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Salles et Barbaroux s'embarquèrent dans la rade de Brest et prirent terre au bec d'Ambez après quelques jours de traversée. Le parent de Guadet, qui les avait engagés à se jeter dans la Guienne, était plein de dévouement; mais les espérances qu'il leur avait données ne se réalisèrent pas. Bordeaux s'était soumis aux Montagnards; une de ses sections, dite de Franklin, exerçait une véritable dictature, emprisonnait les suspects, et rendait impossible toute tentative d'insurrection, même dans la campagne. Les représentants du peuple, en mission dans le Midi, s'étaient emparés du fort Trompette et de celui de Blaye. Guadet et Pétion, qui connaissaient les localités, se déguisèrent et pénétrèrent dans la ville, le soir même de leur arrivée, pour juger par eux-mêmes de l'esprit qui y régnait, et des dispositions des habitants. Personne ne voulut les recevoir, tant était grande la terreur inspirée par les mesures énergiques de la Convention. Ils quittèrent alors le bec d'Ambez, et partirent pour Saint-Émilion, où ils furent forcés de se diviser en plusieurs

ciens camarades en faveur de la révolution, dont il avait embrassé avec ardeur les principes démocratiques, quoique riche et noble. Dénoncé pour ce fait au pouvoir, il prit la fuite et songeait à quitter la France, lorsqu'il apprit à Paimbœuf les événements du 14 juillet. Nommé aide-de-camp par Lafayette, il fit cause commune avec les Girondins, et quitta ses fonctions lorsque ceux-ci déclarèrent la guerre au général constitutionnel. Député à la Convention nationale, Valady, qui était un des membres les plus modérés du parti Brissotin, ne vota pas la peine de mort contre Louis XVI; cependant, le lendemain, quelques journaux, en rendant compte de l'appel nominal, imprimèrent son vote en ces termes : « Louis XVI m'a condamné en 1783; en vrai républicain, je le condamne à mort eg 1793. » Il réclama contre cette fausse citation, et répandit avec profusion, sur les murs de la capitale, une affiche pour la démentir. Lorsque Jean-Bon Saint-André l'accusa à la tribune, au sujet de cette démarche, d'avoir excité le peuple à la révolte par une protestation contre le décret qui condamnait Louis XVI à mort, Barbaroux prit sa défense et obtint l'ordre du jour. Réfugié dans le Calvados, Valady accompagna ses collègues dans le département de la Gironde, puis se sépara d'eux et chercha à gagner un asile sûr qu'un de ses amis lui avait offert. Découvert et reconnu dans les bois qui avoisinent Périgueux, il fut conduit devant le commissaire de la Convention en mission dans cette ville, et fusillé dans les vingt-quatre heures. C'est sa qualité d'ancien militaire qui lui valut le triste honneur de périr par les armes. Valady, sans être précisément aussi éloquent que la plupart de ses collègues, possédait comme orateur quelques-unes de ces qualités douces et persuasives qui exercent une certaine influence sur les masses dans les temps de calme et de repos, mais qui se perdent au milieu des agitations révolutionnaires.

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bandes afin d'éveiller moins les soupçons. Barbaroux, Valady et Louvet passèrent d'un côté; Pétion et Buzot de l'autre ; Guadet et Salles se dirigèrent vers les Landes.

Les trois premiers se présentèrent chez un prêtre de Pommerol, qui, sans s'informer de leurs noms, non plus que de leurs opinions, leur dit ces mots simples et touchants : « Vous fuyez, vous vous cachez; vous ne pouvez être que d'honnêtes gens, car ce sont eux qui se cachent et qui fuient dans un temps comme le nôtre.» Contraint de sortir de cet asile au bout de peu de jours, Barbaroux se sépara de Louvet et de Valady. Leurs adieux furent déchirants. «En quelque lieu que tu trouves ma mère, dit Barbaroux à Louvet, tâche de lui tenir lieu de fils. Je te promets de n'avoir aucune ressource que je ne partage avec ta femme si je la rencontre jamais! » Il rejoignit Pétion et Buzot qui avaient été recueillis par le barbier de Saint-Émilion, dont nous avons déjà parlé (1). Nous savons comment périrent ces deux Girondins; quant à Barbaroux, ayant quitté sa retraite à la suite des visites domiciliaires que l'on y pratiquait, il erra longtemps dans les bois, et finit par être reconnu, un jour de fête, par quelques paysans de Saint-Magne. Poursuivi et près d'être atteint sur le bord d'un fossé qu'il ne put franchir à temps, il se tira un coup de pistolet; mais sa main était mal assurée et la blessure ne fut pas mortelle. Conduit à Castillon et de là à Bordeaux, on se borna à constater son identité, avant de l'envoyer au supplice; tous les Girondins fugitifs étaient hors la loi, et on n'avait pas même besoin d'un simulacre de jugement.

Salles et Guadet, arrêtés en même temps à Saint-Émilion, et Biroteau, qui avait cru trouver un asile dans le chef-lieu de la Gironde, furent également traduits devant les commissaires de la Convention, et exécutés dans les vingt-quatre heures. Condorcet (2), caché à Paris chez une femme dévouée, s'était donné

(1) Tom. 1er, pag. 396 et 397.

(2) CONDORCET (Marie-Jean-Antoine-Nicolas Caritat, marquis de). Sa famille était originaire du Dauphiné, où elle possédait le château de Condorcet, auquel elle avait emprunté son nom. Nous ne nous occuperons pas, dans cette courte notice

la mort; et de toute cette brillante cohorte d'hommes de talent et de génie, qui avait essayé de contenir la révolution dans la voie de la modération et de la légalité, un seul, Louvet, survécut pour venir réclamer un jour à la barre de l'Assemblée la réhabilitation de ses infortunés collègues.

Barbaroux périt à peine âgé de vingt-sept ans. Quoique les hommes soient toujours précoces dans les temps de troubles et de révolution, nous ne saurions juger le jeune député de Marseille sur ses travaux politiques si hâtifs et si tôt interrompus. L'Antinous, comme on l'appelait dans les salons de Mme Roland à cause de la beauté de ses formes et de son visage; l'Antinoüs possédait toutes les qualités que l'on attribue généralement aux enfants de la Provence; mais il avait aussi la plupart de leurs défauts. Aimant plus encore son pays natal que la France; vif, bouillant, toujours exagéré dans ses impressions, il se rebutait facilement aux premiers obstacles, et tournait contre ses projets eux-mêmes toute l'ardeur qu'il avait employée d'abord pour les réaliser. Poussant la franchise jusqu'à une sorte de grossière brusquerie, il ignorait le secret, si important aux hommes d'État, de ne laisser deviner qu'une partie de leur pensée; éloquent par la phrase, rarement par l'idée, il apportait dans son style cette redondance particulière aux langues méridionales, et que les Provençaux tiennent de l'idiome roman que

du mathématicien non plus que du philosophe, mais seulement de l'homme politique. Condorcet avait adopté avec enthousiasme les idées démocratiques de 1789. Membre de la municipalité (Comité des subsistances) après la prise de la Bastille, li attira les regards de tous les patriotes, par le zèle qu'il apporta dans l'exercice de ces modestes fonctions. Député à la Convention nationale, il soumit à la nouvelle assemblée un plan de Constitution qui mérita l'approbation d'un grand nombre de ses collègues. Proscrit avec les Girondins, dont il partageait les opinions, il trouva un asile chez une amie, qui le cacha près de huit mois. C'est là qu'il composa son Tableau des Progrès de l'esprit humain. Cependant le gouvernement révolutionnaire avait décrété la peine de mort contre toute personne qui donnerait asile aux suspects. Le généreux Condorcet, craignant de compromettre sa protectrice, quitta sa retraite malgré les.instances de cette femme courageuse. Après avoir erré quelques jours dans les environs de Paris, il fut reconnu et arrêté dans un cabaret de la commune de Clamart. Conduit dans la prison de Viroflay, il s'y donna la mort (28 mars 1794), au moyen d'un poison violent qu'il portait toujours sur lui depuis les journées des 31 mai et 2 juin.

l'on parle encore chez eux. Barbaroux n'était point un homme d'État, ce n'était pas non plus un orateur ni un tribun; il n'eût pas été propre aux méticuleuses fonctions de l'administrateur; il était fort peu légiste; et cependant, si les Girondins fussent demeurés maîtres du champ de bataille, il aurait sans doute jeté un certain éclat, par son aptitude merveilleuse à s'identifier assez promptement avec le milieu dans lequel il se trouvait. C'est ainsi qu'il avait tour-à-tour cultivé, avec succès, la poésie, les sciences, et qu'il joua un rôle assez important parmi les conspirateurs du 10 août et les modérateurs de la Convention.

DE LA

RÉVOLUTION FRANÇAISE.

CUSTINE

(ADAM-PHILIPPE, comte de)

Né à Metz, le 4 février 1740; mort à Paris, sur l'échafaud, le 48 août 1793.

Notre armée du Nord se trouvait dans un état de désorganisation complète après la trahison de Dumouriez. Le général des sans-culottes, nouvellement converti aux idées royalistes, n'avait pas précisément disloqué les troupes placées sous son commandement, afin de faciliter aux alliés le passage de nos frontières. Une pareille accusation a pu avoir quelque créance dans l'esprit public, à l'instant même d'une défection qui mettait le pays à deux doigts de sa perte; elle a pu être répétée par les historiens et les biographes, dont la plume servile a copié sans discerne

TOME II,

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