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France. Il fournit aussi un grand nombre d'articles au Courrier de l'Europe. Mais ses liaisons, ses travaux, la hardiesse de ses opinions l'avaient signalé au pouvoir comme un des « dangereux novateurs » dont les prétendues utopies commençaient à émouvoir le pays. Les ministres s'alarmaient des éloges continuels que la presse prodiguait aux formes du gouvernement anglais. Lorsque Brissot revint à Paris, M. de Vergènes obtint contre lui une lettre de cachet, et le fit enfermer à la Bastille. Quelques mois après, l'intervention du duc d'Orléans lui valut sa liberté. Il avait épousé, peu avant, une des femmes de service employées au Palais-Royal, et le prince lui avait accordé dans sa chancellerie une place de mille écus, à la sollicitation de madame de Genlis. Dès qu'il fut libre, Brissot, désespérant de voir jamais briller sur son pays les institutions qu'il avait admirées en Angleterre, résolut de s'expatrier. L'Amérique, à peine délivrée de l'oppression, fixait les regards de l'Europe entière; il s'y rendit, en 1786, dans l'espoir de trouver chez ce peuple hospitalier, le repos et le bien-être qui l'avaient fui sur l'ancien continent. Deux ans s'étaient à peine écoulés, lorsqu'il apprit qu'un nouvel ordre de choses se préparait en France. Les États-Généraux étaient convoqués; on parlait de réformes à opérer, d'abus à supprimer, de constitution à établir. Brissot se hâta de repasser les mers, et il arriva à Paris dans les premiers mois de 1789.

Brissot, voulant seconder de tous ses moyens le mouvement qui se faisait dans les esprits, fonda, avec le concours de GireyDuprey, un journal intitulé le Patriote français. Grace à l'énergique rédaction de sa feuille et aux nombreux amis qu'il comptait parmi les membres de l'Assemblée constituante, il devint bientôt un personnage important. Pétion, Bouvet et l'abbé Sieyes, qu'il avait connus à Chartres, lui servirent de patrons, et le produisirent dans la nouvelle société qui se formait sur les ruines de l'ancien monde. Robespierre, avec qui il avait été clerc dans la même étude, lui fut aussi de quelque utilité. Mirabeau lui prêta le secours de son style énergique et incisif, et Marat, qui n'était

pas encore arrivé à l'effrayant paroxisme de ses opinions ultràrévolutionnaires, le prôna et travailla à le populariser. Cinq ou six mois après son apparition, le Patriote français était un des principaux organes du parti démocratique; il était lu dans tous les départements, et les écrits de Brissot exerçaient la plus grande influence sur la révolution française.

Membre de la municipalité parisienne, le 14 juillet 1789, c'est lui qui reçut des mains des insurgés les clés de la Bastille. Nommé président du comité des recherches de la ville, l'attention publique le distingua de plus en plus, et on le signala aux Tuileries comme un des plus redoutables adversaires de la royauté. La cour, sans cesse attaquée par les journaux de l'opposition, imagina de se défendre avec les mêmes armes. On vit surgir une presse vénale, rédigée par les familiers du château et quelques-uns de ces pamphlétaires qui mettent leur plume au service de qui veut la payer. Parmi ces derniers, se trouvait un écrivain, nommé Morande, qui avait connu Brissot pendant son séjour à Londres. Il fut particulièrement chargé par les chefs du parti contre-révolutionnaire de ruiner la réputation du rédacteur du Patriote français, dans un petit libelle périodique intitulé l'Argus. Brissot y fut accusé d'actions infâmes, d'escroqueries qu'il aurait commises en Angleterre, et Morande substitua dans son journal le verbe brissoter au verbe voler. Le Chant du coq, autre libelle royaliste qui s'affichait dans les rues, répéta et commenta ces imputations. La cour, ne pouvant combattre avantageusement les principes, diffamait grossièrement les hommes, et croyait sauver la France et elle-même avec d'aussi honteuses manœuvres. Voici ce qui avait donné lieu aux attaques dont Brissot était accablé. En 1776, se trouvant encore à Chartres, il avait parié, dans un salon, au milieu d'une discussion assez vive, de soutenir et de prouver que la propriété était une absurdité et le vol une action fort légitime. Sur ce paradoxe, il avait publié une brochure assez spirituelle, et dans laquelle, considérant l'homme dans son état primitif, il montrait que là où tout devrait être

commun, il ne pouvait y avoir de vol. Brissot se hâta de dénoncer à la France, par l'organe du Moniteur universel, la perfide tactique des royalistes.

« J'ai méprisé jusqu'à présent, dit-il, toutes les calomnies que mes principes m'ont attirées et qui ne prennent leur source que dans mes opinions; le public seul, en effet, est compétent des opinions. Mais il n'en est pas de même des calomnies qui attaquent la vie privée d'un citoyen; les tribunaux seuls peuvent en être juges. A cetté classe appartient la plus horrible des diffamations, affichée aujourd'hui contre moi, sous le nom de cinq individus qui se disent citoyens actifs. Je ne les connais pas; ils taisent leurs noms; mais l'imprimeur n'a pas caché le sien, et c'est contre lui que je vais rendre plainte en diffamation...-Patriotes, il se trame une conspiration affreuse contre tous ceux qui ont développé quelque énergie dans la défense du peuple, qui ont démasqué les traîtres et les ennemis de la Constitution. On veut les rendre suspects à ce peuple même; leur ôter son estime; en un mot, leur perte est jurée. L'or coule à grands flots, pour payer les infâmes libellistes qui sont chargés de les discréditer dans l'opinion publique. Je n'abandonne point cependant la cause que j'ai toujours défendue, et en la suivant avec la même ardeur, je veux confondre mes adversaires, ou périr! — Signé J.-P. BRISSOT. »

Brissot se présenta aux électeurs de Paris, lors de la convocătion de la Législative. Soit que les calomnies répandues par la cour eussent trouvé quelque créance, soit que ses opinions démocratiques ne fussent pas encore goûtées par la majorité, toujours est-il que son élection fut très orageuse, et son nom ne sortit de l'urne qu'après onze ballottages. Nommé secrétaire de la nouvelle Assemblée, il prit la parole en plusieurs occasions, pour soutenir les décrets contre les émigrés, et ceux relatifs à l'affranchissement des hommes de couleur. Orateur infatigable et intrépidé, il se plaça bientôt au premier rang parmi les dé

putés du parti girondin. La pétition pour la déchéance de Louis XVI, qu'il avait rédigée après le retour de Varennes, lui avait acquis les suffrages de tous les républicains, qui ne se cachaient déjà plus à cette époque; aussi ses motions étaient-elles accueillies par eux avec une grande faveur. Lorsque, dans la séance du 11 février 1792, il souleva contre le ministre des relations extérieures, Délessart, une accusation de complicité avec l'Autriche, la cour, épouvantée des résultats probables de cette motion, essaya de se concilier le parti girondin, en lui faisant entrevoir qu'on pourrait bien un jour l'appeler aux affaires, pour prix de ses condescendances. Mais la Gironde n'avait pas besoin d'une pareille promesse, elle était portée au ministère par la force des choses, et elle avait moins besoin de la cour, que la cour n'avait besoin d'elle. Brissot, soutenu par le député Mailhe, accusa formellement Délessart de trahison. L'empereur d'Autriche, par son traité du 25 juillet avec la Prusse, et par la circulaire qu'il avait adressée à toutes les puissances de l'Europe, venait de jeter à la France un véritable défi. Le 25 janvier, l'Assemblée rendait un décret par lequel elle priait Louis XVI de réclamer de l'empereur une explication franche de ses intentions, faute de quoi toutes relations amicales seraient rompues. Délessart, pour éluder le décret, avait alors envoyé à la cour de Vienne une sorte de messager particulier, bas et servile, qui devait provoquer, de la part de l'Autriche, un redoublement de jactance. C'est contre ce message et les actes qui l'avaient accompagné, que Brissot s'éleva avec force. Le ministre succomba dans la lutte; l'Assemblée, sur la dénonciation motivée de l'un de ses membres, déclarant qu'il y avait lieu à suivre contre Délessart, chargea le pouvoir exécutif de le mettre en état d'arrestation, et de faire apposer les scellés sur tous ses papiers.

Ce renversement de ministère prouvait à la cour toute l'impor tance du parti girondin. Louis XVI, cédant à ses propres craintes plutôt qu'aux vœux du pays, chargea Brissot de lui composer un

cabinet, et le ministère Roland, Servan et Clavière conclut une alliance mensongère entre les Tuileries et l'opposition. On sait comment arriva la chute de ce cabinet et quels événements la suivirent. Brissot et la plupart de ses amis furent réélus à la Convention nationale.

Nous sommes arrivés à l'heure de la grande scission des Montagnards et des Girondins.

La lettre écrite par Roland le 3 septembre contre les septembriseurs avait déchaîné la Commune contre les Girondins. La Commune était alors pour les révolutionnaires une sorte de sentinelle avancée, chargée de signaler tous les dangers, et de jeter le cri d'alarme. Une proposition faite par Manuel à la tribune, le 21, jour de l'ouverture de la nouvelle Assemblée, avait également excité une grande rumeur parmi les Jacobins. « Représentants du peuple, dit Manuel, la mission dont vous êtes chargés exigerait et la puissance et la sagesse des dieux. Lorsque Cinéas entra dans le sénat de Rome, il crut voir une assemblée de rois. Une pareille comparaison serait pour vous une injure. Il faut voir ici une assemblée de philosophes, occupés à préparer le bonheur du monde. Je demande que le président de la France soit logé dans le palais national, que les attributs de la loi et de la force soient toujours à ses côtés, et que toutes les fois qu'il ouvrira la séance, les citoyens se lèvent! Cet hommage rendu à la souveraineté du peuple, nous rappellera sans cesse nos droits et nos devoirs. Tallien et Chabot combattirent avec une grande force cette proposition qui avait un tort à leurs yeux : celui d'accorder les honneurs publics au président actuel, le Girondin Pétion.

Les deux partis soulevaient chaque jour, l'un contre l'autre, de nouveaux griefs. Les Girondins furent accusés par la Montagne de désunir la France et de chercher à lui donner un gouvernement fédératif; de leur côté, les Girondins imputèrent aux chefs de la Montagne des projets de dictature et de tyrannie. «Brissot, Vergniaud, Guadet, Gensonné, Barbaroux, disaient les Jacobins,

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