Page images
PDF
EPUB

nécessairement repris par un autre peuple, élu par le Seigneur. Notre jugement est du reste appuyé par une autorité qu'on ne peut pas suspecter de mauvais vouloir pour le peuple et l'Eglise russes. « Quand on examine, dit M. de Haxthaussen, les idées fondamentales des sectes modernes (de la Russie) et qu'on étudie attentivement les tendances secrètes, n'est-il pas possible de croire qu'elles donneraient lieu à une transformation de l'Eglise orthodoxe ?.... Si l'Eglise orientale..... ne développe pas bientôt sa théologie et tarde plus longtemps à donner au peuple la paix de l'âme..... elle sera entraînée par les tendances spéculatives qui germent au fond de ces hérésies et finira par en recevoir de sérieuses atteintes. C'est, selon toute probabilité, le sort qui lui est réservé prochainement en Grèce, alors que la culture moderne y sera plus répandue, événement que les missionnaires américains ont déjà préparé. En Russie, cette réforme n'est ni aussi facile, ni aussi prochaine; car l'Eglise s'y est complètement identifiée avec le peuple; et si, d'un côté, elle semble avoir négligé su tendance à l'universalité, de l'autre, elle a revêtu un caractère exclusivement national, qui fait sa force. Mais quel pays peut se tenir toujours à l'abri de la culture moderne et échapper à l'influence irrésistible de ce qu'elle renferme de principes destructeurs ? »

Nous n'avons à rectifier que deux points de cette appréciation. Nous croyons que l'Eglise gréco-russe tire plutôt sa faiblesse que sa force de sa constitution nationale. Nous croyons en outre que les principes de la civilisation moderne ne sont pas seulement destructeurs des anciennes formes, mais qu'ils sont aussi rénovateurs, régénérateurs, réformateurs; et à ce titre l'Eglise gréco-russe a tout à gagner en subissant leur influence.

CONCLUSION ET RÉSUMÉ GÉNÉRAL DE NOS ÉTUDES.

--

Il résulte de l'examen que nous avons fait des diverses théologies qui se sont manifestées en Orient, depuis les temps les plus reculés jusqu'à nos jours, tant de celles qui se rapportent prospectivement et rétrospectivement à la Révélation évangélique, que de celles issues directement de cette Révélation, -que le travail doctrinal de la société orientale a consisté, d'une manière suivie et persévérante, à former la série des Révélations, relatives à la nature de Dieu, à ses attributs, à ses rapports avec les êtres de l'univers, à son union avec l'homme; ou, si l'on veut, à constituer la série des dogmes, relatifs à l'union de l'homme et des créatures avec Dieu, à la hiérarchie des êtres en Dieu ; - série double, qui s'exprime aussi par l'équation suivante :

Incarnation de Dieu. Déification des créatures.

Il en résulte encore, que ce travail ne peut être le privilège d'une seule Eglise, quels que fussent son importance et ses mérites, et, d'une seule époque, quelque brillante qu'elle fût, comme nous en avons eu la preuve par la rupture de la magnifique synthèse de l'Eglise chrétienne des premiers siècles, et par les avortements des synthèses grecque et mahométane; mais que ce travail exige le concours de toutes les sectes ou doctrines, de toutes les époques écoulées depuis l'origine du monde jusqu'à nos jours.

[ocr errors]

Dans ce travail d'édification dogmatique, les divers ouvriers ont chacun leurs tâches spéciales, et tous sont appelés, tous sont égaux en titre, les derniers venus comme les premiers. Il n'y a de distinction entr'eux que quant à la manière suivant laquelle ils ont fait valoir le talent que le père de famille a confié à chacun. Mais, quelle que soit cette distinction, aucun d'eux ne peut prétendre à substituer les autres et à prendre la place de tous; aucun d'eux n'est, à lui seul, à la hauteur de l'œuvre universelle et intégrale; chacun n'apporte que sa part de con

cours à cette œuvre.

En effet, aucun des systèmes théologiques que nous venons d'analyser ne donne une solution complète du problème théologique. Bien plus,

[ocr errors]

chacun d'eux présente une lacune, un côté défectueux, un côté obscur qui réclame son complément, sa solution, sa lumière. Ce sont comme des pièces incomplètes d'un édifice et aucun ne forme l'édifice dans sa plénitude. Tous ont poursuivi la solution du problème de l'union du fini et de l'infini, dont l'expression quintessentielle est, comme nous venons de le dire, Incarnation de Dieu Déification des êtres; car cette vérité est apparue à tous: que Dieu est dans le moindre grain de sable et que le moindre grain de sable est de Dieu. Mais aucun n'a présenté de solution complète. Tel est resté en chemin au commencement; tel au milieu; tel plus loin; celui-ci a vu un côté du problème, celui-là un autre; l'un a eu un point de vue plus simple; l'autre un point de vue plus composé; celui-ci à omis telles parties du problème ou les a laissées dans l'ombre, en mettant en saillie et en relief telles autres; celuilà a largement élaboré telles parties en négligeant telles autres. Or chacun de ces systèmes, qui présente son côté défectueux et indéfini, trouve son complément et sa solution dans les autres. Preuve que tous ces systèmes sont corrélatifs, qu'ils sont destinés à se compléter reciproquement en s'unissant, en se groupant en série, comme les membres d'un même corps,

Il résulte incontestablement de l'étude comparative des divers systèmes théologiques de l'Orient, que ces systèmes sont composés d'après un plan universel et intégral et que chacun d'eux forme une pièce détachée et distincte, quoique ajustée pour l'ensemble, d'un même édifice.

Chacune de ces théologies présente, en effet, un type, un côté saillant; elle exprimé plus spécialement un principe par lequel elle s'individualise et se distingue des autres théologies. Une telle présente comme type particulier, comme côté saillant, ou comme principe spécifique, l'union panthéistique de Dieu ou le panthéisme; telle autre au contraire présente l'union de Dieu avec distinction et abstraction, ou le monothéisme comme principe spécifique; une troisième, l'union dualistique ou le duothéisme; une quatrième, l'union trinitaire ou le trinithéisme; enfin une cinquième, l'union pluraliste ou le polythéisme. Chacune a donc reçu la mission de développer plus spécialement tel ou tel aspect du problème de l'union de Dieu avec l'univers et vice-versa.

Mais aucune de ces théologies ne s'est isolée ou renfermée exclusivement dans son type ou dans le principe qu'elle a plus particulièrement développé. Chacune, à côté de ce type ou à côté de ce principe spécifique, présente, d'une manière plus ou moins nette, en union avec

[ocr errors]

celui-ci, quoiqu'en sous-ordre, les divers autres types ou principes Une telle présente, à côté de son type panthéiste, les principes monothéiste, duothéiste, trinithéiste et polythéiste; une telle autre présente, à côté de son type monothéiste, les principes panthéiste, polythéiste trinithéiste, duothéiste, développés et exprimés d'une manière plus ou moins explicite. Ces principes s'harmonisent plus ou moins avec le type fondamental et sont comme ralliés et subordonnés à ce centre, qui leur imprime son cachet. De sorte que là où le panthéisme est type prédominant, les principes monothéiste, duothéiste, trinithéiste et polythéiste, ralliés à ce type, sont plus ou moins enveloppés d'une atmosphère panthéistique; et ainsi de suite quant aux autres types.

Chaque système théologique présente donc deux côtés ou pôles : un côté distinctif et séparatif, qui est, exprimé par son type fondamental; et un côté unitif ou point de liaison avec les autres théologies, et ce point de liaison constitue précisément l'ensemble des principes ralliés ou subordonnés à son type fondamental; de sorte que l'on pourrait comparer chaque système théologique, avec son principe spécifique et ses principes secondaires, à un accord musical avec sa tonique ou dominante et ses secondes, tierces, quartes, quintes ; et ces divers accords, se graduant entr'eux par leurs toniques ou types fondamentaux et s'unissant par leurs transitions ou principes secondaires et subordonnés, formeraient en dernier lieu un accord supérieur, composé, ou le concert universel et intégral des dogmes théologiques. Dans ce concert, chaque système théologique, ou accord de seconde, tierce, etc., se distingue des autres par son principe dominant, qui est son type spécial; et ce principe y étant pleinement développé, n'a pas besoin des autres systèmes pour se compléter. Or ces types ne sont distinctifs que par leurs relations avec d'autres types: ce qui suppose nécessairement entr'eux un rapport de gradation, de série, de coordination. D'un autre côté, chaque système ou accord s'unit aux autres par ses principes transitoires ou secondaires, et comme ces principes ne s'y trouvent pas pleinement développés et laissent à désirer pour leur solution, ils appellent pour complément précisément les systèmes où ils se trouvent développés; mais, comme, en s'unissant aux autres, ils présentent en même temps leur côté distinctif ou type fondamental, il résulte en outre de cette combinaison une réunion graduée et sériaire de types divers. Et c'est ainsi que les divers systèmes théologiques, en se complétant réciproquement, tendent à former, par leur réunion graduelle, des

1

séries plus ou moins composées, jusqu'à la série universelle et intégrale de tous les dogmes.

par

Mais rendons notre démonstration plus concrète et plus sensible l'application; ou bien voyons l'application de ces lois dans l'esquisse grossière et nécessairement incomplète et défectueuse que nous allons tenter d'une série intégrale des systèmes théologiques de l'Orient.

En commençant par la théologie la plus antique, celle dont l'origine semble remonter au berceau des sociétés humaines, la théologie brahmanique, qu'y trouvons-nous? Nous y trouvons en dominance le principe panthéiste tous les autres principes y paraissent enveloppés dans cette atmosphère panthéistique; ils paraissent en recevoir plus ou moins la teinte ou en subir plus ou moins l'influence; ils sont comme subordonnés à ce type, ralliés à ce centre, auquel ils s'unissent et avec lequel ils se combinent à divers degrés. Dans ce système, l'homme et la nature sont déifiés, ou Dieu est incarné dans l'homme et la nature, soit par confusion, soit par diffusion panthéistiques. Dans ce système se trouvent le plus en lumière les rapports d'unité de Dieu avec l'univers et se trouve expliquée et dévoilée l'éternelle procession sériaire des existences, des créatures, des hommes, des êtres supérieurs à l'homme et aux créatures, des forces secondaires et primitives de la nature, jusqu'aux manifestations infinies de Dieu. Toute cette hiérarchie éternelle et infinie se meut dans un vaste panthéisme, en vertu duquel chaque partie est une partie de Dieu ou est Dieu même. Mais néanmoins ce principe panthéistique, qui est le type fondamental du brahmanisme, ne s'y trouve pas uniquement et exclusivement, quant aux autres principes ontologiques. Ceux-ci apparaissent aussi dans la théologie brahmanique, mais plus à l'ombre, moins saillants, ils sont en sous-ordre, ralliés au panthéisme et combinés avec lui comme des principes secondaires; ils n'y apparaissent pas avec leur caractère distinctif, typique. Ainsi, nous voyons bien que chaque être de la création, quoiqu'étant de Dieu ou Dieu, a sa nature propre, ses lois propres ; mais cette nature ne se détache pas d'une manière nette du Dieu Tout; et ces lois sont des impulsions émanées directement de Dieu (gounas). Le libre arbitre n'apparaît guères dans la théologie brahmanique. L'homme y est poussé fatalement vers le bien ou le mal, selon ses impulsions qui sont celles de Dieu; le mieux qu'il puisse faire, c'est de réduire sa volonté au néant, de tomber dans l'impassibilité et dans l'immobilité et de s'absorber en Dieu. Néanmoins quelque subordonné que soit le principe

« PreviousContinue »