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une voix plaintive qui sort de l'épouvantable glacière d'Avignon. Elle vous crie : Le décret de réunion du Comtat à la France avait été rendu au mois de septembre dernier; s'il nous eût été envoyé sur-le-champ, peut-être qu'il nous eût apporté la paix et qu'il eût éteint nos funestes divisions; peut-être qu'en devenant Français, nous eussions abjuré l'esprit de haine, nous n'eussions point été victimes d'un massacre abominable !... Mais M. Délessart a gardé cet écrit pendant deux mois dans son portefeuille, et dans cet intervalle, nos discussions ont continué; dans cet intervalle, de nouveaux crimes ont souillé notre déplorable patrie. C'est notre sang, ce sont nos cadavres mutilés qui demandent vengeance!... De cette tribune, où je vous parle, on aperçoit le palais où des conseillers pervers égarent et trompent le roi que la Constitution nous a donné (1) ! Je vois les fenêtres du palais où l'on trame la contre-révolution, où l'on combine les moyens de nous replonger dans les horreurs de l'esclavage. Le jour est venu où vous devez mettre un terme à tant d'audace, à tant d'insolence; où vous devez confondre tous les conspirateurs ! L'épouvante et la terreur sont souvent sortis, aux temps antiques et au nom du despotisme, de ce palais fameux. Qu'elles y rentrent enfin au nom de la loi, qu'elles y pénètrent dans tous les cœurs; que tous ceux qui l'habitent sachent que notre Constitution n'accorde d'inviolabilité qu'au roi; qu'ils sachent que la loi atteindra sans distinction tous les coupables, et qu'il n'y a pas une seule tête, convaincue d'être criminelle, qui puisse échapper à son glaive! »

Vergniaud fut un des trois députés qui se rendirent au palais des Tuileries, le 20 juin, pour calmer l'effervescence populaire; les deux autres étaient Isnard et Merlin de Thionville. Le 3 juillet suivant, Delaunay (d'Angers) proposa à l'Assemblée de s'emparer momentanément de tous les pouvoirs et de déclarer que, vu les circonstances difficiles où se trouvait la France, les législateurs ne consulteraient plus, dans leurs décrets, que la loi impérieuse et suprême du salut public. A la suite de cette motion, Vergniaud prit de

(1) Mirabeau avait déjà employé le même mouvement.

nouveau la parole, et accusa formellement Louis XVI d'entraver la Constitution. Il le fit pourtant avec assez d'adresse pour qu'on ne pût l'accuser d'oublier l'inviolabilité royale. Il énuméra les griefs du peuple contre la cour; il montra le conseil du prince s'opposant à toutes les mesures urgentes qui pouvaient sauver la France : au décret contre les prêtres réfractaires, à la formation d'un camp sous Paris, à la loi contre les émigrés ; puis remontant des ministres, responsables de tous ces actes suivant la Constitution, jusqu'au roi, il supposa un instant que Louis XVI lui-même était l'auteur des entraves apportées à la révolution. «Si le roi, continua-t-il, était vraiment coupable de pareils actes, n'auriez-vous pas le droit de lui dire: 0 roi, qui sans doute avez cru, comme le tyran Lysandre, qu'il fallait amuser le peuple avec des serments, ainsi que l'on amuse les enfants avec des hochets ! qui n'avez feint d'aimer les lois que pour parvenir à la puissance, qui vous servirait à les violer; la Constitution, que pour qu'elle ne vous précipitât pas du trône, où vous aviez besoin de rester pour la détruire; la nation, que pour assurer le succès de votre perfidie, en lui inspirant de la confiance! pensez-vous nous abuser aujourd'hui avec d'hypocrites protestations? La Constitution vous laissa-t-elle le choix des ministres pour notre bonheur ou pour notre ruine? Vous fit-elle le chef de notre armée pour notre gloire ou pour notre honte? Vous donna-t-elle enfin le droit de sanction, une liste civile, et tant de grandes prérogatives, pour perdre constitutionnellement la Constitution et l'empire? Non, non, homme que la générosité des Français n'a pu émouvoir; homme que le seul amour du despotisme a pu rendre sensible! vous n'avez pas rempli le vœu de la Constitution; elle peut être renversée, mais vous ne recueillerez pas le fruit de votre parjure!... Vous n'êtes plus rien pour cette Constitution que vous avez si indignement violée, pour le peuple que vous avez si lâchement trahi!...

<< Mais non, continue Vergniaud en quittant le champ des suppositions; si nos armées ne sont point complètes, si nos frontières sont en danger le roi n'en est sans doute pas coupable; sans

doute encore, pour sauver l'empire, il prendra toutes les mesures nécessaires, mêmes celles qui pourraient froisser ses sympathies; sans doute la marche des Prussiens ne sera pas aussi triomphante qu'ils l'espèrent: mais il fallait tout prévoir et tout dire dans ces jours solennels. En présence d'aussi grands périls, la franchise seule peut nous sauver ! »

Il se résume, en demandant à l'Assemblée qu'une adresse soit envoyée au roi, qui lui expose sans déguisement l'état des choses et des esprits, et qui le conjure de se déclarer enfin pour ceux qui sont sur le mont Aventin ou pour ceux qui sont encore dans Rome! L'incident du baiser Lamourette (1), interrompit pour quelques jours les récriminations mutuelles des deux partis; les négociations que la Gironde essaya de nouer avec la cour, suspendirent tout-à-fait ses hostilités jusqu'au 10 août. Il y avait à Paris un peintre de talent, nommé Boze, qui avait fait le portrait de Louis XVI, et qui connaissait Thierry, valet de chambre du prince. Boze, lié avec quelques-uns des Girondins, imagina de les rapprocher du monarque et fit part de son projet au yalet de chambre. Il s'agissait de faire écrire par les chefs du parti une lettre politique à l'adresse du peintre, dans laquelle ils indiqueraient succinctement les moyens qu'ils croiraient le plus propres à sauver le trône; cet ultimatum, confié à Thierry, serait mis alors par celui-ci sous les yeux de Louis XVI. Vergniaud, Guadeț et Gensonné (2) consentirent à cet essai. Ils écrivirent en consé

(1) Voyez la page 31 du tome 1er.

(2) GENSONNÉ (Armand), né à Bordeaux le 10 août 1758, mort à Paris, sur l'échafaud, le 31 octobre 1793. Membre du tribunal de cassation de la Gironde, Gensonné fut élu député, par ce département, à l'Assemblée législative. Signataire de la lettre remise à Thierry par le peintre Boze, c'est lui qui l'avait rédigée. Dans se procès du roi, il vota pour l'appel au peuple, pour la mort et contre le sursis. Sa parole railleuse et mordante irritait plus encore, peut-être, la Montagne, que 'éloquence majestueuse ou serrée des Brissot et des Vergniaud. Un jour qu'il attaquait avec violence les ultrà-révolutionnaires, quelqu'un s'écria, des bancs de la gauche:Mais ils ont sauvé la patrie! Oui, répliqua Gensonné, ils l'ont sauvée comme les oics du Capitole ! On juge de l'effet que produisait sur l'Assemblée des

quence une lettre au citoyen Boze, dont voici l'analyse succincte: « Vous nous demandez, monsieur, disaient-ils, quelle est notre opinion sur la situation actuelle de la France, et le choix des mesures qui pourraient sauver la chose publique. -La conduite du pouvoir exécutif est la cause de tous les maux qui affligent la France. Le roi se trompe, s'il croit que les continuelles secousses qui désolent le pays sont dues à quelques agitateurs; c'est placer la cause du mal dans ses symptômes. -Si la conduite du roi n'excitait plus aucune défiance et si le peuple était tranquille sur l'avenir de la révolution, la France ne songerait plus qu'à jouir de ses précieuses conquêtes. Mais tant que la liberté sera en péril, et que le roi paraîtra favoriser les complots extérieurs ou intérieurs qui se forment contre elle, les factions et les troubles nous désoleront. L'état actuel des choses doit nous amener une crise dont toutes les chances seront contre la royauté. Et qu'on ne compte pas sur les puissances étrangères pour opérer les changements que l'on désire! La force qui opérerait ce changement scrait longtemps nécessaire à sa conservation, et l'on sèmerait dans le royaume des germes de divisions que plusieurs siècles auraient peine à étouffer.—Que le roi choisisse ses ministres parmi les hommes les plus prononcés pour la révolution; qu'il offre aux défenseurs de la patrie les fusils et les chevaux de sa garde; qu'il soumette sa liste civile à une comptabilité publique; qu'il sollicite lui-même une loi sur l'éducation du prince royal; qu'il sanctionne le décret sur le licenciement de l'état-major de la garde nationale; enfin, qu'il retire à M. Lafayette le commandement de l'armée. La constitution peut être sauvée si le roi prend avec courage toutes ces mesures urgentes. »

Toutes les concessions du monde étaient insuffisantes pour réconcilier la nation et la royauté; la crise dont les Girondins

traits pareils. Le 19 avril 1793, il demanda la convocation des Assemblées primaires, espérant arrêter par cette mesure la marche désordonnée de la révolution. Arrêté le 2 mai suivant, il partagea le sort des Vingt et un, et périt comme eux sur l'échafaud.

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menaçaient Louis XVI n'eût été que retardée par les mesures conseillées dans cette note. Chaque forme de gouvernement a ses conditions essentielles d'existence, qu'on ne saurait affaiblir ou détruire, sans affaiblir et détruire le gouvernement même; et l'alliance de la démocratie et de la royauté est une de ces utopies qui séduisent parfois les esprits spéculatifs, mais que l'expérience condamnera toujours. En choisissant ses ministres parmi « les hommes les plus prononcés de la révolution», Louis XVI, sans doute, aurait produit dans le pays une satisfaction momentanée; mais quand la réflexion serait venue, on eût reconnu de part et d'autre les dangers de ce rapprochement. Les hommes les plus prononcés de la révolution voulaient la réforme complète des institutions, non pas seulement au point de vue politique, mais encore au point de vue social, et leur avénement au pouvoir eût été le signal de ces réformes. Leur conscience et l'intérêt leur commandaient de se mettre tout de suite à l'œuvre et de saper les anciens abus sans trêve ni cesse. C'était le suicide de la royauté. Qu'elle pérît par un meurtre ou de sa propre main, l'autorité royale avait fait son temps; son heure avait sonné, rien ne pouvait la sauver, et la révolution ne l'eût embrassée que pour l'étouffer dans ses bras.

Et même à supposer que les Girondins eussent trahi et déserté leurs principes, il n'était point vrai que leur seconde entrée au ministère eût consolidé la constitution. Il eût fallu pour cela supprimer d'un seul coup ces immenses aspirations de liberté, cette soif dévorante d'égalité qui bouleversaient le pays, c'est-àdire la révolution elle-même.

La lettre de Vergniaud, Guadet et Gensonné n'eut aucune espèce de résultat. Louis XVI répondit : 1o qu'il n'avait garde de négliger le choix des ministres; 2° qu'on ne devait la déclaration de guerre qu'à des ministres soi-disant patriotes; 3° qu'il avait mis tout en œuvre, dans le temps, pour empêcher la coalition des puissances, 4° enfin que, depuis son acceptation, il avait très scrupuleusement observé les lois de la Constitution,

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