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DE LA

RÉVOLUTION FRANÇAISE.

FABRE-D'ÉGLANTINE

(PHILIPPE-FRANÇOIS-NAZAIRE),

Né à Carcassonne (Aude), le 28 décembre 1755; mort à Paris, sur l'échafaud, le 5 avril 1794.

Arrivé à cet âge où l'homme recueille les plus beaux fruits de la vie et travaille à son avenir sur le terrain d'un passé solide, Fabre-d'Églantine, tour à tour musicien, peintre, comédien, graveur et poète, n'était pas encore fixé sur la carrière qu'il devait suivre. C'était un de ces esprits incertains et mobiles, qui paraissent doués, au début de l'existence, des plus admirables qualités, et dont les facultés presque universelles s'affranchissent de toutes les traditions reçues, surmontent tous les obstacles; d'abord, on les croit aptes à jouer d'une façon brillante et complète les rôles les plus opposés; mais ils finissent par s'appauvrir et se consumer dans

une multitude de travaux et d'efforts à chaque instant interrompus par l'insouciance, la légèreté et la lassitude. Encore enfant, Fabre se trouvait mal à l'aise au milieu d'une famille de bons. bourgeois, assez sots pour croire que l'ame a ses maladies aussi bien que le corps, et qu'une soi-disant précocité de génie n'est autre chose qu'une fièvre de l'intelligence dont on doit se débarrasser au plutôt. Il quitta done la maison paternelle, s'engagea dans une troupe de comédiens ambulants, et joua sur les théâtres de Bruxelles, de Lyon et de Genève. Le public, à ce qu'il paraît, partagea l'opinion de sa famille, sur le mérite qu'il se croyait : il fut sifflé sans pitié; mais comme il possédait plusieurs sortes de talents, il ne se découragea point. Il essaya du pinceau et du burin, entremêlant ces travaux de quelques compositions poétiques. Il publia, en 1771, l'Etude de la nature; l'Académie des jeux floraux de Toulouse décerna l'Églantine d'or de Clémence Isaure à une de ses élégies, et pour consacrer d'une manière durable le souvenir de son triomphe littéraire, il ajouta à son nom le nom de cette fleur. En 1787, il parut de nouveau sur la scène, non plus comme comédien, mais comme auteur. Augusta, tragédie en cinq actes et en vers, fut son début. Il continua par le Collateral ou l'Amour et l'Intérêt, et le Présomptueux, toutes pièces médiocres; cette dernière comédie, jouée en 1789, ne put aller que jusqu'au second acte, et ne se releva pas, lorsqu'on essaya de la reprendre à la sollicitation de Fabred'Églantine. Enfin, le 22 février 1790, eut lieu sur le théâtre de la Nation, la première représentation du Philinte de Molière, ou la Suite du Misanthrope. La soirée fut orageuse, et le succès d'abord contesté; mais il se raffermit aux représentations suivantes, et la nouvelle pièce concourut, avec la tragédie de Joseph-Marie Chénier, Charles IX, à attirer une foule considérable dans la salle de l'ex-Odéon. Cette fois-ci, Fabre-d'Églantine semblait fixé pour toujours. Les applaudissements d'un public d'élite lui faisaient présager une abondante moisson de lauriers dans la carrière dramatique; mais il était dit qu'il essaierait de tous les rôles, sans

en adopter définitivement aucun. Les commotions politiques de 1791 le jetèrent dans la faction des Dantonistes. Ceux-ci, qui rêvaient la journée du 10 août, depuis l'arrestation du roi à Varennes, recherchaient avidement, pour se les attacher, tous les jeunes écrivains dont la plume pouvait leur servir à propager dans les masses les idées républicaines. L'auteur du Philinte se lia avec Camille Desmoulins, Lacroix, Danton, et publia, sous leur dictée, trois ou quatre pamphlets qui eurent quelque influence sur le dénouement de la lutte de l'aristocratie et de la cour. Le ministre de la justice du 10 août se l'attacha en qualité de secrétaire, lorsque la victoire eut couronné les efforts des démocrates, et les électeurs de Paris, auxquels il fut recommandé par ses nouveaux patrons, l'envoyèrent à la Convention nationale.

Fabre-d'Églantine, qui jusqu'alors avait affecté, dans ses discours, une assez grande modération, parut vouloir dépasser en audace, en énergie, en rigorisme, les plus fougueux révolutionnaires. Lors de l'appel nominal sur la peine à appliquer au ci-devant roi, il dit: — « Il n'y a qu'une peine qui convienne an « tyran: la patrie, la justice et la politique me font un devoir de «< la prononcer je vote pour la peine de mort. » Nommé membre du Comité de salut public, il appuya la loi du maximum et celle des suspects, en s'opposant toutefois à ce que l'on comprit parmi ces derniers, les marchands qui vendraient au-dessus du cours légal les marchandises dites de première nécessité. Dans le procès des Girondins, il déposa contre ceux-ci et leur imputa, par de perfides et adroites insinuations, le vol du garde-meuble et les massacres de septembre. C'est à lui que Vergniaud répondit avec mépris: « Je ne me crois pas réduit à l'humiliation de me jus

tifier d'un vol!» C'est encore lui qui provoqua le décret qui défendit à nos soldats de faire aucun prisonnier dans nos rencontres avec les Anglais et les Hanovriens.

Les Montagnards pensaient que la nouvelle république française devait abolir, non-seulement toutes les institutions sur lesquelles le trône s'était étayé pendant plusieurs siècles, mais en

core effacer de nos mœurs et de nos usages les moindres souvenirs d'un passé odieux. Le calendrier grégorien fut signalé au Comité de l'instruction publique comme n'étant plus en rapport avec les nouvelles idées. Le 19 septembre, le député Romme (1) présenta à l'Assemblée un premier rapport sur les modifications à opérer dans la manière de computer le temps. Le 24 octobre suivant, Fabre-d'Églantine en lut un second au nom du comité chargé de la rédaction du calendrier républicain. Plusieurs des changements proposés lui appartenaient, entre autres la nouvelle dénomination des mois.

Citoyens, dit-il, la régénération du peuple français, l'établissement de la république, ont entraîné nécessairement la réforme de l'ère vulgaire. Nous ne pouvions plus compter les années où les rois nous opprimaient comme un temps où nous avions vécu. Les préjugés du trône et de l'église, les mensonges de l'un et de l'autre, souillaient chaque page du calendrier dont nous nous servions. Vous avez réformé ce calendrier, vous lui en avez substitué un autre, où le temps est mesuré par des calculs plus exacts et plus symétriques. Ce n'est pas assez. Une longue habitude du calendrier grégorien a rempli la mémoire du peuple d'un

(1) ROMME (Gilbert), né à Riom, en 1750; mort le 28 juin 1795. — Romme fut député à l'Assemblée législative en 1791, et à la Convention nationale en 1792, par le département du Puy-de-Dôme. Ses connaissances très étendues en mathématiques et dans les autres branches des sciences exactes, le firent nommer membre de la commission d'instruction publique; c'est en cette qualité qu'il fit à l'Assemblée un rapport sur le nouveau système télégraphique inventé par Chappe, et un autre sur le calendrier républicain. Romme traversa sain et sauf les mauvais jours de la terreur; Robespierre parut oublier, au mois d'avril 1794, ses liaisons avec Chaumette, et la réaction thermidorienne ne l'atteignit point. Mais en 1795, au mois de juin, les Jacobins ayant soulevé contre la Convention nationale une grande partie des faubourgs, dans le but d'obtenir le rétablissement de la Constitution de 1793, Romme crut un instant que la victoire resterait aux insurgés, et il appuya à la tribune toutes leurs demandes. Le mouvement fut comprimé, et Romme traduit avec cinq de ses collègues, devant une commission, fut condamné à mort. En entendant leur jugement, trois des accusés se poignar dèrent, et passant, avant d'expirer, l'instrument de leur mort aux trois autres, ceux-ci les imitèrent et se frappèrent aussitôt.

nombre considérable d'images qu'il a longtemps révérées et qui sont encore aujourd'hui la source de ses erreurs religieuses; il est donc nécessaire de substituer à ces visions de l'ignorance, les réalités de la raison, et au prestige sacerdotal, la vérité de la nature..... Lorsqu'à chaque instant de l'année, du mois, de la décade, et du jour, les regards et la pensée du peuple se porteront sur une image agricole, sur un bienfait de la nature, sur un objet d'économie rurale, vous ne devez pas douter que ce ne soit pour la nation un grand acheminement vers le système agricole, et que chaque citoyen ne conçoive de l'amour pour les présents réels et effectifs de la nature qu'il savoure, puisque, pendant des siècles, le peuple en a conçu pour des objets fantastiques, pour de prétendus saints qu'il ne voyait pas et qu'il connaissait encore moins. >>

Le 24 novembre (4 frimaire), le décret suivant fut adopté par la Convention nationale, sur les conclusions du rapport de Fabred'Églantine:

« ART. Io. L'ère des Français compte de la fondation de la république, qui a eu lieu le 22 septembre 1792 de l'ère vulgaire, jour où le soleil est arrivé à l'équinoxe vrai d'automne, en entrant dans le signe de la Balance, à neuf heures, dix-huit minutes, trente secondes du matin, pour l'observatoire de Paris.

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II. L'ère vulgaire est abolie pour les usages civils.

<«< III. Chaque année commence à minuit, avec le jour où tombe l'équinoxe vrai d'automne, pour l'observatoire de Paris.

<< IV. La première année de la république française a commencé à minuit, le 22 septembre 1792, et a fini à minuit, séparant le 21 du 22 septembre 1793.

V. La seconde année a commencé le 22 septembre 1793, à minuit, l'équinoxe vrai d'automne étant arrivé ce jour-là, pour l'observatoire de Paris, à trois heures, onze minutes, trente-huit secondes du soir.

« VI. Le décret qui fixait le commencement de la seconde année au 1o janvier 1793 est rapporté. Tous les actes datés de l'an II de la

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