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DE LA

RÉVOLUTION FRANÇAISE.

MARAT

(JEAN-PAUL),

Mé à Boudry, dans la principauté de Neufchâtel (Suisse) en 1744 assassiné à Paris
le 13 juillet 1793.

Quelques années avant la révolution, vivait à Paris un obscur savant, que les sciences n'avaient point enrichi. Ses connaissances en physique et dans l'art de guérir les hommes étaient assez étendues; mais soit qu'il manquât de protecteurs qui l'épaulassent, soit que son caractère chagrin et le cynisme de son langage éloignassent de lui la bienveillance, toujours est-il qu'il végétait, à peu près inconnu, au milieu de la vaste capitale, où il essayait, sans succès, de se produire. C'est qu'aussi la nature l'avait traité en marâtre. Sa personne chétive et grêle, son corps grotesquement contrefait, sa tête volumineuse, ses traits durs et faux, disposaient

peu en sa faveur ceux avec qui le hasard lui faisait nouer quelques relations. Jean-Paul Marat, c'était son nom, chercha alors à se créer une industrie qui lui permît de pourvoir à ses besoins les plus pressants; il se fit médecin empirique, et vendit aux gens crédules certaines drogues douées, selon lui, des plus efficaces vertus. Il vécut ainsi, tant bien que mal, débitant ses panacées universelles et donnant des leçons de physique et d'optique. Deux ou trois ouvrages qu'il publia (1), et dont il retira quelques profits, améliorèrent un peu sa position, et il obtint enfin une place de médecin dans les écuries du comte d'Artois. 1789 le trouva dans cette condition infime; mécontent de son sort, jaloux de toutes les supériorités, et tout gonflé du fiel qu'il avait lentement amassé au milieu des mille dégoûts de son existence précaire. Marat était une de ces natures incomplètes, qui, douées de puissantes facultés, manquent d'ordre et de logique dans les idées, et sont condamnées à végéter éternellement au plus bas degré de l'échelle sociale, tandis qu'elles sentent en elles un immense désir de suprématie et une soif ardente de pouvoir. Malheureusement pour lui, plus malheureusement encore pour le pays, il arriva qu'un soudain bouleversement arracha tout à coup à l'obscurité cet homme étrange. Un jour, il sortit de sa nuit, il parut sur la scène politique, et tous les honnêtes gens, tous les patriotes reculèrent, pleins de stupeur et d'effroi, à cette apparition. En le voyant, ils devinèrent aussitôt l'affreuse mission que nouveau tribun allait s'attribuer; ils voulurent le faire rentrer dans les ténèbres et dans l'abîme qui l'avaient vomi; mais leurs efforts furent vains, et l'Ami du peuple poursuivit impassiblement le cours de ses vengeances et de ses forfaits.

le

(1) Un essai philosophique, intitulé: De l'homme, ou du principe et des lois; de l'influence de l'ame sur le corps et du corps sur l'ame, et une traduction d'un ouvrage anglais : The chains of Slavery (les chaînes de l'esclavage). Sous l'administration de Roland, ce ministre ayant affecté une somme assez importante à la publication de livres patriotiques, Marat lui demanda un secours d'argent pour Réimprimer les Chaines de l'esclavage. Roland le lui refusa, et ce fut un des principaux motifs de la haine que voua l'Ami du peuple à cet homme intègre,

Marat comprit que son jour était était venu, lorsqu'il vit les passions populaires déborder de toutes parts et franchir d'un seul bond les barrières qui les avaient enchaînées jusqu'alors. D'abord timide et pusillanime, il se montra dans quelques-unes des nombreuses sociétés démocratiques qui se formèrent dès l'ouverture des États-Généraux ; mais s'enhardissant à mesure que la révolution se développait, il jeta tout à coup le masque qui avait recouvert jusqu'alors ses traits repoussants, et il lança, au milieu de la mêlée, un cartel de mort à tout ce qu'il y avait de grand, de généreux, de loyal dans l'Assemblée constituante. Ce cartel, ce fut l'Ami du peuple; un effrayant pamphlet, où l'écrivain, dédaignant le style, les formes, foulant aux pieds la pudeur et affichant un cynisme inconnu avant lui, dénonça une moitié de la France à l'autre moitié, et demanda qu'une épouvantable hécatombe de deux cent soixante mille têtes fût sacrifiée sur l'autel d'une divinité barbare, qu'il osait appeler la Liberté. Marat fut dénoncé à l'Assemblée constituante. Lafayette, Malouet, la municipalité de Paris, présidée encore par le vertueux Bailly, tous les constitutionnels jetèrent un long cri d'effroi; l'Ami du peuple fut désigné du haut de la tribune nationale à l'indignation publique; on investit sa demeure pour le livrer aux tribunaux et pour étouffer le monstre, faible encore. Mais il se déroba par la fuite à la vindicte des lois. Une comédienne, un prêtre, un boucher lui accordèrent un asile; Bassal, curé à Versailles, le recueillit quelque temps; Mile Fleury, du Théâtre-Français, le reçut chez elle; Legendre le cacha dans une cave, Danton l'ensevelit enfin dans les souterrains du couvent des Cordeliers, transformé en club, et Marat échappa ainsi à toutes les recherches.

Cependant la populace, les clubs et les carrefours, toute la plèbe sans instruction, s'étaient émus en apprenant les poursuites dirigées contre l'Ami du peuple. Sa popularité, son audace et ses dénonciations journalières s'en accrurent d'autant. Du fond du souterrain où il a été forcé de se retirer, comme une bête fauve traquée par des chasseurs infatigables, Marat lance sans relâche

TONE 11.

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