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ainsi l'empereurde Russie, me parurent si ridicules, que je conduisis Boutikim chez la Reine pour qu'il lui contât un fait aussi incroyable. Elle en sourit, sans avoir l'air d'y ajouter beaucoup de foi.

XIII.

Lettre à

M. et madame d'Arjuzon, chevalier et dame d'honneur. mademoiselle Cochelet.-Fidélité politique de madame d'Arjuzon.— M. Decazes. — M. d'Arjuzón élevé à la pairie – Le complôt åbsurde. - Ordre à la Reine de quitter la France sur-le-champ. Le général Müffling. - Le comte de Voyna accompagne la Reine. Embarras sur embarras. Fâcheux contretemps.

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Bruits alar

mants. Le coup monté. Protestations dérisoires du russe Boutikim. Indignation du duc de Vicence. Alexandre devenu mystique. Les adieux pour l'exil. - Un accès de misanthropie. Les dangers d'un ordre verbal. — M. de Marmold. La couchée à Bercy. Dévouement de M. et madame de Nicolaï.

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M. et madame d'Arjuzon étaient, depuis nombre d'années, attachés à la maison de la Reine: le mari, comme chevalier d'honneur, la femme, comme dame d'honneur. Ils lui étaient tous les deux fort dévoués, et avaient sincèrement pris part à tous ses malheurs.

A présent que tant d'années se sont écoulées, et que l'oubli a remplacé l'affection, j'aime à

en retrouver l'expression dans des lettres auxquelles je tiens encore par souvenir des temps

heureux. Alors on m'écrivait, et madame d'Arjuzon était du nombre des personnes à qui il n'était pas désagréable de correspondre avec moi. Voici une de ses épîtres:

24 juillet 1812.

« Je ne puis plus en douter, mademoiselle, vous m'évitez : toujours ma présence vous fait déserter tour à tour et Paris et Saint-Leu; vous avez quitté la campagne, lundi, parce que je vous avais mandé mon arrivée; je vous poursuis dans la capitale le lendemain, vous faites un crochet et vous refusez ainsi mon hommage. Cependant j'étais à votre porte avant midi. Une biche n'est pas plus agile; je me ferais dentiste pour obtenir un rendez-vous, qu'y gagnerais-je? quelques morsures, car vous avez de belles dents!

» Trève de plaisanteries : j'ai du chagrin; vous partez, et sans que je vous suive; je penserai à vous et à la personne que je servais avec tant d'affection, et qui est si digne de nos respects. Mais vous, mademoiselle Louise, vous m'oublierez. Toutes les sources de Plombières

seront le fleuve du Lethé; vous perdrez le souvenir même, le 25 août, de mon brillant costume, de mes riches présents et de mes vers pompeux!

» S'il en était autrement, si votre indulgente amitié nous donnait d'heureuses nouvelles de votre voyage, de la santé de la Reine et de la vôtre, nous serions si reconnaissants, ma compagne et moi; notre cœur va vite au devant du vôtre, quand il nous témoigne une tendre affection.

» Agréez, mademoiselle, etc. »

Au retour de l'Empereur, M. et madame d'Arjuzon étaient venus reprendre leurs fonctions interrompues pendant la première année de la Restauration; ils étaient tous les deux fort véhéments dans leur opinion bonapartiste, madame la comtesse d'Arjuzon surtout, si vive, si sensible, si impressionnable; elle portait dans sa conviction politique toute la chaleur de ses émotions, je n'en citerai qu'un exemple.

Le mari et la femme étaient liés depuis longtemps de la manière la plus intime avec M. Decazes; ils avaient vu avec peine le changement de principes de celui-ci, mais sans que madame d'Arjuzon et son mari eussent changé

en rien leurs relations avec lui. Dans la première année de la Restauration, lorsque madame d'Arjuzon sut M. Decazes parti pour Gand, elle ne lui pardonna pas, et se promit bien de ne plus le revoir. Aussitôt son retour de Gand, M. Decazes se présenta chez elle. Il vit d'abord M. d'Arjuzon, puis se rendit avec lui dans l'appartement de sa femme qui, lorsqu'elle l'aperçut, cacha son visage de ses mains en lui criant : « Eloignez-vous; comment osezvous vous présenter ici? je ne veux pas vous voir. » Et elle se retira sans avoir voulu lever les yeux sur lui.

La rancune toutefois ne tint pas longtemps; on se revit comme autrefois, et, le 5 mars 1819, M. le comte d'Arjuzon fut fait pair de France par le roi, M. Decazes étant président du conseil des ministres.

Quelques jours après la rentrée de Louis XVIII à Paris, la terreur que causait à la cour des Tuileries la présence de la Reine dans la capitale fit décider qu'on lui donnerait l'ordre de partir. Par un reste de pudeur, on hésitait sur la voie par laquelle on le lui ferait intimer. M. Decazes pensa y metire plus d'égard en chargeant M. d'Arjuzon, dont il connaissait le dévouement pour la Reine, de lui

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