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former. Cette déclaration excita des murmures, et fut combattue par plusieurs évêques et un certain nombre de curés; et au moment où l'on allait procéder à la rédaction des cahiers, les opposants sortirent de la salle.

Cette scission dans le clergé encouragea le tiers état, et le fit persister dans sa première résolution. Mirabeau voulait qu'on rompît avec la noblesse, qui s'était déclarée légalement constituée, et qu'on ne s'adressât plus qu'au clergé pour essayer des voies de conciliation. « C'est au clergé, dit-il, qu'il faut s'adresser, non pour arbitrer ce différend (une nation, juge d'elle et de tous ses membres, ne peut avoir ni procès ni arbitres avec eux), mais pour interposer la puissance de la doctrine chrétienne, des fonctions sacrées des ministres de la religion, des officiers de morale et d'instruction (c'est un mot de la théologie de Mirabeau), qu'elle consacre à faire revenir, s'il est possible, la noblesse à des principes plus équitables, à des sentiments plus fraternels, à un système moins périlleux, avant que les députés des communes, obligés enfin de remplir leur devoir et les vœux de leurs commettants, ne puissent se dispenser de déclarer à leur tour les principes éternels de la justice et les droits imprescriptibles de la nation. Envoyez au clergé, et non à la noblesse. Celle-ci ordonne, le clergé négocie (1). »>

Mirabeau recourt au clergé ; nous verrons comment il le traitera quand il croira n'en avoir plus besoin. Son avis ne fut point écouté. On se décida à nommer des commissaires pour entrer en conférence avec ceux des deux autres ordres.

Dans ces conférences, la noblesse rendit compte des (1) Monit., séance du 18 mai.

motifs de sa résistance: elle allégua en sa faveur l'ancienne constitution du royaume, l'usage suivi aux états généraux de 1614, et la crainte que la vérification des pouvoirs en commun n'entraînât le vote par tête. C'est à quoi elle ne consentirait jamais (1). La seule conciliation à laquelle elle consentait, c'était de communiquer son travail aux deux autres ordres, en cas de difficulté. Cette proposition, si opposée aux vues du tiers état, ne fut point acceptée, et l'on renonça aux conférences.

La noblesse était ferme, parce qu'elle comprenait qu'il s'agissait de la vie ou de la mort de son ordre. Pour ôter tout prétexte au tiers état de le détruire, elle avait déclaré qu'elle renonçait à ses priviléges, et qu'elle consentait à une égale répartition de l'impôt. Le clergé avait fait la même déclaration (2). Ainsi le clergé et la noblesse avaient consenti à la principale réforme, celle qui avait fait convoquer les états généraux. On ne pouvait plus dire que la fusion des trois ordres était indispensable pour la réforme des abus.

Mais le tiers état ne se contentait pas de ces concessions: il voulait la destruction des deux premiers ordres, pour être seul maître. D'après les résolutions de la noblesse, il ne lui restait plus d'espoir que dans le clergé, qui ne s'était pas encore prononcé.

Mirabeau revint à sa première proposition, et y insista fortement.

« Les arguments de la noblesse, dit-il, se réduisent en peu de mots : Nous ne voulons pas nous réunir pour juger des pouvoirs en commun. Notre réponse est trèssimple: Nous voulons vérifier les pouvoirs en commun. (1-2) Monit., séance du 23 mai.

Le clergé persévère dans le rôle de conciliateur qu'il a choisi et que nous lui avons confirmé : adressons-nous à lui, mais d'une manière qui ne laisse pas le plus léger prétexte à une évasion. Je propose, en conséquence, de décréter une députation vers le clergé, très-solennelle et très-nombreuse, qui, résumant tout ce que messieurs de la noblesse ont allégué, tout ce que les commissaires conciliateurs des communes ont répondu, adjurera les ministres du Dieu de paix de se ranger du côté de la raison, de la justice et de la vérité, et de se réunir à leurs codéputés dans la salle commune. »

La motion de Mirabeau fut accueillie cette fois par de vives acclamations. Une députation solennelle et nombreuse, comme la voulait Mirabeau, se rendit dans la chambre du clergé, parla au nom du Dieu de paix, fit valoir les sentiments d'union, de concorde et de fraternité, et conjura le clergé de mettre fin aux divisions, en se rendant dans la salle des communes. Le clergé faillit tomber dans le piége qu'on lui tendait. Plusieurs membres, au nombre desquels était l'évêque de Chartres, proposèrent par acclamation de se rendre sur-lechamp à l'assemblée des communes. Mais un évêque fit observer que, dans la salle des communes, il s'agissait de délibérer par tête. Cette réflexion ralentit tant soit peu la première ardeur. La discussion se prolongea, et fut remise au lendemain (1). Elle fut interrompue par une lettre du roi adressée aux trois ordres, pour les engager à reprendre les conférences abandonnées, avec les commissaires précédemment nommés, et à aviser aux moyens de conciliation, selon les désirs du roi. Elles devaient se tenir (1) Moniteur, séance du 27 mai.

en présence du garde des sceaux et d'autres commissaires réunis à lui (1).

La proposition fut acceptée par les trois ordres. Des commissaires se réunirent chez le garde des sceaux, où se trouvaient le comte de Montmorin, le duc de Nivernois, le comte de Puységur, le comte de Saint-Priest, Necker, de la Michodière, d'Ormesson, Vidaud de la Tour, de la Gallisière, de Lessart, nommés par Sa Majesté. C'étaient les personnages les plus distingués de l'époque. On entra en conférence, on se livra à de grandes et de sérieuses discussions, mais elles n'eurent aucun résultat la noblesse était inflexible, le tiers état ne l'était pas moins; il était impossible de s'accorder. Les conférences furent fermées le 9 juin, et leur procès-verbal constate qu'elles n'ont eu aucun succès (2).

Il n'y avait plus moyen de s'entendre. Ce fut alors que le tiers état prit l'audacieuse résolution de se constituer seul, et de se passer du concours de la noblesse et du clergé. Ce fut un prêtre, député du tiers état, l'abbé Sieyes, chanoine et grand vicaire de Chartres, membre de la députation de Paris, qui en fit la première ouverture, après s'être concerté avec Mirabeau.

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Depuis l'ouverture des états généraux, dit-il, les communes ont tenu une conduite franche et impassible; elles ont eu tous les procédés que leur permettait leur caractère à l'égard du clergé et de la noblesse, tandis que ces deux ordres privilégiés ne les ont payées que d'hypocrisie et de subterfuge. L'assemblée ne peut rester plus longtemps dans l'inertie sans trahir ses devoirs et les intérêts de ses commettants. « L'abbé

(1) Moniteur, séance du 28 mai.

(2) Idem.

Sieyes conclut à ce qu'on fit une dernière sommation aux deux ordres, et qu'en attendant leur réponse on procédât à la véritication des pouvoirs des députés du tiers état (1). La motion de l'abbé Sieyes, qui exerçait alors une grande influence, fut vivement applaudie. Une dernière députation vers le clergé et la noblesse fut arrêtée, on changea seulement le mot de sommation en celui d'invitation, et l'on procéda à la vérification des pouvoirs.

La noblesse ne fut point ébranlée par la résolution du tiers état, mais le clergé faiblit de plus en plus. Déjà, dans la séance du 3 juin, un curé avait fait un discours pour prouver la nécessité de se réunir au tiers état et de voter par tête. Dans la séance du 10, au moment où l'on procédait à la vérification des titres, plusieurs curés avaient protesté qu'ils n'entendaient pas, par cette opération, rien préjudicier contre la vérification en commun. Les curés ne comprenaient pas l'importance de la question, ni le piége périlleux qui leur était tendu; peut-être aussi quelques-uns étaient-ils portés vers le tiers état par un rapprochement de doctrines. Cette dernière supposition est plus que vraisemblable. Enfin, la défection se déclara dans leurs rangs. Le 13 juin, trois curés du Poitou, Jallet, Balard, Lescève, quittèrent leur ordre, et se rendirent à l'assemblée des communes. Ils y furent reçus à bras ouverts et avec un enthousiasme difficile à décrire. Deux de ces curés, Lescève et Jallet, adhérèrent plus tard à la constitution civile du clergé, et furent nommés évêques constitutionnels. Lescève n'accepta point l'épiscopat,

(1) Moniteur, séance du 10 juin.

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