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XII

Retraite de la Reine. Ordre du jour maintenant les trois couleurs.— La promenade d'une prisonnière. — M. et madame Desbassin; rencontre imprévue. - Madame de Saint-Martin; autre rencontre. — Opinion d'Eugène de Beauharnais sur sa sœur. Retour de M. de Talleyrand à Paris. - Un mot de lui. Rentrée de Louis XVIII.

La grande dame au cou de son cocher; scène d'enthousiasme.

Le cortége des maréchaux.

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Le portrait de Napoléon couvert. - Le prince de Schwarzenberg. Le cardinal Fesch et Jérôme Bonaparte; anecdote piquante. - Le comte d'Artois bousculé. M. de Labédoyère. Grave imprudence. -Conduite étrange de l'empereur Alexandre. · Madame de Saint-Aulaire. Mensonge du roi de Prusse. · Calomnie contre la reine Hortense. Brutalité du czar. M. Gabriel Delessert. Une visite de M. Sosthène de La Rochefoucault. Acharnement contre le duc de Vicence. — Un prétendu complot. — Ordre à la Reine de quitter la France. - Le général Muffling. Voyna, chambellan de l'empereur d'Autriche.

Le comte de Grands embarras.

L'hospitalité à Bercy. Un coup monté. Boutikim.. Bizarre changement dans l'humeur et le caractère d'Alexandre.

Libre de mon temps et ne sachant que faire de ma personne, dans l'agitation d'esprit où me jetaient les événements, j'allais, je venais,

recueillais les nouvelles en visitant mes connaissances et quelques amis bien informés. Ordinairement je regardais passer les curieux, qui probablement en faisaient autant de moi. Etant la seule personne de la maison qui sût où la Reine se trouvait, et par conséquent la seule qui pût aller la rejoindre dans sa nouvelle réclusion, je m'y rendis le 6 au soir, jour de l'entrée des alliées à Paris. J'étais si fatiguée de mouvements et d'émotions, que je mesentais peu propre, dans les dispositions tristes où je me trouvais, à faire un peu diversion aux soucis de la pauvre prisonnière. Après avoir fait plusieurs détours, pour m'assurer que je n'étais pas suivie, je me décidai à entrer chez la Reine: je la trouvai dans le petit jardin intérieur de la maison qu'elle habitait. Ce jardin, qui avait l'étendue de vingt pieds carrés, était la seule ressource de distraction des princes; ils y jouaient à côté de leur mère, qui suivait machinalement des yeux tous leurs mouvements; je m'assis près d'elle, et je lui contai toutes les nouvelles que j'avais recueillies. Lorsque je lui parlai de la demande faite aux Bourbons, de conserver la cocarde tricolore, elle me répondit : « Je ne conçois pas qu'ils ne l'aient pas accueillie avec

empressement, ils auraient dû les premiers en avoir l'idée. Ils entendent bien mal leurs intérêts, de laisser ainsi de côté un drapeau qui est cher à la nation, et qui le sera toujours, quoi qu'on fasse. En proscrivant ces nobles couleurs, ils lèguent au peuple un signe de ralliement, et un prétexte à ceux qui voudront s'en servir contre le drapeau blanc ! » Quinze ans après, ces paroles prophétiques de la Reine se sont trouvées justifiées.

Je lui appris que sous l'égide des Anglais et des Prussiens, quelques cocardes blanches tentaient de reparaître : des officiersde la garde nationale, en petit nombre, avaient quitté la cocarde aux trois couleurs, mais ils n'osaient prendre la cocarde royaliste; il leur avait même suffi de se montrer ainsi en uniforme, pour indigner toute la garde nationale; et un ordre du jour du prince d'Essling qui la commandait, et qui avait été sollicité vivement par les officiers les plus recommandables du corps, avaitfait justice de cette félonie !

Je fis part à la Reine de la dissolution du gouvernement provisoire, et des motifs qui l'avaient amenée; je lui fis aussi connaître ce qui s'était passé à la Chambre des députés,

ainsi que la manière dont les alliés en avaient fait la clôture.

<< Mon Dieu! me dit-elle, est-il possible qu'une réunion de gens d'esprit dont les intentions sont bonnes, se soient trompés aussi étrangement sur la position de la France! faire des discours, envoyer des ambassadeurs, à l'ennemi qui ne les reçoit pas ; s'imaginer que des forces innombrables n'ont marché sur la France que pour voir adopter ce qu'ils auront décidé? c'est incroyable !... L'Empereur avait bien raison, lorsqu'il disait, il y a quelques jours à la Malmaison, avec une expression indéfinissable de douleur. « Nous voilà retombés » au bas-empire, on s'amuse à discuter froide» ment, quand l'ennemi est aux portes !»

L'agitation que causait à la Reine tous ces sujets si tristes, si déplorables pour la France et pour elle, la chaleur de la saison, et la vie renfermée qu'elle menait depuis quelques jours lui causaient un tel malaise, qu'elle en suffoquait ; je craignais qu'elle ne tombât malade. «Que je plains les gens privés longtemps d'exercice, me disait-elle; je l'éprouve par moi-même, je ne pourrais vivre dans cet état.

— » Mais, madame, il y aurait un moyen

III.

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de

mettre fin à ce supplice, ce serait de venir faire un tour de promenade avec moi; le jour baisse, qui pourrait vous reconnaître? personne ne s'imaginera vous voir à pied dans les rues de Paris, surtout dans des moments pareils.

- » Je n'oserai jamais! C'est pour le coup que je donnerais prise aux calomnies que l'on répand sur moi : si quelqu'un me reconnaissait, cela suffirait pour faire croire aux courses et aux menées que bien méchamment l'on m'attribue. Si vous alliez sur les boulevarts, madame, vous pourriez y rencontrer des gens de votre connaissance; mais, à l'heure qu'il est, cette rue-ci n'est point un lieu de promenade. » Je la décidai : elle s'enfonça dans un chapeau, baissa son voile, et nous nous acheminâmes côte à côte tout le long de la rue Taitbout, suivies d'assez loin par le valet de chambre des princes, auquel nous avions recommandé de ne pas nous perdre de vue, mais de faire en sorte qu'on ne se doutât pas qu'il était avec nous.

Nous arrivâmes ainsi presque jusqu'à la barrière, où nous vîmes les uniformes anglais, ce qui arracha un soupir à la reine. Tout à coup j'aperçus, venant droit à nous, M. et madame Desbassin. Madame Desbassin était

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