suppressions desséchèrent, dans les campagnes, les sources de la

circulation locale du travail et de l'industrie. La misère et la pauvreté les remplacèrent. Il fallut imposer la nation pour subvenir à l'indigence. Les mêmes causes produiront en France les mêmes effets. »

L'évêque voyait, dans cette mesure, la ruine de la religion, à la place de laquelle s'établiront pour toujours l'immoralité, l'impiété et l'anarchie. Il déposa sur le bureau une déclaration solennelle, au nom de ses commettants, de son diocèse, de sa cathédrale, au nom de ses confrères et de leurs pauvres, qu'il ne pourra jamais, en aucune manière, adhérer au projet proposé. Un grand nombre d'ecclésiastiques, entre autres l'abbé Maury, se levèrent pour adhérer à cette déclaration (1).

Le lendemain, la discussion prit un plus grand intérêt. Roederer commença par répondre à l'évêque de Nancy, et vota pour l'adoption du projet. Le curé Dillon voulait qu'on dotât les curés sur des biens territoriaux. L'abbé Chavannes vota pour le rejet des articles, dans lesquels il apercevait du danger pour la religion et les mœurs. L'archevêque d'Aix, M. de Boisgelin, parut alors à la tribune, et prononça un discours qui mérite d'être conservé dans les annales ecclésiastiques, à cause des détails qu'il renferme sur la marche suivie dans la première discussion sur les biens du clergé.

« Voilà donc, dit-il, l'abîme dans lequel nous avons été conduits, l'abîme où l'on veut nous précipiter! Que sont devenues les assurances qu'on nous avait solennellement données, de conserver nos droits et nos possessions? Que sont devenues les promesses que vous

(1) Moniteur, séance du 11 février 1790.

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nous avez faites, au nom d'un Dieu de paix, que nos propriétés seraient inviolables et sacrées? N'avez-vous donc pris ces engagements que pour nous ravir jusqu'aux restes de ces propriétés? N'avez-vous juré de les maintenir que pour les détruire sans ressource? Vous avez d'abord aboli les dîmes avec rachat, puis avec remplacement, puis vous avez prononcé un rem-placement sans équivalent; vous avez proposé ensuite cette question Les biens du clergé appartiennent-ils à la nation? Et, sur cette dernière question, vous avez entendu nos raisons, vous les avez senties. Nous disions que les propriétés des églises n'avaient d'autres titres que ceux des églises; que ces biens n'avaient été donnés ni à la nation ni par la nation. La motion fut alors abandonnée; le mot disposition fut substitué au mot propriété; la discussion ne fut pas permise, et vous prononçâtes que la disposition des biens du clergé appartenait à la nation, sous la surveillance des provinces. Cette disposition n'est donc pas la propriété. Sans cela, vous auriez décrété, comme principe, que la propriété appartenait à la nation. Vous avez rejeté cette décision; vous ne pouvez donc pas user des droits de propriétaires; vous ne pouvez aliéner des biens dont vous n'avez pas la propriété : les ventes seront nulles. Si vous ne recourez pas aux formes civiles et canoniques, vous ne pouvez pas prendre l'administration de ces biens, que les lois donnent aux titulaires de ces bénéfices; et cependant on ose vous proposer aujourd'hui l'invasion de tous les biens ecclésiastiques. On ne peut pas nous faire un crime de réclamer ici l'authenticité de vos propres décrets; et certes nous serions bien tranquilles, si vous n'aviez pas changé de sentiments.

Quelle confiance voudriez-vous que le peuple prît dans une législation qui prend à tâche de se contredire? Nous réclamons donc l'exécution du décret par lequel vous avez prononcé que la nation aurait simplement la disposition des biens du clergé. Un rapport a précédé les quatre articles que vous avez été invités à décréter, et ce rapport, on ne l'imprime que le jour même qu'on vous presse de délibérer....... Le jour même! Ce rapport est cependant digne de la plus sévère attention; il tient à tous les intérêts de la religion. Vous ne pouvez pas nier que nous sommes ici les représentants du clergé, que nous avons eu le clergé pour commettant; vous ne pouvez nier qu'il s'agit de la jouissance d'un bien qui appartient au clergé. Il s'agit des intérêts de la religion, et l'on compte sur le succès des assignats, sur une opération qui ne présente la religion aux peuples que comme un impôt onéreux.

« Voilà les changements sur lesquels on propose de délibérer en ce moment. Il s'agit d'une décision qui entraîne la plus étonnante révolution, si vous délibérez aujourd'hui. Vous ne nous avez pas entendus, et vous ne pouvez délibérer sans nous avoir entendus. Les assignats qu'on vous propose n'ont pour objet que les 400 millions dont vous avez décrété la vente nécessaire. C'était d'abord une grande question, de savoir si vous aviez le droit de décréter une vente des biens du clergé jusqu'à la concurrence de 400 millions. Si vous avez le droit d'anéantir ainsi les hypothèques des créanciers du clergé, la propriété des citoyens créanciers est-elle donc une chimère, que les législateurs ont le droit de faire évanouir? Mais si vous voulez envahir les biens du clergé, vous n'envahirez pas les ti

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