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mitié ne cessa de régner dès lors entre eux et la bourgeoisie, jusqu'à ce qu'ils eurent disparu devant le fléau révolutionnaire 1.

' Un grand nombre de chansons et d'épigrammes furent composés sur le Chapitre anobli et décoré. Charles-François Bicquilley, de Toul, ancien garde-du-corps du Roi, et mathématicien distingué, composa un poème héroï-comique en huit chants, intitulé La Croisade, dans lequel brille beaucoup d'esprit, mais où règne un peu trop de fiel. Le sujet de ce poème est l'histoire de l'anoblissement et de la décoration des chanoines. Nous en citerons deux morceaux:

La Vanité, sous la figure d'une déesse, apparaît au doyen du Chapitre, et lui parle en ces termes :

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Mon cher abbé, car je vous crois un homme
De bon esprit, de résolution.

Sans vous flatter, je vous dirai bien comme
De votre Église on peut hausser le ton,

Et l'égaler à la Collégiale,

Qui de Saint-Dié fait le plus beau fleuron,
Peut-être même à la Primatiale.

Vous savez bien que de l'épiscopat,

Messieurs Sabran et de la Galaisière

Sont fort jaloux; que le Roi, pour leur faire
Deux évêchés, va démembrer l'état

De Champorcin; mais qu'il n'en peut distraire
Ces portions sans l'aveu du Prélat,

Et ni sans que le Chapitre y consente;
Que le public s'en trouve mal ou bien,
Peu nous importe, il est compté pour rien;
Tout est au mieux quand l'Église est contente.

Déjà nous atteignons l'époque de fermentation générale qui précéda les troubles civils de la France.

Voici les jours au traité destinés.
Voyez l'Évêque ainsi que le Chapitre;

Vous les menez, comme on sait, par le nez :
De votre sort vous voilà donc l'arbitre.
Gardez-vous bien de signer les accords,
Qu'auparavant d'une croix pectorale,
Comme messieurs de la Primatiale,
Sa Majesté n'ait orné votre corps,
Et réservé pour la seule noblesse
Ces dignités qu'on a jusqu'à présent
Abandonnées sans choix, sans jugement,
A la doctrine, aux mœurs, à la sagesse ;
C'est un grand point, mais vous réussirez;
Tous vos Toulois seront désespérés.
C'est bien alors qu'ils pourront reconnaître
Votre crédit et ce que vous valez.

Le prébendier, tranchant du petit-maître,
Semblera dire aux bourgeois désolés:

« Je suis chanoine et vous ne pouvez l'être. »

Chant 2o.

Début du chant huitième.

<< Au bon vieux tems, sous l'aigle germanique,

Un vieil honneur gouvernait la cité;

Le vrai courage et la simplicité

Entretenaient dans cette ville antique
L'indépendance avec l'égalité.

De citoyen le titre respectable
Donnait le droit aux rangs, aux dignitės;
On préférait toujours le plus capable;
Les magistrats étaient tous respectés ;

Les notables venaient d'être convoqués à Versailles,

et,

dans toutes les parties du royaume, on formast

Le citadin, au combat redoutable,

En soutenant l'honneur du nom Toulois,
Content, heureux, n'obéissait qu'aux lois.
La sainteté régnait parmi nos prêtres,
La foi, les mœurs chez nos loyaux ancêtres;
Ainsi, dit-on, nous vivions autrefois.
Mais aujourd'hui cela n'est plus de mise.
Les Pillement sont, depuis deux cents ans,
Sous la cuirasse, au barreau, dans l'Église,.
Considérés et fort honnêtes gens;

Malgré cela, faute de meilleur titre,
Les voilà tous chassés de ce Chapitre
Qui de leur nom s'est honoré long-tems.
Trente gredins en rabats et jaquettes,
De Léopold portant les savonnettes,
Viennent leur dire : « Allez, fuyez, manans,
» Et faites place à ces illustres frères,

>> Fils et neveux des laquais de vos pères. »
Que faut-il donc, Messieurs, pour être admis
Au grand honneur d'être votre confrère,

Dans une stalle à vos côtés assis ?

Il faut avoir ce brillant caractère
Qui d'un vilain fait un noble nouveau,..
Heureux baptême, effaçant de son eau
Du citoyen la tache originaire.
Il faut avoir un écusson timbré

A vec supports sur son cachet gravé;
Il faut montrer des lettres de noblesse,
Ou bien avoir reçu de père en fils

des assemblées, on rédigeait des mémoires, on discutait les moyens de détruire les abus existans et de parer à la détresse du Trésor; le Tiers-État en particulier, soulevant hautement la tête, faisait surtout entendre sa voix; il parlait d'abolition des priviléges, d'extension de ses droits, et aspirait à faire établir sur une large base les fondemens de la liberté. Toutes les villes, les bourgades même, prirent part à ce mouvement en avant, qui ouvrit la grande époque de 89. Les assemblées provinciales dressèrent leurs cahiers, y exprimèrent leurs vœux, donnèrent leurs avis sur la tenue annoncée des États-Généraux et sur le mode de représentation le plus convenable.

La ville de Toul, dans ces circonstances, assembla son antique curie, ses Quarante, et les hautes questions à l'ordre du jour y furent longuement

Des parchemins rongés par les souris,

Qui prouvent bien, non que par leurs prouesses,
Et leurs vertus et leurs rares talens
Ils ont rempli des postes éminens,
Fait le salut, l'honneur de la patrie;
Mais qu'ils ont pris titre de seigneurie,
De chevalier, baron, comte, écuyer.
Avec cela fussiez-vous usurier,
Perfide ami, fils ingrat, mauvais frère,
Désœuvré, lâche, inhabile à tout faire,
Vertus, savoir sont ici superflus :

Vous êtes noble, il ne faut rien de plus.

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discutées. Mais avant même qu'il s'agît de nommer les députés aux États, une prétention ou plutôt un droit que cette cité considérait comme à elle propre, souleva dans son sein plus d'un orage. Elle ne voulut admettre dans ses délibérations aucun noble ni aucun ecclésiastique, en tant qu'ils y figureraient comme les représentans de leur ordre. « Nous soutenons, disaient les officiers municipaux, que la distinction des trois ordres dans la cité de Toul, dans sa municipalité ou dans ses comices, serait à la fois une substitution de l'esprit particulier à l'esprit public, de la complication à la simplicité, de la discorde à l'union, des passions à la sagesse, d'un faux système de règle générale aux véritables intérêts du pays.

La constitution actuelle de la cité de Toul est une, simple, mue par un seul et unique intérêt qui est celui de tous. Les contestations de vanité furent toujours inconnues dans l'assemblée des Quarante. Ses comices n'offrent pas un seul exemple de dispute sur la préséance. Les questions de rang y sont indifférentes ou étrangères. Le noble, le bourgeois, le magistrat, le militaire, le commerçant, unis par le titre commun de citoyen, s'accordent à justifier l'honorable choix de leur patrie.

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Supposons que le clergé de Toul soit agrégé à la cité. De ce moment il existerait dans cette cité, ainsi que dans les assemblées comiciales et municipales, deux esprits tout-à-fait différens, deux

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