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théologies peuvent se compléter et se corriger réciproquement. Dans le dogme hébraïque, le mal paraît avec son caractère distinct de Dieu, et avec son caractère secondaire de subordination à Dieu : Satan est une créature de Dieu; mais ce qui choque précisément, c'est que la notion du bien et du mal, dans Dieu, y soit assimilée à celle du bien et du mal dans l'homme, que le mal y apparaisse avec son caractère relatif et concret; tandis que, dans la théologie brahmanique, le bien et le mal sont tous deux de Dieu, ou identiques avec Dieu, ou confondus en lui en toute éternité. Il en résulte du moins que, vis-à-vis de Dieu, la séparation du bien et du mal n'est pas ce qu'elle est vis-à-vis de l'homme, qu'elle s'y efface dans la ToutePuissance et dans la souveraine sagesse de Dieu; en sorte que ce qui peut paraître mal pour l'homme et dans l'homme, peut ne pas l'être pour Dieu et dans Dieu et que le point de vue brahmanique fait disparaître ce que nous pouvons trouver de choquant au point de vue hébraïque, lorsque celui-ci nous présente Dieu comme créateur du mal, souffrant et ordonnant quelquefois des actes réprouvés par nos idées morales. Car, quoique, dans cette théologie, Dieu, en parlant de la création, l'ait trouvée bonne, il a pourtant permis l'introduction immédiate, dans le monde, du mal personnifié par Satan, qui pousse l'homme à se détacher de Dieu et pervertit la création: tous les maux se répandent dans le monde comme une conséquence de la parole de Satan. Et ce Satan, ce serpent, le plus pervers des êtres, est ouvertement nommé créature dans le Sépher! C'est ainsi que cet immense problème du bien et du mal, qui est presqu'insoluble dans la théologie hébraïque et y fait une si large trouée au dogme de la ToutePuissance et de la bonté infinie de Dieu, reçoit un commencement de solution par la sœur de celle-là, la théologie brahmanique. Nous disons un commencement de solution; car celle-ci n'est pas définitive; d'autres théologies vont successivement achever de dissiper les ténèbres qui obscurcissaient cette immense question du bien et du mal.

Et c'est ainsi que les révélations se complètent les unes par les autres et que ce qui paraît défectueux, choquant dans les unes est corrigé et rectifié par les autres. Nous aurons plus d'une fois l'occasion de faire ressortir cette vérité que la perfection et l'accomplissement de la révélation universelle se trouvent dans la réunion intégrale des révélations disséminées à la surface du monde et dans la succession des siècles.

Si le principe monothéiste est le principe dominant de la théologie hébraïque, il ne faut pas croire que les principes polythéiste, trinithéiste et duothéiste ne s'y trouvent pas; ils y apparaissent aussi, mais à l'état plus vague et plus fugitif ou en germes.

D'abord le principe dualiste ou duothéiste apparaît dans le dualisme des puissances, Dieu et Satan, entre lesquelles l'homme se trouve placé; mais, toutefois, Satan n'est que créature, il n'est pas coéternel; il doit être écrasé par le Rédempteur, un rejeton d'Eve. Le dualisme juif est donc comme effacé par l'infériorité de l'un des termes et par la prédominance absolue de l'autre.

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Le principe trinithéiste se retrouve en germe dans diverses prophéties juives. Ainsi le roi David dit : (Psaume 33, v. 6) ‹ Par le Verbe « du Seigneur les cieux ont été faits et toute leur multitude par l'Esprit de sa bouche. Il est dit dans le chapitre vi, v. 3 du prophète Isaïe: Saint, Saint, Saint est Jehovah Zebaoth; la terre est remplie ‹ de sa majesté. Sur quoi St. Ambroise ajoute (de Fide, ch. 12, liv. 2): Que signifie cela que le seul mot Saint soit répété jusqu'à trois fois? Si la répétition devait être faite trois fois, pourquoi une seule louange?.... La triple répétition a lieu, parce que le Père, le Fils et le Saint-Esprit sont un dans la sainteté........... Et pour qu'il soit bien entendu que dans cette trinité il n'y a qu'un seul Dieu, il a ajouté au mot, trois fois dit, Saint, ces mots : « Et le Seigneur Dieu Ze<baoth. » Enfin dans l'Ecclésiaste (chap. 1, v. 4, 5, 9) l'on trouve ce qui suit: La sagesse a été créée avant toutes choses et l'Intellect << de la prudence dès le commencement. La source de la sagesse est <le Verbe de Dieu et ses pas sont les lois éternelles....; le Très-Haut « seul, créateur tout-puissant, l'a créé dans l'Esprit-Saint. Toutefois, il faut convenir qu'un principe qu'il faut appuyer sur des citations aussi vagues, doit se trouver lui-même à l'état vague et indécis dans la théologie hébraïque.

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Il en est de même du principe polythéiste. L'on peut déduire ce principe des passages suivants des livres de Moise: « Au commence<ment Elohim créa le ciel et la terre (liv. 1, ch. 1, v. 1). » Elohim signifie la pluralité, tandis que Eloah signifie le singulier: ce qui signifie le Dieu en plusieurs personnes et équivaut à ces paroles Lui, les Dieux. (V. HOEN, Lehre des Christenthums, T. IV, p. 325 et 326). Ensuite ils est dit : « Faisons l'homme à notre image et à notre res« semblance (liv. 1, chap. 1, v. 26). » Pourquoi Dieu parle-t-il de lui

même au pluriel? Pourquoi ne dit-il pas : Je veux faire l'homme à mon image, tandis que partout ailleurs, dit le même auteur, il emploie cette dernière tournure, lorsqu'il parle de lui seul? (V. chap. I, v. 29 et 30 et liv. II, chap. XX, v. 2, 5, 7, 11). Ces mots n'indiqueraient-ils pas une pluralité de personnes en Dieu ? Puis il y a le passage déjà cité du monologue de Dieu dans le jardin d'Eden: « Voici qu'Adam est devenu comme l'un de nous », qui exprime la pluralité dans Dieu. Enfin la notion des anges, ces êtres plus voisins du trône du Très-Haut, cette espèce de divinités secondaires, quoique n'apparaissant que d'une manière vague et exceptionnelle dans l'ancienne théologie hébraïque, se développe plus tard par le contact des Juifs avec la Perse. Déjà ils avaient appris chez les Chaldéens à pratiquer avec précision le culte des Anges. « Les noms des anges, comme le dit expressément Siméon-Ben-Loskisch, sont montés de Babylone dans la maison d'Israël. » Mais ce n'était là que le prélude et si les Juifs n'acceptèrent pas davantage de Babylone, c'est nécessairement aux Persans qu'ils empruntèrent ce qui leur manquait, pour développer le cercle de leurs doctrines sur le monde céleste. La secte des Pharisiens devint l'expression vivante et extérieure de ce progrès. Cette secte était dominante et faisait partager ses doctrines à presque toute la Judée. La doctrine des anges et de l'Empyrée s'est conservée dans les développements subséquents du judaïsme, par les thalmudistes et les rabbins; et le mahométisme, ce judaïsme renouvelé, la consacra entièrement.

Mais si le principe quasi-polythéiste de la hiérarchie céleste des anges s'est introduit dans la théologie postérieure des Hébreux, toujours sous la dominance de l'idée fondamentale de l'unité de Dieu, cette théologie ne fit pas descendre ce principe des hauteurs célestes vers les régions terrestres: l'homme ne devait pas, sauf bien faible exception, posséder certains attributs de la divinité; l'anathême prononcé contre lui au jardin d'Eden devait se perpétuer et il devait, comme au moment de son péché, se cacher, s'anéantir devant la face de l'Eternel, que ses regards ne pouvaient soutenir et devant lequel il reconnaissait sa nudité; non seulement il ne devait pas participer à l'éternité de Dieu, mais la théologie antique des Hébreux ne lui accordait même pas d'une manière explicite le don de l'immortalité de l'âme. Ce dernier dogme ne s'introduisit dans le judaïsme que plus tard à la suite du mazdéisme. A plus forte raison, aucun homme

n'y apparaît-il comme une incarnation de Dieu. Moïse, le plus grand des hommes dans l'histoire du peuple juif, ne participe en rien de la nature divine. Il n'est qu'un instrument terrestre, qui a reçu de Dieu la loi et qui doit la transmettre à son peuple. Il n'est que l'écho passif de la Parole de Dieu, un prophète inspiré de Dieu, un révélateur. Toutefois le dogme monothéiste de la distinction de Dieu avec l'homme et avec les créatures ne va pas jusqu'à une séparation absolue et à ne pas laisser une petite place où le panthéisme puisse se glisser. C'est ce que nous avons déjà vu plus haut et que nous allons encore appuyer de quelques preuves. Grâce à l'alliance que Dieu a contractée avec l'homme dès le moment de sa chute et qu'il a renouvelée et plusieurs fois, celui-ci peut espérer de remonter successivement vers Dieu et de renouveler sa communion avec lui. Comme une conséquence de ce dogme régénérateur, apparaît celui de la sanctification de l'homme. Si l'homme ne peut pas aller jusqu'à devenir participant de Dieu, comme dans le dogme brahmanique, il peut au moins s'élever à Dieu par l'imitation de sa sainteté. « Soyez saints, < parce que moi Jehovah, votre Dieu, je suis saint, est-il dit dans le 3o livre de Moïse (ch. xix, v. 2. xx, v. 26. xxi, 8). Nous trouvons encore dans les traditions juives quelques germes ou vestiges, comme l'on voudra, du dogme de la déification de l'homme. Jésus-Christ nous les dévoile dans l'Evangile, lorsqu'il dit aux Juifs: N'est-il pas écrit dans la loi j'ai dit que vous êtes des Dieux? (Saint Jean, chap. VIII, v. 12).

Le judaïsme moderne, nous l'avons déjà fait entrevoir, dans son culte et dans ses croyances, présente en quelque sorte une double face: une face rétrospective, à laquelle appartient tout ce qui se rapporte à son histoire et à ses traditions nationales, face décolorée et presqu'éteinte; et une face prospective, face encore vivante et lumineuse, à laquelle appartient tout ce qui peut se rapporter à l'histoire universelle et aux croyances universelles du monde, par exemple: les traditions cosmogoniques, certaines prophéties, les dogmes théologiques de l'unité de Dieu, de la Providence, ceux de l'alliance et de la sanctification de l'homme, la prière, la prédication dans la synagogue et certaines pratiques de purification, d'expiation et de sanctification. C'est par cette dernière face que les Israélites engrènent dans l'Eglise universelle et intégrale; tandis que les parties de leurs croyances et de leur culte qui se rapportent à leur histoire na

tionale, telles que l'attente du Messie, roi temporel qui dominera sur les nations, l'espérance d'un règne temporel du peuple juif, les lois et les règlements qui se rapportent à la police et à l'organisation politique du peuple juif, le temple unique de Jérusalem, les sacrifices sanguinaires, etc., sont tombées en désuétude, ont perdu toute réalité, ou doivent être considérées comme les ruines d'un édifice d'un autre âge. Le judaïsme moderne ne ressemble donc plus au judaïsme ancien que par certains points. Quoiqu'ayant conservé ses dogmes primitifs, il a subi successivement diverses transformations doctrinales; il a subi l'influence des sectes avec lesquelles il a été en rapport et surtout celle de la civilisation moderne.

Nous avons déjà dit que le thalmudisme lui avait fait subir des modifications considérables. Seulement cette école, au lieu de développer la théologie antique des Hébreux dans le sens universel que nous avons indiqué, a beaucoup contribué au maintien de traditions et de coutumes surannées, qui doivent tomber en désuétude, n'ayant plus aucun objet. Le rabbinisme avait pourtant un champ assez libre, puisqu'il s'appuyait sur la tradition orale, autant et plus que sur la tradition écrite. L'objet du Thalmud, livre principal de la synagogue, est, en effet, d'expliquer la loi de Moïse, conformément à la tradition orale, que les Juifs font remonter à la plus haute antiquité. Suivant le savant Maimonidès, la Mischna, l'une des compilations du Thalmud, qui remonte au deuxième siècle, se compose de cinq parties essentielles: 1o Explications et développements de la loi écrite, attribués à Moïse; 2o Ordonnances orales ajoutées, sur le Sinaï, à la loi écrite; 3° Constitutions trouvées par les docteurs au moyen de la conjecture ou de l'argumentation; 4o décrets émanés des prophètes ou des docteurs venus après eux; 5o enfin diverses règles de conduite, relatives, la plupart, à la vie civile. Puis la Ghemora, autre compilation faisant partie du Thalmud, a pour but d'expliquer et de commenter les passages difficiles de la Mischna.

On voit par là quel immense champ de variations et de développements était ouvert au rabbinisme. Mais celui-ci, au lieu de considérer le Thalmud comme une simple compilation, sujette à rectification (puisqu'il avait la prétention d'être l'expression de la tradition orale, malgré la défense expresse de la loi judaïque de rédiger toute tradilion), s'est attaché opiniâtrement à la lettre de cette compilation; il a

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