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blic répondit d'une manière évasive à cette interpellation; il était évident que la défense n'était pas libre, et que les Girondins étaient condamnés d'avance.

On passa à l'audition des témoins. Le premier était Jean-Nicolas Pache, maire de Paris. Il déclara connaître la plupart des détenus, et ajouta que depuis son entrée au ministère, il avait remarqué dans la Convention nationale une faction, dont tous les actes tendaient à désorganiser la république. Il dit encore que, dans sa conviction, les arrestations ordonnées par la Commission des douze, n'avaient eu d'autre but que de déterminer une prise d'armes contre l'Assemblée, afin d'avoir l'occasion de calomnier Paris et de faire marcher les départements sur la capitale. Vergniaud répondit au témoin que sa déposition se renfermait dans un vague tel, qu'il était impossible de la combattre. « Cependant, ajouta-t-il, s'il prétend que la faction a voté pour l'établissement d'une force départementale afin de fédéraliser la république, ceci s'adresse à tous les accusés; mais les uns ont voté pour cette force, les autres contre, et j'étais de ce nombre; ainsi ce fait ne peut m'être imputé. — Il a ajouté que la plus grande protection avait été accordée à Dumouriez. Cette accusation porte-t-elle sur tous les accusés; je l'ignore. Quant à moi, je n'ai jamais accordé de protection à Dumouriez. S'il prétend enfin que le comité des finances lui a refusé des fonds pour l'approvisionement de Paris, je lui répondrai que je n'ai jamais fait partie de ce comité. »

Cette première réplique de Vergniaud résume le système de défense des Girondins. Repoussant toute solidarité entre eux, ils prétendirent qu'ils n'avaient jamais eu d'autres mobiles que leur conscience et le bien public.

Chaumette, procureur de la Commune de Paris, fut entendu le second. Sa déposition était plus précise que celle de Pache, mais elle ne portait encore que sur des individus et non sur une faction. Brissot, dit-il, s'est toujours opposé aux vœux des hommes qui voulaient le bien de la patric: il était lié avec Lafayette et avec des ministres justement abhorrés. Verguiaud, dans la journée du

10 août, a répondu au tyran qui fuyait devant la colère du peuple. que l'Assemblée respecterait son autorité et mourrait plutôt que de souffrir qu'on lui portât atteinte; dans le décret qu'il présenta pour la déchéance, il affecta la douleur la plus profonde de voir tomber un trône pourri par le crime. Ducos, après le pillage des boutiques d'épicier, a réclamé la liberté d'un domestique anglais, pris en flagrant délit. Valazé a tenu chez lui des conciliabules

nocturnes.

Deschamps-Destournelles, ministre des contributions publiques, déposa contre Carra et contre Vigée. Le premier, selon lui, avait proposé, dans une séance des Jacobins, d'appeler le duc de Brunswick au trône de France; le second avait insulté le maire Pache, dans l'exercice de ses fonctions, peu de jours avant le 31 mai.

Claude-Emmanuel Dopsen, officier municipal, arrêté pendant la nuit, sur un décret de la Commission des douze, se plaignit de la dureté avec laquelle il avait été interrogé par Gardien.

Jacques-René Hébert, substitut du procureur de la Commune de Paris, répéta contre Brissot, Guadet, Vergniaud, Gensonné, Pe tion, Buzot, Barbaroux et quelques autres, toutes les inculpation. qui se trouvaient dans l'acte d'accusation d'Amar. Brissot, selon lui, avait armé l'Europe entière contre la France au moment où les patriotes n'étaient pas en force et manquaient des moyens nécessaires pour se défendre; il avait fait nommer à toutes les places publiques ses créatures, telles que Roland, Clavière et Lamarche.

Cette première audience fut occupée entièrement par les cinq dépositions que nous venons d'analyser. Le lendemain, avant de continuer l'audition des témoins, l'accusateur public donna lecture de plusieurs lettres adressées à leurs départements par les députés Girondins, après les attentats de la Commune sur l'Assemblée conventionnelle. Vergniaud se déclara l'auteur de deux de ces lettres. « J'aurais pu les désavouer, dit-il, parce que l'on n'en produit ici que des copies; mais je les avoue parce qu'elles sont de moi. J'ai dû croire, d'après tous les complots du 10 mars. que notre assassinat tenait au projet de dissoudre la Convention

nationale, et Marat lui-même l'avait écrit le 11 mars. J'ai dû être confirmé dans mon opinion, quand j'ai vu l'acharnement qu'on mettait à faire signer les pétitions qu'on avait présentées contre nous. C'est dans ces circonstances que mon ame s'est brisée de douleur, et que j'ai écrit à mes concitoyens que j'étais sous le couteau. J'ai réclamé contre la tyrannie de Marat; c'est le seul que j'aie nommé ; je respecte l'opinion du peuple, mais enfin, Marat était mon tyran.—Certes, si j'avais eu intention de réaliser ce que j'écrivais, le moment était venu; mais, au contraire, je fis rendre, dans la séance du 31 mai, un décret pour instruire les armées de ce qui s'était passé à Paris. Pénétré d'admiration pour la conduite qu'avaient tenue, dans cette journée, les habitants de cette ville, je fis décréter qu'ils avaient bien mérité de la patrie. Est-ce là la conduite d'un conspirateur? Non, citoyens jurés, vous ne le croirez pas. >>

François Chabot, député à la Convention nationale, déposa ensuite, et occupa la plus grande partie de la séance. Le 27 (6 brumaire), Brissot, Gensonné, Vergniaud, plus particulièrement attaqués par le témoin, réfutèrent ses imputations. Chabot avait dit: <<< Les conspirateurs ont toléré les massacres de septembre pour perdre de réputation les patriotes. Pétion a fait boire les égorgeurs, et Brissot n'a pas voulu qu'on les arrêtât, parce qu'il y avait dans les prisons un de ses ennemis: Morande. » On lut encore deux lettres trouvées dans les papiers de Lacaze, où les agitateurs, et Marat entre autres, étaient dénoncés à la vindicte publique. L'accusateur public fit remarquer aux jurés que Marat ayant été assassiné depuis, il y avait évidemment complicité de la part des Girondins, qui avaient au moins provoqué ce meurtre.

Le 28, Sillery, accusé d'avoir conspiré contre la république avec Dumouriez, pendant qu'il était en mission à l'armée, repoussa faiblement cette inculpation.

Louis Maribond-Montaut, député à l'Assemblée nationale, parla d'une réunion de modérés qui se tenait dans la rue d'Argenteuil, avant le 10 août, et dont la plupart des accusés faisaient partie. Il

assura que Brissot, Isnard et Lasource l'avaient organisée, pour s'opposer à la déchéance du roi et aux insurrections méditées par les patriotes. «< Si Isnard et Lasource avaient pu réussir dans leurs projets, dit-il, la journée du 10 août n'aurait pas eu lieu. » La déposition de Fabre-d'Églantine termina l'audience. Il n'articula aucun fait précis contre les Girondins, mais il parla de l'armoire de fer, et de prétendues soustractions de pièces faites par Roland; il osa leur imputer le vol du garde-meuble. Vergniaud, indigné d'une pareille impudence, se leva vivement et s'écria avec l'accent du dégoût:- Suis-je donc tenu de me justifier de complicité avec des voleurs et des assassins?

Léonard Bourdon et Pierre-Joseph Duhem, députés à la Convention nationale, furent entendus à l'audience du 29. Le premier parla de la répugnance qu'il avait remarquée chez quelques Girondins, pour la journée du 10 août, des intrigues pratiquées par eux en province pour se faire réélire à la Convention nationale, et des illégalités commises par les Douze. Le second renouvela contre les accusés une horrible calomnie, et prétendit que Pétion, Buzot et Gensonné, non-seulement avaient souffert les massacres de septembre, mais avaient en outre encouragé les brigands à poursuivre le cours de leurs crimes. « Quinze coupe-tête, dit-il, << se présentèrent chez Pétion, le 5 septembre, les mains dégou« tantes de sang; ils venaient demander les ordres du maire sur « quatre-vingts prisonniers qui restaient encore à la Force. Pétion « les fit boire, et les congédia en leur disant de faire pour le «< mieux. » L'officier de paix André Sandos, et le juge de paix Arbaletier firent des dépositions insignifiantes. L'accusateur public avait particulièrement accusé Duchastel (des Deux-Sèvres) de s'être concerté avec Pétion et quelques autres Girondins, pour faire assassiner Marat par Charlotte Corday. Duchastel n'avait vu Pétion dans le Calvados, que longtemps après cet événement tragique, et il lui fut facile de réfuter cette inculpation; mais son séjour parmi les députés qui essayèrent de soulever les départements l'avait assez compromis pour lui ôter tout espoir d'acquittement.

Cependant, la Montagne craignait que de plus longs débats ne produisissent une réaction favorable aux Girondins, et qu'ils ne sortissent sains et saufs du procès. Elle fit rendre, par la Convention nationale, un décret qui autorisait le tribunal révolutionnaire à se déclarer suffisamment instruit après trois jours.

A l'ouverture de l'audience du 30, l'accusateur public demanda qu'on donnât connaissance de cette loi aux jurés; ils se retirèrent pour délibérer; le président Antonelle répondit en leur nom, au bout de quelques minutes, qu'ils n'étaient pas encore assez éclairés, et qu'ils désiraient poursuivre les débats. L'interrogatoire de Sillery avait occupé une grande partie de la journée, lorsque Fouquier-Tinville fit suspendre de nouveau l'audience. Cette suspension dura plus de quatre heures, et il est constant que l'on en profita pour agir sur l'esprit des jurés. On leur montra l'unité de la république, la liberté et l'égalité perdues en France, si les Girondins obtenaient un acquittement. A six heures, l'audience fut reprise; à sept le tribunal entrait dans la salle des délibérations, pour résoudre les deux questions suivantes :

« Est-il constant qu'il ait existé une conspiration contre l'unité et l'indivisibilité de la république, contre la liberté et la sûreté du peuple français ?

« Jean-Pierre Brissot, Pierre-Victorin Vergniaud, etc., etc., sont-ils convaincus d'en être les auteurs ou les complices? >>

Ces deux questions furent résolues affirmativement et à l'unanimité, et le tribunal, faisant l'application de la peine, condamna les Vingt et un à périr sur l'échafaud. Les accusés furent ramenés à la barre, et le président leur fit lecture de la déclaration du jury et du jugement qui les envoyait à la mort. Un sourd murmure parcourut aussitôt le groupe des malheureux Girondins. Gensonné prend la parole sur l'application de la peine; quelques paroles flétrissantes furent jetées au tribunal; mais bientôt le calme se fit, et les Vingt et un, après un moment de silence, poussèrent à trois reprises le cri de Vive la république! Le président ordonna aux

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