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l'étude comparative, qui va suivre, de leurs doctrines et de leurs organisations respectives. Nous aurons à suivre leurs développements et leurs transformations successives, à saisir leurs tendances, leurs rapports et leurs secrètes affinités. Nous tâcherons surtout de découvrir le principe générateur, qui les anime toutes, dans leur marche progressive dans le temps et l'espace, et de déduire de leurs rapports avec ce principe ou de la somme relative d'évolutions, que chacune d'elles lui a fait subir, le rang et le rôle que chacune occupe dans le travail d'édification mystique de l'Eglise d'Orient.

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La première théologie, dont les monuments se laissent entrevoir à travers la brume des temps, est celle des Indes. Cette théologie remonte aux âges les plus reculés de l'espèce humaine. Ses livres les plus anciens sont les Védas et le Code de Manou; et longtemps avant Jésus-Christ elle était divisée en trois branches, savoir: le Brahmanisme proprement dit, ou religion de Brahma, le Vichnouïsme ou religion de Vichnou, incarnation de Brahma, et le Sivaïsme ou religion de Siva, autre incarnation de Brahma. Ces deux dernières branches se rattachent aux doctrines plus récentes des Pouranas. A l'une de ces branches, celle de Vichnou, se rattachent les diverses incarnations, dont les plus importantes sont celle de Krichna, l'un des réformateurs du Brahmanisme, qui a pour Livre le Mahabharata, et celle de Boudd'ha ou Chakia-mouni, le plus grand réformateur du Brahmanisme. Toutefois, comme la religion de Boudd'ha, ainsi que nous l'avons déjà dit, se détache presque radicalement de l'antique brahmanisme et en diffère par des points essentiels, nous devons la considérer comme une théologie sui generis et la classer à part.

Nous avons à examiner dans ce paragraphe l'antique Brahmanisme, le Vichnouïsme, avec sa dérivée, la doctrine de Krichna, et le Sivaïsme, qui tous trois forment encore aujourd'hui les religions dominantes de l'Inde et se manifestent d'une manière distincte l'un de l'autre, quoique mêlés ensemble sous bien des rapports. Chacune de ces religions a donné naissance à une hiérarchie et à une organisation religieuse, spéciales et distinctes. Néanmoins, comme les trois religions ont une origine et une filiation communes, qu'un fond commun d'idées se retrouve dans toutes les trois et que dans les temps modernes elles se sont soudées ensemble à bien des égards, nous ne ferons pas une analyse séparée de chacune d'elles. Ce que nous dirons du Brahmanisme en général, devra être considéré comme concernant ses trois branches principales. Nous ferons seulement remarquer, en passant, ce qui sera plus particulier à l'une ou à l'autre de ces branches et leurs différences respectives.

C'est à tort que l'on a vu uniquement le panthéisme confus dans la théologie brahmanique. Il n'existe peut-être pas de théologie qui se compose d'une réunion plus complète des divers systèmes ontologiques que celle de Brahmanes. Prise dans l'ensemble de ses monuments, elle présenterait l'une des conceptions les plus intégrales de la divinité, si elle n'était pas surchargée d'exagérations et obscurcie par de nombreuses incohérences. Mais il faut dégager le métal de la pierre brute, il faut découvrir les paillettes cachées çà et là, il faut réunir ces parcelles, pour en composer le vase sacré. En cherchant avec soin et avec minutie, l'on est sûr de trouver dans les monuments de la littérature sanscrite tous les éléments nécessaires à l'édification d'un système théologique, complet, sinon parfait.

D'abord l'on peut y découvrir le panthéisme confus, ou par confusion des êtres en Dieu, à côté du panthéisme diffus, ou par dispersion de Dieu dans les êtres; l'on peut y apercevoir aussi le germe du panthéisme harmonique, ou le principe de la distinction des êtres dans l'unité de Dieu. L'on y voit, en second lieu, le polythéisme le le plus brillant et le plus ingénieux, rallié à ce panthéisme. L'on y voit ensuite le trinithéisme, ou l'idée de la trinité se détacher de ce panthéisme polythéiste ou de ce polythéisme panthéistique. Le dualisme y apparaît aussi, quoique d'une manière moins tranchée que les autres principes. Enfin le monothéisme, avec son idée du Dieu un, créateur, vivificateur, infini, tout-puissant, distinct des créa

tures, y apparaît avec éclat à côté du panthéisme polythéiste et trinithéiste.

Sans doute, qu'à considérer isolément tel ou tel monument de la littérature sanscrite, l'on n'y retrouve pas cette réunion de systèmes divers; l'on y trouvera même des exagérations choquantes, des défectuosités ténébreuses. Mais il faut complèter et corriger ces diverses traditions les unes par les autres. Dans l'une, on trouvera tel fragment, dans l'autre, tel autre fragment; ici l'on verra combinés et mélangés plusieurs fragments; là on apercevra une vue d'ensemble de tous. Ce serait un beau travail que ce syncrétisme des doctrines brahmaniques. Le cadre de cette publication ne nous permet que d'en présenter quelques aperçus, que de faire quelques éclaircies, dans cette immense forêt vierge, à la faveur desquelles pourra se découvrir le magnifique horizon qu'elle embrasse.

I. MONOTHEISME BRAHMANIQUE.

L'on s'accorde de nos jours à considérer la dogmatique des Vedas comme fort éloignée du panthéisme absolu et exclusif dans lequel on a généralement cherché à envelopper la théologie brahmanique; car celle-ci admet un seul Dieu, principe créateur et créant, et considère la nature comme quelque chose de vivant et de réel.

Suivant la compilation du savant Brahmane Rama-Mohan-Raë, sur les Vedas et les Vedanta (Calcutta 1816), les pratiques superstitieuses qui déforment la religion brahmanique n'ont rien de commun avec l'esprit pur de ses enseignements. « Le Veda déclare ainsi l'Etre suprême: Celui de qui l'univers procède, qui est le souverain de l'univers et dont l'œuvre est l'univers, celui-là est l'Etre suprême....... Ce n'est pas la nature qui peut être désignée par les textes suivants du Véda comme la cause indépendante du monde, savoir: l'homme ayant connu cette nature, qui est un Etre éternel, sans commencement et sans fin, et délivré de l'atteinte de la mort; parce que le Veda affirme que aucun être n'est égal ou supérieur à Dieu. Et le Veda dit: Connais Dieu seul; et le Vedanta (1) s'exprime ainsi : La nature n'est pas le créateur du monde et elle n'est pas représentée ainsi par le Veda; car il dit expressément : Dieu de son regard a créé l'univers....

(1) Commentaire officiel du Veda.

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Par le texte qui commence avec la sentence suivante: celui-ci est le soleil, et par plusieurs autres affirmant la dignité du soleil, ce dernier n'est pas supposé la cause primordiale de l'univers; parce que le Veda déclare que: LUI, qui réside dans le soleil (comme son seigneur), est tout distinct du soleil ; et le Vedanta fait la même distinction.... Les passages suivants du Veda affirment que Dieu est le seul objet du culte, savoir: Adore Dieu seul. Connais Dieu seul. Rejette tout autre discours. Et le Vedanta dit: On trouve dans les Vedas qu'il n'y a que l'Etre suprême qui doive être honoré d'un culte; nul autre, excepté lui, ne doit être adoré par un homme sage. »

Les hymnes des Vedas contiennent d'ailleurs, sur l'existence de Dieu, avant, pendant et après la création, des pensées magnifiques, qui peuvent être considérées comme des fragments de la Révélation universelle. En voici quelques unes, que nous avons tirées du beau travail de M. de Lamartine (Entretien III, Cours de littérature).

« Alors rien n'existait, ni néant, ni être, ni monde, ni espace, ni éther, il n'y avait point de mort; il n'y avait point d'immortalité; il n'y avait ni lumière, ni ténèbres. Mais la création future reposait sur le vide. Glorifier Dieu fut le désir de naître pour le premier germe de la création.... »

< Cependant il y avait Lui, il y avait Dieu; lui seul existait sans respirer; il était absorbé en lui-même, dans la solitude de sa propre pensée, de sa pensée tournée en-dedans de lui, pour jouir de la contemplation de Lui-même. Il n'y avait rien en-dehors de Lui, rien autour de Lui; il n'y avait que Lui avec Lui »

« C'est ainsi que les sages, méditant dans leur cœur et dans leur entendement, ont expliqué le passage du néant à l'Être; mais Lui, Dieu, quelle autre source peut-il avoir que Lui-même ? Lui seul peut savoir si cela est ainsi ou si cela est autrement. >>

Cet hymne place donc Dieu au-delà du néant et au-delà de l'existence, l'opposé de celui-ci, et il fait entrer le néant et l'existence dans le sein de Dieu-même, ou plutôt il les fait découler de Dieu, comme de leur source, comme l'effet de sa cause. Il jette ainsi déjà quelque lueur sur l'état de Dieu, antérieur au néant et à la création.

Un autre hymne nous donne quelque lueur sur le second état de Dieu, que la théologie mazdéenne appellera la Parole, le récipient des êtres, des germes purs, et que la théologie catholique appellera le Verbe de Dieu, le Seigneur du monde.

Il naissait à peine de Lui-même et déjà il était le seul, maître des mondes créés par Lui; Il remplit le ciel et la terre: à quel autre Dieu offrirons-nous l'holocauste? »

Le monde ne respire et ne voit qu'en Lui..... >

« C'est lui que le ciel et la terre, soutenus par son Esprit, frémissent du désir de voir, quand le soleil, dans sa splendeur, surgit à l'Orient.... »

« C'est Lui, qui, parmi tous les dieux, a toujours été le vrai Dieu, le Dieu suprême.... »

Le monothéisme, avec son idée de l'être invisible, maître, souverain, principe et créateur de toutes choses, se retrouve d'ailleurs dans presque tous les livres sacrés de l'Inde, dans l'Ouppanayana, dans le Mahabharata, dans le Schaster, dans le Ramayana, aussi bien que dans les Pouranas et les Vedas. Ce dogme y apparaît au milieu du dogme panthéiste, qu'il limite et préserve de la confusion absolue ou de la diffusion absolue des êtres. Le Derin-Schaster proclame ce dogme, en réduisant tous les récits, qui semblent contraires à l'unité de Dieu, à des manifestations particulières de la Providence, pour obtenir quelque grande fin. « Dieu, dit-il, peut, dans le même temps, se montrer dans mille endroits différents, sous mille noms et mille formes, sans cesser d'être immuable dans son essence divine. (Premier chap. du Derin-Schaster.) Le Bhagat-Gita (livre Iv) met dans la bouche de Brahma, Siva et Vichnou, les paroles suivantes : « Il n'existe entre nous aucune différence. Un seul être est, à la fois, le créateur, le conservateur et le destructeur. L'adorer sous l'une de ces trois formes, c'est lui rendre hommage sous toutes trois. » Voilà bien le monothéisme concilié avec le trinithéisme. Entre cette doctrine et celle de l'unité et de la consubstantialité des Trois Personnes de la trinité catholique, quelle grande différence ?

Un autre passage du même livre met dans la bouche de Krichna une conception de Dieu, qui se rapproche beaucoup de la conception hébraïque. « Je suis celui qui tire les êtres du néant et qui les y fais rentrer. Je suis la mort et l'immortalité. Je suis l'Être. »

Ailleurs, il dit de Dieu : « C'est celui qui n'a ni commencement ni fin, et qui ne peut être appelé ni la vie, ni la mort; car il est au-dessus et en-dehors de la vie et de la mort. Il est tous mains et pieds, il est tout visage, toute tête, tout œil et toute oreille.... Il est le résumé de toutes les facultés, de tous les organes; sans être incorporé dans

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