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autres seront transférés dans les départements où il n'en existe pas actuellement, ou seront éteints et supprimés. »

Après la lecture de cet article, l'évêque de Clermont se leva, et dit, avec un air affligé, qu'il se devait à lui-même, qu'il devait à son ministère et à son caractère, de réitérer la demande faite par l'archevêque d'Aix, d'un concile national, et de déclarer qu'il ne pouvait prendre aucune part à la délibération, ni se soumettre à aucun des décrets que l'Assemblée allait rendre sur les matières spirituelles. Tous les membres de la partie saine du clergé se levèrent pour adhérer à cette déclaration. L'archevêque d'Arles appuya avec force sur la demande d'un concile national : « Je supplie l'Assemblée, dit-il, de statuer sur la demande d'un renvoi à un concile national. Cette demande est appuyée : l'Assemblée peut décider par oui ou par non. » Mais l'Assemblée, aussi impolitique qu'irréligieuse, n'écouta aucun conseil; elle se croyait sans doute audessus d'un concile national.

Gobel, évêque de Lydda, qui jouera plus tard un si triste rôle, se leva, et parla cette fois en évêque catholique.

« Le concile de Trente, dit-il, a déclaré nulle l'absolution accordée par un pasteur à une personne sur laquelle il n'a point de juridiction. Les pouvoirs que le prêtre a reçus, à son ordination, ne suffisent donc pas pour remettre les péchés : il faut qu'il ait encore reçu de l'évêque une juridiction, soit ordinaire, soit déléguée. Il est hors de doute qu'en ordonnant une nouvelle division des diocèses, vous ferez une chose utile aux fidèles dans l'ordre spirituel et civil; mais le sa

lut des fidèles est aussi intimement lié à la légitimité du pouvoir qu'exercent leurs pasteurs. Dans l'opération qu'on vous propose, il s'agit de donner aux évêques une juridiction sur un territoire qui leur a toujours été étranger. Je parle d'après le témoignage de ma conscience, et je crois fermement devant Dieu que vous ne le pouvez pas. Combien de consciences ne nous exposerions-nous pas à alarmer? Il faut donc chercher un moyen de conciliation. On vous a proposé un concile : en mon particulier j'en sens la nécessité pour la réforme des abus intérieurs de l'Église; mais je crois que vous avez de très-bons motifs pour ne pas consentir à la convocation d'un concile en ce moment. Parmi les articles du projet de votre comité ecclésiastique, il s'en trouve qui sont intimement et essentiellement liés à l'autorité spirituelle. Je voudrais que, pour l'exécution de ces articles-là, le roi fût supplié de se pourvoir par des voies canoniques. »

Camus répondit à l'évêque de Lydda, et prit la défense du plan proposé. La discussion se prolongea. L'abbé Gouttes attaqua le discours du curé de Roanne, qu'il avait à cœur de réfuter. L'archevêque d'Arles insista sur la convocation d'un concile national. D'autres ecclésiastiques, prévoyant la difficulté ou l'impossibilité d'un concile national, prétendaient qu'on ne pouvait se dispenser de mettre aux voix la proposition de l'évêque de Lydda. Malgré les réclamations de l'évêque de Clermont, toutes ces motions furent écartées par l'ordre du jour, et, après les discours de Fréteau et de Martineau, le premier article fut modifié et adopté en ces termes :

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chaque diocèse aura la même étendue et les mêmes limites que le département (1). »

Dès que ce premier article, qui, d'un seul coup, supprimait cinquante et un évêchés sans le concours de l'autorité ecclésiastique, fut adopté, les évêques, comme ils l'avaient déclaré, ne prirent plus aucune part à la délibération. La plupart des ecclésiastiques, qui avaient à cœur de conserver leur foi, suivirent l'exemple des évêques. La discussion se trouva donc, presque sans contradiction, livrée à l'arbitraire des philosophes : de temps en temps seulement, lorsque ceux-ci avaient une excessive confiance dans leurs principes, certains ecclésiastiques ne purent pas s'empêcher de combattre leurs illusions. Ainsi lorsque, le 9 juin, on représentait les élections populaires comme le véritable secret d'avoir de vertueux pasteurs, et qu'on prônait la loi de la primitive Église, si différente de celle qu'on proposait, l'abbé Jacquemart, député d'Anjou, prit la parole pour modérer tant soit peu l'enthousiasme de l'Assemblée.

<< D'autres temps, d'autres mœurs, dit-il. Cessons de former des spéculations chimériques, d'élever des édifices idéaux; regrettons les vertus apostoliques mais ne nous flattons pas de les voir revivre parmi nous. On put confier au peuple le soin de choisir ses pasteurs, tant que le nom de chrétien fut synonyme de saint, tant que les fidèles, unis par la charité, faisaient une famille de frères, dont l'ambition se bornait à la palme du martyre. Mais aujourd'hui, quelles que soient les bornes que vous imposiez à l'épiscopat, soyez sûrs qu'il tentera toujours la cupidité de certains minis

(1) Moniteur, séances des 1er et 2 juin 1790.

tres. Il faut fermer la barrière à l'intrigue. Croyez-vous y parvenir par la voie de l'élection populaire? Détrompez-vous: les habitants des campagnes, des fermiers peu capables de peser les vertus et d'apprécier le mérite, des maires de village, des êtres purement passifs, soit qu'ils soient éblouis par la richesse, soit qu'ils soient entraînés par les phrases d'un orateur intrigant, ne manqueront jamais de faire de mauvais choix. Ne pourra-t-il pas se faire aussi qu'un grand nombre des électeurs soient des protestants, qui se feront un plaisir d'avilir l'Église qu'ils rivalisent? Mais, dit-on, on pourra exiger une déclaration de catholicité. Avez-vous le droit d'établir une pareille inquisition? avez-vous le droit de scruter les opinions religieuses? Si un non-catholique peut bien présider l'Assemblée nationale, irez-vous ensuite lui ôter le droit d'élection dans les assemblées du peuple? »

L'orateur conclut à ce que les évêques fussent choisis par le clergé, conjointement avec les membres des assemblées de département, subordonnés au choix du clergé (1).

Cette proposition, si sénsée, fut combattue aussitôt, et rejetée par Robespierre, Chapelier, Biauzat, Camus, Barnave, et les élections populaires furent adoptées. Il en fut de même des autres articles. Enfin, le 12 juillet, on termina cette œuvre infernale connue sous le nom de Constitution civile du clergé, assemblage monstrueux d'hérésies et d'impiétés.

La France était décatholisée, selon les vœux de Mirabeau; elle avait une religion civile, selon ceux de

(1) Moniteur, séance du 9 juin 1790.

J.-J. Rousseau; religion qui n'avait plus de caractère divin, et qui, par conséquent, était sans force sur les ames. Car ce qui donne de l'empire à la religion, ce qui lui donne de l'influence sur les cœurs, c'est qu'elle est au-dessus de la volonté humaine, au-dessus de toutes les institutions politiques du moment qu'elle passe pour une œuvre humaine, elle ne pénètre plus dans les profondeurs de la conscience, et elle ne peut plus rendre aucun service à la société ; et tel a été le sort de cette religion civile: dès ses premiers jours, elle s'est trouvée réduite à l'impuissance, et est tombée dans le mépris. On ne peut comprendre la folie de la majorité de l'Assemblée, lorsqu'on pense au temps où elle a donné cette constitution: elle était occupée alors à rétablir la paix, à régénérer la société; et c'est ce moment qu'elle choisit pour détruire l'action religieuse, qui, seule, donne la paix et la vie au corps social! Au moment où le lien social était disloqué et où la division existait partout, elle vient jeter au sein de la France un nouveau brandon de discorde: car pouvait-elle croire que sa religion civile allait être acceptée par le clergé et les fidèles sans difficultés, sans contradiction et sans résistance? Si elle le croyait, elle était coupable d'une grande ignorance du cœur humain et de l'état religieux en France; si elle ne le croyait pas, elle était plus coupable encore, puisqu'elle allait fournir un nouvel aliment à la guerre civile qui existait dans une grande partie de la France.

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Louis XVI, qui comprenait mieux l'importance de la religion que l'Assemblée, était inquiet de cette constitution. Comme on a été plus de six semaines à la remanier et à la discuter, il avait eu le temps de s'adres

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