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pièces d'un vin exquis. Le prince et son épouse, touchés de ces marques d'affection, allèrent en personne remercier le doyen des chanoines et le Maître-Échevin de la Cité.

Lors du mariage d'Anne de Lorraine avec le prince d'Orange, son père, le duc Antoine, envoya un gentilhomme de sa cour en faire part au Chapitre, et celui-ci, pour témoigner sa reconnaissance de cette démarche, députa un des siens au duc de Lorraine, pour le complimenter et pour offrir en même tems à la Princesse une bourse de deux cents écus d'or.

Ces fréquentes libéralités du Chapitre ne surprennent pas lorsqu'on se rappelle la richesse territoriale de ce corps qui était seigneur de plus de vingt villages, et qui avait tant d'intérêt à se maintenir en bonne intelligence avec les princes voisins, afin de conserver à ses domaines leur continuelle protection. Et néanmoins l'avarice paraît avoir été long-tems la tache honteuse du plus grand nombre de ses membres, malgré l'abondance de biens temporels dont ils jouissaient. Dans le cours des quinzième et seizième siècles, les chanoines ne se contentaient plus du produit de leurs prébendes, qui dépassaient cependant quatre mille francs de notre monnaie; ils s'appropriaient le revenu de certaines cures, et faisaient administrer celles-ci par des prêtres pauvres et ignorans auxquels ils n'en laissaient que le casuel. Quelques

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uns possédaient jusqu'à huit cures en même tems. Il fallait que cette conduite des chanoines fût bien scandaleuse et bien indigne, pour que le père Benoît, qui écrivait sous les yeux de leurs successeurs, lui d'ordinaire si timide et si réservé, n'ait pas craint de flétrir les premiers par ces paroles où respire enfin l'indépendance de l'historien: «Tel était le désordre du diocèse, où l'ignorance triomphait dans la plupart des ministres de l'Église. L'histoire ne fait nul scrupule d'en attribuer la faute aux chanoines qui, peu contens du revenu de leurs prébendes, le grossissaient par des voies si injustes et si opposées à l'ancienne discipline. On voyait dans ces tems fâcheux un chanome posséder sept ou huit cures, s'engraisser des aumônes des fidèles, et n'en laisser que les miettes à des prêtres igno

rans I. »

L'évêque Pélegrin voulut apporter un remède à ces scandales, mais ses efforts ne furent couronnés d'aucun succès; le Chapitre réclama près de la cour de Rome, et celle-ci eut la faiblesse, sinon d'approuver, au moins de tolérer ces déplorables abus. Un peu après, le même prélat, qui avait à cœur de redresser les mœurs relâchées de son clergé, publia à cet effet des statuts, et donna mandement de les exécuter dans tout son diocèse. La plupart des ecclésiastiques qui se voyaient ainsi som

Hist. de Toul, p. 624.

més d'amender leur conduite, refusèrent de recevoir ces statuts, y formèrent opposition, et portèrent leur appel au Pape. Pélegrin, blessé par cette démarche outrageante pour lui, et indigné de la corruption tenace de son clergé, perdit courage, renonça à son évêché, et alla se retirer en Provence, où il mourut vers la fin de l'année 1542.

L'hérésie de Luther se répandait alors comme une lave sur toute l'Allemagne, et menaçait d'envahir la Lorraine et l'évêché de Toul. Le cardinal Jean, qui venait de rentrer pour la troisième fois en possession de ce dernier siége, envoya un inquisiteur dans son diocèse qui fit mettre en prison tous ceux qui étaient convaincus d'hérésie ; qui n'épargna ni les scandaleux, ni les pécheurs publics, et dont la sévérité rendit sages les libertins, dissipa les hérétiques et rendit la tranquillité aux honnêtes gens 1. »

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Le Cardinal-Évêque aurait pu obtenir peut-être un résultat aussi heureux, et par un moyen autrement en rapport avec l'esprit et la tolérance de l'Évangile, s'il avait contraint son clergé à réformer ses mœurs, et s'il avait donné lui-même l'exemple des vertus apostoliques.

'Hist. de Toul. p. 625.

TOUSSAINT D'HOCEDY,

SOIXANTE-SEIZIÈME ÉVÊQUE.

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(1543.) Né à Valenciennes et fils d'un magistrat de cette ville, Toussaint d'Hocedy, après avoir fait ses études à Louvain, partit pour Rome dans l'espérance d'y rencontrer la fortune. Son esprit naturel et son instruction le firent remarquer du cardinal de Lorraine, qui le prit à son service et qui le choisit pour son secrétaire. Il l'employa dans diverses négociations tant en Allemagne qu'en Espagne, et le recommanda au duc Antoine, son frère, qui, ayant eu l'occasion lui-même de mettre plusieurs fois à l'épreuve les talens diplomatiques de son jeune protégé, le nomma maître des requêtes de son palais. Telle était la position d'Hocedy dans le monde, lorsqu'il embrassa l'état ecclésiastique. Antoine de Pélegrin étant mort, Jean de Lorraine résigna une troisième fois son évêché de Toul en faveur de son ancien secrétaire, ayant soin de stipuler les réserves faites aux deux précédens évêques. Hocedy fut préconisé à Rome le 9 février 1543, et fit son entrée dans Toul le 4 juin de l'année suivante.,

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La cérémonie d'intronisation, ordinairement si solennelle, ne se distingua alors que par la solitude et la tristesse. Aucun membre de la magistrature bourgeoise ni même du Chapitre ne se présenta à la porte de la ville pour recevoir le Prélat, qui se rendit, monté sur un cheval et sans suite, jusque devant la Cathédrale, où il entra pour prêter le serment d'usage. Le refus des honneurs ordinaires en pareille circonstance venait de ce que les chanoines et les bourgeois considéraient comme un affront de la part du Cardinal, de leur avoir donné son secrétaire pour évêque, tandis que depuis de longues années, ils n'avaient eu pour prélats que des hommes sortis de familles princières, ou revêtus, avant leur promotion, de dignités éminentes. La vanité blessée du Chapitre et de la bourgeoisie fut cause d'une profonde mésintelligence entre eux et l'Évêque, pendant toute la durée de l'épiscopat de ce dernier.

A peine Hocedy était-il installé sur son siége, qu'il reçut de Charles-Quint, qui venait d'arriver à Metz, une lettre par laquelle il lui notifiait que la diète de Spire l'avait taxé en sa qualité de prince de l'Empire, comme évêque et comte de Toul, ville impériale, à la somme de trois mille florins, pour sa quote-part dans l'impôt du landsfrid. La même diète avait fixé la contribution à la charge de la ville de Toul, pour le même objet, à deux mille florins par trois mois; mais les magistrats récla

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