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lui souhaiter un bon voyage. Elle le recevait dans son salon particulier, lorque j'y conduisis Boutikim, qui désirait la voir, et que je croyais chargé d'une mission de l'empereur Alexandre; mais il n'apportait que des paroles de bienveillance et d'intérêt, qui, dans la circonstance, étaient vraiment dérisoires. Le duc de Vicence s'en indigna encore plus que nous, et lui dit avec beaucoup de véhémence : « Que vos souverains y songent, ils donnent en ce moment un mauvais exemple, dont ils pourraient bien se mal trouver un jour. Comment est-il possible d'agir avec si peu d'égards vis-à-vis d'une femme, d'une reine, dont le caractère et la position personnelle inspirent la vénération et l'intérêt? C'est oublier à la fois ce qu'on doit au malheur et à la grandeur déchue. Ils croient que leurs propres forces suffisent pour ne rien ménager, pour tout braver. Mais qu'ils se rappellent la puissance de l'empereur Napoléon, devant laquelle ils ont fléchi si longtemps, et ils verront qu'aucune grandeur, qu'aucun pouvoir n'est à l'abri d'un revers. Que seraient leurs trônes, si Napoléon ne les avait relevés, raffermis, et si, par l'éclat dont sa gloire entourait le diadème qu'il portait, il n'avait rendu aux leurs

la considération qu'ils avaient perdue? Les choses qui se passent aujourd'hui peuvent être un jour de fâcheux précédents que les peuples se rappelleront. »

Boutikim répondit que ce n'était pas à l'Empereur son maître que l'on devait s'en prendre du brusque départ de la Reine; qu'il n'y était pour rien, et que probablement il en ignorait les motifs; que lui-même il trouvait l'empereur Alexandre bien changé depuis un an; que ce n'était plus le même homme pour bien des choses; que lui si gai, si brillant, il n'allait plus dans le monde; qu'il se refusait à toutes les invitations qui lui étaient faites; qu'il fuyait les lieux de réunions publiques, et restait le soir seul à l'Élysée, sans que personne fût jamais reçu chez lui; que, dans la journée, à peine s'il remplissait les devoirs que lui prescrivait sa position; et que dans sa personne tout respirait une mysticité qu'on n'avait jamais remarquée chez lui.

Après avoir congédié ces messieurs, la Reine rentra dans son salon et fit ses adieux à tout le monde ; elle était si montée, qu'elle ne trouva pas un mot qui exprimât le regret d'un adieu peut-être éternel!...

III.

17

Madame d'Arjuzon, qui fondait en larmes, y fut très-sensible.

- «Comment est-il possible que la Reine nous quitte tous avec cette tranquillité et cette indifférence? - Il serait bien injuste de s'en plaindre, lui répondis-je. On conçoit que des procédés comme ceux qu'on a avec elle sont bien faits pour irriter et pour rendre insensible à l'émotion d'un adieu. >>

la

Ce départ de la Reine était une véritable désolation pour ceux qui ne devaient pas suivre; mais pour moi, qui étais sûre de la rejoindre bientôt, j'en prenais mieux mon parti.

A neuf heures du soir, le 17 juillet 1815, la Reine quitta Paris pour s'éloigner de la France, sans éprouver ce sentiment déchirant d'une longue séparation, ni cette douleur que lui cause encore l'absence de la patrie! Elle venait d'y éprouver tant de mécomptes, tant d'injustices, que, dans ce premier moment, elle ne demandait qu'à fuir le monde.

La Reine monta dans sa voiture, seule avec ses enfants; M. de Marmold, son écuyer, et M. le comte de Voyna, aide-de-camp du prince de Schwarzemberg, suivaient dans une berline. Le départ de la Reine avait été si

précipité, que M. de Voyna n'avait reçu que verbalement les ordres pour la mission qu'il avait à remplir. Ce défaut de formalité fut cause, sur la route, de bien des embarras.

La troisième voiture, contenant la nourrice du plus jeune des princes et la femme de chambre Vincent, précédait en courrier. C'est ainsi que la Reine partit pour un exil dont elle était bien loin de prévoir la durée !.... Elle coucha au château de Bercy. M. et madame de Nicolaï l'y reçurent avec le dévouement et l'affection que la Reine sait si bien apprécier; elle se reposa, près de cet heureux ménage, des pensées amères et irritantes qui l'avaient préoccupée pendant toute la journée.

Je la laisserai poursuivre son voyage, dont je ne connus les détails que plus tard.

XIV.

Madame de Krüdner à Paris. - Ses prédictions à l'empereur Alexandre.

Coïncidence extraordinaire.

- L'empereur Alexandre chez la

phétesse. La détonnation alarmante.

proParis en cendres; effroi de madame d'Arjuzon. - Offre de madame de Krüdner; son amitié pour la Reine. - La planche de salut. Conseil donné par le duc

Entrevue de mademoiselle Cochelet et du Czar.

de Vicence.
Le notaire Chodron.

réitérés. - La parure

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Offres généreuses d'Alexandre. - Refus de rubis et les tableaux de l'électeur de Cas

sel. Madame Krüdner. bannière du Christ.

russe.

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Mes affaires, comme celles de la Reine, avaient nécessité le retard apporté à mon départ. Une seule chose aidait à m'en consoler, madame de Krüdner était arrivée à Paris depuis quelques jours, et je ne l'avais pas encore vue. Elle m'avait cependant fait avertir de son séjour dans la capitale; mais, occupée et absor

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