gendarmes de faire sortir les condamnés: en ce moment, Valazé, tirant un poignard de dessous ses vêtements, s'en perça le sein et tomba, baigné de sang, au milieu de ses amis. Le tribunal délibéra sur cet incident tragique, et ordonna que le cadavre serait porté sur une charrette, le jour de l'exécution, pour être enseveli avec celui des autres condamnés.

Pierre-Victorin Vergniaud fut le Mirabeau de la Législative et de la Convention nationale, le plus grand et le plus énergique de tous les orateurs de ces deux Assemblées. Son éloquence mâle et pure avait ses éclairs et ses foudres, aussi éblouissants que ceux du député de la sénéchaussée d'Aix. Quand il paraissait à la tribune, pour accuser la Montagne ou pour défendre la Gironde, sa vue seule imposait silence à l'auditoire tumultueux. Ses amis fixaient sur lui des regards où se peignaient l'admiration, la reconnaissance et le respect ses ennemis, muets sur leurs bancs, rougissaient tour-à-tour de colère et de honte; puis, oubliant le Girondin pour ne plus voir que l'orateur magnifique, ils l'applaudissaient eux-mêmes, dans un entraînement universel. En relisant les admirables discours de Vergniaud, nous sommes même tentés de le placer au-dessus de Mirabeau, qu'il surpassa d'ailleurs incontestablement en courage. Lorsque le tribun de l'Assemblée nationale accusait Louis XVI, la reine, les gardes-du-corps, tout Versailles, de conspirer la ruine du TiersÉtat, il avait derrière lui une population enthousiaste de la liberté, et prête à s'armer pour renverser la Bastille. Lorsque Vergniaud dénonçait à la tribune les crimes du 2 septembre et les excès de la Commune, les dalles de l'Abbaye et de la Force étaient encore teintes du sang des prisonniers. Mais pourquoi les Girondins eurent-ils le bras moins fort que le cœur? pourquoi l'action ne suivit-elle pas chez eux la parole? Imprudente et inutile vertu, celle qui flétrit le mal, et ne sait pas faire le bien; faiblesse impardonnable de l'homme de génie, qui découvre l'abime où son pays va s'engloutir, et qui ne trouve, pour le sauver du danger, que des cris de détresse! Lorsque, égaré au milieu

de parages inconnus, l'équipage d'un navire demande une terre à l'horizon lointain, un matelot, attentif sur les hunes, interroge les flots et signale l'écueil, dont une écume blanchâtre lui an nonce la présence. Alors un bras vigoureux s'empare du timon, et le navire, doublant le récif menaçant, vogue avec majesté sur cette mer qui allait être son tombeau. Les Girondins signalèrent aussi à la France un écueil terrible, mais aucun d'eux ne fut l'habile timonier capable de nous éloigner du gouffre.

Vergniaud, moins que tout autre, pouvait remplir une pareille mission. Son indolence naturelle, la douceur de son caractère le rendaient impropre aux incessantes luttes d'un chef de parti. Mais s'il sommeillait trop souvent, suivant l'expression d'un contemporain, son réveil était terrible, et c'est dans ces moments sublimes qu'il jeta les merveilleuses improvisations qui l'ont immortalisé.