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DE LA

RÉVOLUTION FRANÇAISE.

DANTON

(JACQUES-GEORGES),

Né à Arcis-sur-Aube, le 28 octobre 1759; mort à Paris, sur l'échafaud, le 5 avril 1

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Il est inutile de s'enquérir de l'homme privé, chez l'audacieux conventionnel dont nous avons déjà vu apparaître la figure colossale à travers les principales scènes de la révolution. Qu'il y ait eu, avant la convocation des États-Généraux, un avocat aux conseils du roi s'appelant Danton; que cet obscur élève de Thémis, doué de passions tumultueuses comme Mirabeau, criblé de dettes comme lui, ait également rencontré sur sa route quelque Sophie Monnier, quelque femme aimante et crédule dont il aura brisé l'avenir pour satisfaire ses capricieuses amours; qu'il ait pris sa large part dans cette vie licencieuse que menait la

France vers la fin du xvIII° siècle : les mémoires du temps, les souvenirs des contemporains ne nous apprennent rien à ce sujet, et nous nous tairons également, plutôt que d'enrichir nos pages de détails apocryphes, sous prétexte de satisfaire une stérile curiosité. Pour nous, Danton est né le 14 juillet 1789, le jour de la prise de la Bastille; il est mort cinq ans après ce glorieux point de départ de notre nationalité actuelle; et certes, ces cinq années ont été assez bien remplies par le tribun, pour que nous n'ayons pas le temps de fouiller la nuit qui enveloppe le reste de sa carrière. La foudre, avant de tracer son rouge sillon dans l'espace, se forme lentement dans un épais nuage, sous lequel on ne la devinait point, et c'est de cet obscur berceau qu'elle s'élance pour aller frapper les plus illustres victimes, avant de s'anéantir elle-même dans l'abîme qui l'a vomie.

Danton était d'une taille herculéenne; sa tête puissante posée sur de larges épaules, sa démarche lente et dédaigneuse, son regard audacieux et perçant, sa voix rude et tonnante le désignaient aux succès du forum, aux triomphes populaires. Il était né pour être tribun et il descendit dans l'arène aux premiers symptômes d'agitation qui se manifestèrent à la suite de l'établissement du régime constitutionnel. En 1790, il présidait le district des Cordeliers; très connu dans les halles et dans les faubourgs, où ses harangues démocratiques avaient le plus grand succès, il était à peu près ignoré dans le cercle des hommes politiques. Mirabeau seul avait deviné une partie de ce qu'il valait, et s'en était fait une espèce d'aboyeur, propre à jeter l'alarme parmi les masses et à les soulever, tandis qu'il s'emparait lui-même de la tribune et dirigeait la Constituante au gré de sa parole. Danton se produisit pour la première fois dans une assemblée légale, le 26 décembre 1789; son début ne fut pas heureux. Ces mêmes qualités qui devaient plus tard sauver la France d'une complète désorganisation, ne lui valurent que des sarcasmes; tant il est vrai que le génie a besoin d'un piédestal, et qu'il touche au ridicule dès qu'il cesse d'être sublime. Membre du district des

Cordeliers, il fut député par ses collègues vers les représentants de la Commune, pour leur présenter quelques observations sur la forme des brevets délivrés par la municipalité aux officiers de la garde nationale. La réclamation était minime, et le ton déclamatoire de l'orateur, le feu qu'il mit dans son discours, les expressions ambitieuses dont il se servit, l'éclat de sa voix et la rapidité de ses gestes indisposèrent contre lui la majorité de l'Assemblée. Il fut question de le censurer; mais on se contenta de le renvoyer comme un énergumène qui méritait tout au plus la pitié des hommes raisonnables (1). Cet énergumène portait en lui les plus terribles secrets de la révolution française.

Danton était sans fortune et sans moyens connus d'existence. Depuis le commencement des troubles politiques, il avait complè tement abandonné le barreau. D'ailleurs, sa profession d'avocat ne lui avait jamais procuré de grands bénéfices, et le plus clair de ses revenus était une pension de cinquante écus par an qu'il recevait du père de sa femme. Cependant, dès l'année 1790, sa position s'améliora sensiblement, et il se livra bientôt aux plus grandes prodigalités, sans qu'on put savoir d'où lui venait cette

(1) Nous trouvons, à ce sujet, dans la Gazette nationale (Moniteur universel), no 129, année 1789, les réflexions suivantes, assez curieuses par leur contraste avec la haute place que Danton occupa plus tard dans ce répertoire de nos annales politiques.

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«La vivacité avec laquelle M. Danton, député, proposa ses réflexions, malgré les réclamations de presque toute la salle, qui pensait avec raison qu'on peut se « faire entendre et même se rendre intéressant, quand on a quelque chose d'utile « à dire, sans recourir à toute la chaleur des mouvements oratoires; la rapidité de « son discours donna lieu à une singulière méprise. Dans la lecture qu'il fit du brevet, M. Danton lut: Par Monseigneur le Maire, etc., etc. Ce mot de Monsei«gueur, appliqué à la personne de M. le maire, parut étrange à toute l'Assem«blée, et l'on était très disposé à en faire la remarque, lorsque M, Bailly, après « avoir écouté avec beaucoup d'attention tout ce qui venait d'être lu avec précipi<tation, prit le brevet et fit lire à M. Danton: Par Monsieur le Maire, etc., etc., ⚫ véritables expressions du brevet. Cette méprise a excité de la rumeur dans la salle; quelques membres proposaient des motions rejetées par l'honnêteté « et l'esprit de fraternité qui règnent dans l'Assemblée ; et, M. Danton, justifié par son zèle, il a été arrêté qu'il n'en serait plus question.

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aisance subite. On prétendit qu'il s'était mis à la solde du duc d'Orléans; ce qui est beaucoup plus certain, c'est que la cour, en s'attachant Mirabeau, s'étant aussi emparé de son aboyeur, il eut sa part dans les fonds secrets avec lesquels Louis XVI croyait acheter la révolution. Il n'en devint dans la suite que plus exagéré dans ses déclamations, afin de dérouter ceux qui soupçonnaient ses anciennes relations avec le château. Sous le ministère de Montmorin, il reçut, dit-on, plus de cent mille écus, pour proposer et appuyer différentes motions dans les clubs. Mais, ajoute-t-on, il se réservait toujours d'employer, pour faire ces motions, les moyens qu'il jugeait le plus convenables; et son moyen le plus ordinaire était de les assaisonner de déclamations contre le roi et contre les ministres, pour qu'on ne le soupçonnât pas de leur être vendu (1). Il est à présumer que le tribun se jouait de la cour, et lui faisait payer bien cher de prétendus services qu'il ne lui rendit jamais. Ne nous étonnons pas trop de la vénalité de tous ces révolutionnaires, qui portèrent plus tard jusqu'au paroxisme l'amour de la patrie, la haine du trône et de l'étranger. Les rôles n'étaient point encore nettement dessinés en 1790; on marchait au hasard dans la carrière des innovations; et les hommes tels que Danton, remuants, peu stables encore dans leurs convictions, et dévorés surtout par de grands besoins, durent saisir avec empressement l'occasion qu'on leur offrait de concilier à la fois leur turbulent caractère et le soin de leur fortune. Tous ces misérables lambeaux de vénalité et de corruption furent secoués au premier coup de tocsin sonné par la république en danger.

Le district des Cordeliers, présidé par Danton, reçut en quelques mois une impulsion extraordinaire de cet homme qui possédait le secret de galvaniser, par sa parole mugissante, les êtres les plus faibles et les plus lâches. Ce district, sur lequel résidait Marat, s'était constitué en une sorte de tribunal populaire de cassation, revisant les sentences rendues au Palais-de-Justice, et s'op

(1) Bertrand de Molleville, Histoire de la Révolution.

posant à l'exécution de tout jugement qui n'était point revêtu du visa de quatre commissaires réunis à cet effet. La cour du Châtelet ayant été chargée par l'Assemblée nationale d'informer de tous les crimes dits de lèse-nation, elle lança un décret de prise de corps contre le rédacteur de l'Ami du peuple. Marat se réfugie aussitôt au milieu de ses collègues du district; Danton, qui le présidait, monte à la tribune et s'écrie: «Que l'on persévère à pour<< suivre ce vertueux citoyen; nous saurons bien nous opposer « aux décrets de la tyrannie; tout le faubourg Saint-Marceau nous << secondera, si nous sommes forcés de donner une leçon à ces ju«ges impudents! » L'Ami du peuple fut caché dans les caves des Cordeliers; le Châtelet, instruit des menaces prononcées par Danton, ordonna son arrestation; mais l'agitation produite par cette mesure fut telle, que l'on dut renoncer à l'exécuter. C'est ainsi que se forma, au sein du district des Cordeliers, le club de ce nom, qui devait bientôt révolutionner Paris et l'armée, lutter d'audace et de puissance avec les Jacobins, et périr enfin sous l'étreinte de leurs puissants adversaires.

En moins de deux années, le peuple avait fait un pas immense dans la carrière des révolutions. Mirabeau était mort, le roi était en fuite, et les républicains, comprimés jusqu'alors dans les limites de la Constitution, levaient hardiment la tête. Louis XVI avait rompu le pacte qu'il avait juré sur l'autel de la patrie, et la nation se croyait dispensée à son tour de s'y soumettre désormais. Danton, ennemi personnel de Lafayette, ruina la popularité du général par ce dilemme que tout Paris répéta après lui: «< Ou le com<< mandant des gardes nationales est un traître, qui a favorisé la <<< fuite du roi; ou il est incapable de commander, puisqu'il n'a pu << empêcher le départ du prince confié à sa garde. » Sans perdre de temps, et profitant de l'inquiétude que le voyage de Montmédy avait jetée dans tous les esprits, il appuya chaudement au club des Cordeliers la proposition que Laclos avait faite aux Jacobins pour demander la déchéance immédiate; il provoqua la promenade civique du Champ-de-Mars, et fit courir les citoyens aux armes

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