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national, leur vie intime, presque leur unique bien dans une existence d'immobilité; de là l'esprit de persistance et d'opiniâtreté à conserver ces dogmes transmis par les générations écoulées. Mais ce n'est pas là la seule cause de leur tenacité et de leur constance.

H y a eu chez toutes ces sectes une puissance de conservation religieuse, qui s'est maintenue en dépit des circonstances les plus contraires et malgré la destruction des nationalités. Certaines nationalités ont été détruites, dispersées, comme les Juifs, les Mages ou Ariens et en partie les Arméniens; d'autres ont été absorbées ou étouffées par la conquête, comme l'Inde et la Grèce; certaines sectes ont fait parties de grands agrégats d'empires, comme empire mahométan, empire chinois, empire russe ; et pourtant, malgré la conquête, malgré la propagande, malgré les persécutions, ces races et sectes ont conservé invariablement leurs dogmes, leurs rites et leur liturgie. C'est que toutes avaient reçu un dépôt auquel elles ne voulaient pas être infidèles, le dépôt des trésors du mysticisme oriental, qu'elles auront à restituer au jour où tous ces matériaux devront se réunir pour l'édification de la Nouvelle-Jérusalem.

La persistance et la tenacité des sectes de l'Inde, de la Tartarie, de la Chine et du Japon est la plus remarquable, à raison de leur haute antiquité. Pendant que le polythéisme a disparu presqu'entièrement de la partie occidentale de l'Asie, de l'Europe et de l'Amérique, comme du nord de l'Afrique, la partie centrale et l'extrémité orientale de l'Asie, depuis l'Oxus et le Gange jusqu'à l'Océan Pacifique, a maintenu invariablement ses croyances et ses coutumes antiques. Ce n'est pourtant pas que les révolutions politiques et l'invasion étrangère n'aient pénétré et remué ces contrées. Elles ont, au contraire, été le théâtre continuel des invasions et des conquêtes, depuis celles des Arabes, des Tartares, des Turcs, jusqu'à celles des Portugais, des Hollandais, des Français, des Russes et des Anglais. Toutes ces contrées sont soumises à l'occupation étrangère, le Japon excepté ; mais le mahométisme, le catholicisme grec ou romain, et le protestantisme, ont été impuissants à pénétrer, transformer, absorber les religions de l'Inde, du Thibet et de la Chine: celles-ci ont résisté invariablement à l'action dissolvante et envahissante de ces croyances; et, comme ces vieux édifices, sur lesquels le temps n'a pas de prise, elles se sont maintenues dans leur autonomie et dans leur indépendance. Quelle peut être la raison de ce fait étrange, dans les annales du

monde religieux? Ne serait-ce pas que ces croyances et ces cultes antiques ne continssent, dans leur essence, quelque chose de perpétuel, d'universel et d'immuable, qui est le vrai caractère de la religion, quelque chose de sacré et d'inviolable, qui les constitue comme des pièces nécessaires et intégrantes de l'édifice de l'Eglise universelle, pièces réservées à dessein pour son accomplissement intégral? Schwedenborg, le chef des illuminés de l'Occident, a dit, quelque part, que c'est en Tartarie, pays régi par les patriarches, que la parole perdue, c'est-à-dire, l'innocence primitive, devait être retrouvée. Or la Tartarie s'entend des diverses contrées de l'Asie centrale et orientale. Eh bien! les découvertes récentes, qui ont été faites, par les Orientalistes, des traditions et des monuments littéraires de l'Inde, de la Tartarie et de la Chine, justifieraient assez cette idée elles ont fait accréditer l'opinion que ces traditions constituent le berceau du mysticisme antique; et leur étude, comparée avec celle des traditions judéo-chrétiennes, a fait ressortir leur parenté avec celles-ci. Il était dès lors naturel qu'elles fussent conservées à travers les siècles, comme épreuves du mysticisme et comme parties intégrantes de l'édifice de l'Eglise d'Orient.

En effet, plus on avance dans la découverte des monuments religieux de l'Inde, du Thibet, de la Tartarie, de la Chine et du Japon, et plus on aperçoit le caractère profond, radical, universel des croyances de ces contrées; plus encore l'on y retrouve, au milieu de l'enveloppe grossière d'une multitude de fables, la source et le fondement, non-seulement des dogmes mystiques qui se sont révélés en Orient, mais encore en grande partie de ceux qui se sont produits postérieurement en Occident et dans le Nouveau-Monde; plus enfin l'on rencontre une analogie parfaite et un lien de parenté entre ces derniers et les premiers. C'est là, sans doute, la cause principale de la conservation de ces croyances et de leur résistance à l'action dissolvante du mahométisme et du catholicisme. Lorsqu'au milieu des ruines d'un ancien édifice se voyent parfois debout, sur leur base granitique, des fragments entiers, ayant bravé l'action dissolvante des siècles, le restaurateur de cet édifice a bien soin de conserver intacts ces fragments précieux, qui lui serviront de types pour la reconstruction, et, après les avoir nettoyés, préparés, recomplétés, il les adaptera au nouvel édifice, qui unira ainsi, dans un ensemble harmonieux, la grandeur de l'architecture ancienne au goût et à l'élé

gance de l'architecture moderne. C'est ainsi que ces fragments précieux de l'antique religion mystique de l'Orient, qui ont résisté à toutes les révolutions et qui se retrouvent debout et intacts, sur leur base inébranlable, seront utilisés et employés avec soin par le restaurateur de l'Eglise catholique d'Orient et entreront, comme parties intégrantes, dans la synthèse théologique, après avoir subi un travail d'épuration des superstitions et des fables grossières qui s'y sont mêlées, comme aussi de transformation selon les croyances issues de la Révélation évangélique.

Et qu'on ne croie pas que cette transformation et cette réintégration soient impossibles! Déjà le bouddhisme, la plus importante des religions de l'extrême Orient, celle dont l'empire s'étend sur une partie de l'Inde, au Thibet, à l'Indo-Chine, en Chine et au Japon, n'est pas éloigné, sous plusieurs rapports, de la révélation judéo-chrétienne; et il a déjà subi, dans ses institutions et dans ses doctrines, une réforme qui est une véritable transformation dans le sens du catholicisme, réforme, qui, au dire des missionnaires catholiques, le rend éminemment apte à entrer en communion avec l'Eglise universelle. L'on peut observer des faits analogues dans d'autres religions, par exemple chez certaines sectes du mahométisme et certaines sectes de la Chine.

Ainsi, l'extrême Orient, qui est resté jusqu'ici en-dehors des grandes synthèses religieuses de l'Eglise grecque du Bas-Empire et du mahométisme, revêt sa robe de noces, étincelante de pierreries qui ont été taillées à des époques voisines de l'origine du monde, et se prépare, à son tour, à entrer dans la grande famille de l'Eglise universelle, dont le Christ est le père, pendant que les autres membres du corps mystique, ceux qui ont été ralliés plus ou moins aux synthèses grecque et mahométane, se replient en quelque sorte sur euxmêmes et, se réduisant, à quelques exceptions près, à un rôle passif, sont là, immobiles dans leur linceuil, attendant, comme les corps de la Résurrection universelle, le signal du réveil et de la réintégration!

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L'Orient marche lentement, mais sûrement, vers une grande unité sociale et religieuse, dont la loi de Christ formera le fondement, le pivôt et dont les diverses révélations chinoises, boudd'histes, brahmaniques, mazdéennes, hébraïques, mahométanes formeront les membres extrêmes et les ailes, après avoir été épurées, triées, dé

veloppées et transformées. Mais cette nouvelle synthèse devra être intégrale, c'est-à-dire, elle devra comprendre, sans exception, toas les éléments de la vie religieuse en Orient.

C'est ce travail d'épuration, de transformation, d'ajustement à l'unité universelle et intégrale, subi par les diverses sectes orientales jusqu'à nos jours, que nous allons esquisser, aussi sommairement que possible. Nous allons donc faire une étude comparative des diverses sectes et croyances existantes, telles qu'elles se sont développées jusqu'à nos jours et telles qu'elles se manifestent aujourd'hui en Orient. Nous allons examiner leurs tendances respectives et leurs affinités ; et nous verrons qu'elles s'acheminent, toutes, par diverses voies, par divers sentiers, vers cette Nouvelle-Jérusalem, où, selon le prophète, il n'y aura plus d'anathème, où Dieu règnera lui-même, c'est-à-dire, où l'homme sera uni à Dieu et Dieu à l'homme.

La statistique religieuse de l'Orient moderne nous signale l'existence d'un grand nombre d'écoles théologiques ou de sectes religieuses, dont les unes remontent à la plus haute antiquité et dont les autres sont d'une origine toute récente; - dont les unes forment de grandes agrégations confessionnelles et les autres des sectes d'une existence faible et chétive; dont les unes ont joué et jouent encore un rôle important dans la vie religieuse et sociale de l'Orient et dont les autres n'ont exercé ou n'exercent qu'une influence purement locale ou une mission particulière; dont les unes témoignent d'une certaine fécondité doctrinale et les autres sont stationnaires et stériles; dont les unes ont la prétention de devenir des centres universels et les autres ne donnent point signe de vie, si ce n'est par leur tenacité à résister à toute absorption.

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Ces sectes et écoles se distinguent, d'abord, d'après leurs rapports avec la révélation évangélique, suivant qu'elles ne s'y rapportent qu'indirectement et suivant qu'elles s'y rapportent directement.

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Ensuite elles se groupent et se classent suivant leurs affinités doctrinales et leurs rapports mutuels.

En voici le tableau sommaire, dont l'ordre se justifiera par l'analyse et par la synthèse de ces diverses écoles et sectes.

1o Théologie brahmanique, qui comprend les branches du brahmanisme proprement dit, du vichnouïsme et du sivaïsme, avec leurs dérivés plus modernes, gnostiques et sicks.

2o Théologie hébraïque, l'opposée de la première par le lieu de

naissance et par les doctrines, avec ses dérivés : Thalmudistes, Kabbalistes et Réformateurs juifs.

p.32-40.

3o Théologie mazdéenne, qui tient le milieu entre les deux précédentes et qui a pour représentants modernes les Parsis ou les Guèbres. 4o Théologie boudd'histe, réforme du brahmanisme, avec ses diverses branches et son expression plus moderne, le Lamaïsme.p.bg. 5o Théologie islamique, cette réforme du judaïsme, greffée sur le christianisme, avec ses dérivées les Sonnites, les Chiites, les Wahabbis et les Soufis.

p.88-105.

6o Théologie chinoise, la plus antique et, à la fois, la plus moderne, par ses écoles diverses: 106-127.

a) Antique doctrine des Kings;

b) Ecole des Yoù-kîa ou sectateurs de Koung-tseu ;

c) Ecole des Taô-kià ou sectateurs de Laô-tseu ;

d) Ecole des Kéoù-joù ou lettres modernes ;

e) Sociétés des Trois-unis et sectateurs de Taï-ping-wing, qui se rallient ostensiblement aux traditions judéo-chrétiennes ou bibliques et forment la transition vers la théologie évangélique, tout en se rapprochant aussi par certains points des Mahométans et des Boudd'histes.

7° Théologie des Ariens non mahométans, tels que Chrétiens de St Jean et de St Thomas. f. 133-135.

8° Théologie des Nestoriens modernes, avec les dérivés, Chaldéens, Arméniens, Syriens-Jacobites, Cophtes et Abyssins.

9° Théologie catholique grecque, comprenant les diverses fractions des Grecs modernes.

p.140-160.

10° Théologie catholique romaine, comprenant, outre les Latins, les diverses Eglises-unies.

11° Théologie de la réforme évangélique, comprenant les variétés nombreuses des sectes de la réforme.

p.168-173.

12o Théologie gréco-russe, dite catholicisme orthodoxe d'Orient, comprenant diverses fractions et des sectes nombreuses et variées, qui ont des affinités avec toutes les théologies précédentes. -p.184

Ces trois dernières théologies se signalent par leur esprit de propagande universelle.

Telles sont les principales divisions des écoles théologiques et des sectes religieuses qui existent actuellement en Orient. Nous aurons à justifier cette classification, jusqu'ici purement hypothétique, par

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