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paroles, il convient de remonter un peu plus haut et d'entrer dans quelques détails au sujet des démêlés du Prélat avec le parlement de Nancy. En1754, les curés de cette ville s'étaient plaints à l'Évêque de ce que les ecclésiastiques réguliers s'étaient mis en possession de confesser les malades des paroisses, sans en avoir reçu la permission des pasteurs, et de ce qu'ils faisaient faire la première communion aux enfans que ceux-ci avaient refusés. M. Drouas publia une ordonnance, datée de Nancy, le 26 août de la même année, par laquelle il défendait à l'avenir le retour de pareils abus, et la fit suivre d'une lettre explicative. Cette ordonnance, conforme aux anciens statuts du diocèse, souleva cependant contre le Prélat une foule d'ennemis, et la cour souveraine rendit un arrêt qui l'annullait ainsi que la lettre. Le Procureur-général, dit l'abbé Villemin, auteur de la Vie manuscrite de M. Drouas, fut mandé pour faire mettre l'arrêt à exécution; mais il déclara aux chambres assemblées, que la conduite de M. l'évêque de Toul étant approuvée du roi de Pologne et de son ministre, il ne pouvait faire exécuter l'arrêt ; et qu'en sa qualité, il dénonçait les ordres de son souverain et de son chancelier, pour que la Cour ne se mêlât point de cette affaire. Ce ton ferme intimida les magistrats ; ils rendirent un second arrêt qui sursoyait à l'exécution du premier, et ils décidèrent qu'il serait fait des remontrances au Roi. »

Ce Prince convoqua, au château de la Malgrange, les supérieurs réguliers, et là ils souscrivirent tous à l'ordonnance de l'Évêque. Un mois après, le conseil du Roi cassa les deux arrêts de la cour souveraine, et ordonna qu'ils seraient rayés et biffés en leurs minutes, ce qui fut exécuté par le Procureur-général. Cependant des remontrances ayant été présentées à sa majesté le 2 janvier 1755, le Roi déclara dans sa réponse la cour incompétente pour prononcer dans cette matière; iljustifia pleinement l'ordonnance, et manifesta l'intention qu'à l'avenir son parlement ne prononçât aucun jugement dans les matières ecclésiastiques, avant de lui en avoir rendu compte, et qu'il ait déclaré sa volonté. Le 19 du même mois, l'ordonnance et la lettre explicative furent publiées au prône des paroisses; mais il paraît que cette publication que le Roi lui-même avait exigée, n'était que pour la forme, M. de Toul étant dès-lors déterminé à ne pas en presser l'exécution. Tout eût été fini, si la cour souveraine eût eu la même modération; mais elle souleva de nouveau les esprits en faisant imprimer ses remontrances. Le Roien fut indigné et rendit unarrêt en son conseil, le 14 février, par lequel il renouvelait les défenses portées dans sa réponse, de prononcer aucun jugement en matière de religion et de police générale, avant de l'avoir préalablement informé de ce qui pourrait y donner lieu, et de publier aucune remontrance par voie d'impression ou au

trement. Le 19 cet arrêt fut mis sur le bureau de la Grande-Chambre, avec un lettre de jussion qui ordonnait de l'enregistrer et de s'y conformer.

La Cour ne se rendit pas; elle détermina de nouvelles remontrances, et résolut d'envoyer l'arrêt à tous les ministres de France, comme contraire à la déclaration du Roi, qui confiait l'exemption des ordonnances à ses parlemens. Cette démarche irrita Stanislas au dernier point, et déjà il était question de casser la cour et d'en exiler les membres comme rebelles à l'autorité du souverain, lorsque M. Drouas, effrayé de tant de troubles dont il était l'innocente occasion, écrivit au Roi la lettre suivante: Je viens d'apprendre, Sire, que

votre cour souveraine est maintenant plongée ⚫ dans la douleur par l'arrêt foudroyant que Votre › Majesté vient de rendre.

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. Un évêque, Sire, ne doit pas jouir d'une pareille victoire: celles de cette espèce doivent plu⚫ tôt lui coûter des larmes, et si j'étais assez heureux pour avoir déjà mérité quelque chose auprès de V. M., j'oserais la supplier de retirer un arrêt qui jette dans l'affliction et le trouble une cour respectable à vos sujets, et qui a toujours servi ses maîtres avec autant de zèle que » de fidélité.

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» Prêt à me sacrifier au repos et à la tranquil■lité publique, je ne puis m'empêcher de supplier V. M. de me donner la satisfaction de con-

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› tribuer à la rétablir. Cette démarche, Sire, › m'est dictée par la religion, par mon devoir de pasteur, et par l'attachement plein de respect dont je suis pénétré pour V. M. J'ajouterai, Sire, que depuis le commencement de cette grande querelle, tels ont été mes sentimens; tous ceux qui tendent à la discorde me sont aussi étrangers qu'odieux.

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» Votre cour souveraine, Sire, connaîtra tôt ou tard la bonté de ma cause et me rendra justice. J'ose même espérer des bontés de V. M. et » de l'esprit supérieur du gouvernement qui dirige toutes ses actions, qu'elle daignera elle› même travailler à rapprocher les esprits. La très ⚫ humble prière que je prends la liberté de lui faire, est, Sire, un nouveau gage de mon amour ‣ pour la paix. Puisse cette démarche faire naî> tre dans vos magistrats des dispositions que j'ose » dire que je mérite de leur part, et avec lesquelles » il serait si doux, si facile et si honorable de se> conder les vues de V. M. »

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Le Roi répondit à cette lettre le 3 mars suivant: il loue la douceur et la charité de l'Évêque; mais en même tems il lui déclare qu'il ne souffrira pas que la tranquillité de son règne soit troublée par les entreprises de son parlement; qu'il est déterminé à maintenir son autorité, et qu'il ne peut retirer son arrêt.

Le 16 du même mois il fut enregistré par le Pro

cureur général, malgré la réclamation du Parlement, qui protesta contre cet enregistrement. « Ces contestations durèrent jusqu'au mois de juin, pendant lequel tems, la cour souveraine essuya beaucoup de mortifications. Enfin le combat cessa plutôt par la lassitude des combattans, que par la défaite des vaincus. Le Parlement, abandonné des ministres de France qui n'avaient fait aucune réponse à ses sollicitations, et craignant d'être un jour victime de l'indignation du Roi, mit fin à ces arrêtés; Stanislas ennuyé et fatigué de tant de résistances, reçut bien le premier président, qui était venu lui témoigner le désir que son parlement avait de recouvrer ses bonnes graces; M. de Toul avait déjà abandonné son ordonnance; ainsi cette grande contestation sur un objet qui ne devait pas en faire naître, aboutit à rendre les Réguliers plus hardis, les Jansénistes plus audacieux, le le peuple prévenu contre son évêque. 1»

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Nous avons rapporté cette affaire un peu au long, afin de faire mieux connaître le caractère à la fois juste et conciliant de M. Drouas, et les dispositions de la cour souveraine à son égard.

Un des actes les plus considérables de ce Prélat, et celui qui devait surtout perpétuer sa mémoire dans la ville de Toul, ce fut la fondation du collége Saint-Claude. Cependant dès qu'il fit connaître

Vie manuscrite de M. Drouas, par l'abbé Villemin.

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