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Aymon une surprise qu'il ne fut plus le maître de contenir, et qu'il exprima de la munière la plus spirituelle et la plus vraie.

Il n'avait jamais vu la Reine; il ne la connaissait que sur ce qu'on en disait au faubourg Saint-Germain ; et, à force d'entendre répéter à quelques vieilles douairières, qui ne la connaissaient pas davantage, que c'était une femme hautaine, ambitieuse, intrigante et vindicative, il avoua la faiblesse qu'il avait eue de le croire. Il nous raconta gaîment ce qui, jusqu'à ce jour, avait été pour lui article de foi; et lorsqu'après nous avoir régalé du récit de toutes les menées que l'on prêtait charitablement à la Reine au sujet du retour de l'Empereur, il en arriva à dire qu'on l'a vait même accusée, dans le noble faubourg, de la mort du général Quesnel... nos éclats de rire ne lui permirent plus de continuer. Il y avait dans de si atroces absurdités de quoi inspirer plus de pitié, plus de mépris, que de colère et d'indignation. M. de La Roche-Aymon le sentit comme nous; il ne fut pas le dernier à s'en égayer.

Nous revinmes à Paris, accompagnés du mauvais temps, qui dura encore quelques jours, et à cette course se bornèrent les beaux projets

d'excursion que nous avions faits, et que les événements qui survinrent ne nous permirent pas de réaliser.

Qui n'a pas éprouvé l'effet d'un ciel couvert, ou celui d'un beau soleil sur ses dispositions morales? les miennes se rembrunirent-elles avec le temps, ou bien la Reine m'avait-elle communiqué ses appréhensions? Nous calculions ensemble toutes les chances possibles des combats qui se livraient peut-être au moment où nous en parlions; et, rentrée chez moi, les résultats sinistres de cette guerre étaient ceux qui me revenaient le plus incessamment à l'esprit. Je me rappelais les anciennes idées de la Reine sur l'Amérique, et je faisais mes plans pour la suivre en cas de revers essuyés par nos armes. Mes préparatifs seraient bientôt faits, sans ménage, sans fortune: j'avais une famille, il est vrai; mais la Reine n'était-elle pas ce que j'avais de plus cher ? la reconnaissance que je lui devais ne me faisait-elle pas un devoir de m'attacher à son sort, si l'adversité venait à l'atteindre? A mes souvenirs et à mes papiers se bornait ce que j'avais de plus précieux à emporter avec moi. Que de pensées m'assaillaient en les parcourant et les mettant en ordre! J'y retrouvais le nom de tant d'amis absents

que le sort plaçait en ce moment dans les rangs de nos ennemis..... Je repassais dans ma mémoire les années écoulées, si brillantes de gloire, de sécurité et d'avenir. Je me retrouvais dans le salon de la duchesse de Bassano pendant cet hiver joyeux, où les soins empressés de tant d'hommes distingués (devenus depuis importants par la politique) répandaient autour de moi quelques reflets de cette auréole de prospérité au milieu de laquelle se trouvait la Reine.

M. de Metternich, jeune, aimable, spirituel et brillant, n'était pas le moins remarquable de ceux que je me rappelais; il animait nos réunions, et nous aimions qu'il y vînt; il mettait à la mode ces mille riens qui devenaient ensuite un sujet de distraction ou de plaisir; c'est à lui que nous avons dû le langage des fleurs qui était, dans plusieurs cercles, un moyen symbolique de s'entendre de tous les moments; on citait entre autres une belle et aimable dame, chez laquelle M. de Metternich se rendait tous les jours, et dont toutes les impressionsse traduisaient par les fleurs dont elle s'entourait. Un jour de vapeurs, c'était de soucis qu'elle se couronnait, sa robe, ses appartements se couvraient de guirlandes de cette fleur, ses

vases et ses corbeilles s'en remplissaient; un autre jour, les roses s'unissaient aux pensées, les scabieuses à l'églantier, et dès l'entrée, dans le vestibule, on devinait les sentiments de tendresse, de jalousie, de haine ou d'indulgence qui préoccupaient la déesse du logis.

C'était aussi M. de Metternich qui nous avait appris à nous servir de pierreries comme d'un alphabet : chaque pierre représentait sa lettre initiale, et l'on en formait des noms ou des devises qui devenaient chaînes, bagues ou bracelets. J'en avais fait exécuter un pour la Reine, qui portait son nom ainsi traduit.

La mode des alphabets avait amené entre le bon, l'aimable prince de Meklembourg-Schwering et moi, une singulière gageure, dont je trouvai les pièces authentiques dans mes papiers; j'avais conservé ce souvenir de notre gaîté avec plusieurs lettres fort aimables que j'avais de lui. Il avait parié avec moi que pendant vingt-cinq jours il m'écrirait une lettre, dont le sujet serait un mot qui commencerait par la lettre de l'alphabet du jour, en prenant le 1o jour par A, et finissant le 25me par Z; il gagna son pari, et j'ai conservé ses lettres à ce sujet.

cr

Je retrouvai aussi mille choses venant de ce bon prince Léopold Cobourg, si dévoué à la Reine et à sa mère, et qui le prouva si bien par sa conduite envers eux, en 1814; il m'a toujours témoigné beaucoup d'amitié et de bienveillance. En repassant tous ces souvenirs, je me demandais ce qu'était devenu l'intérêt empressé que nous témoignaient alors tous ces hommes aimables, aux yeux desquels l'empereur Napoléon était presque une divinité, à en juger par l'encens que lui avait prodigué particulièrement M. de Metternich, au mariage de Marie-Louise.

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